Au Rwanda, la difficile identification des corps après le génocide des Tutsi

LUDOVIC MARIN / AFP Le Mémorial du génocide de Kigali le 26 mai 2021, avant la visite officielle du premier chef d’Etat français au Rwanda depuis 2010,.

Emmanuel Macron doit se rendre jeudi 27 mai au Mémorial du génocide de Kigali où sont inhumés les restes de plus de 250 000 personnes tuées au printemps 1994.

Vingt-sept ans après la fin du génocide, qui a fait quelque 800 000 morts selon l’ONU au printemps 1994, la terre du Rwanda n’a pas rendu tous ses cadavres. « On en déterre encore régulièrement, assure Paul Rukesha, responsable de la communication du Mémorial du génocide de Kigali, où Emmanuel Macron doit se rendre jeudi 27 mai pour sceller la réconciliation diplomatique entre la France et le Rwanda. On découvre des charniers souvent par hasard, lors de travaux ou même après de fortes pluies. Il y a quelques mois, 147 corps ont été retrouvés à Gitarama, au sud du pays. »

Des campagnes de sensibilisation ont aussi été menées par les autorités afin que les anciens génocidaires révèlent enfin où ils ont caché ceux qu’ils ont massacrés. Même après un quart de siècle, avoir un lieu de sépulture est indispensable pour faire son travail de deuil.

Au Mémorial du génocide de Kigali, le plus grand des six mémoriaux du Rwanda, on trouve les restes de quelque 250 000 victimes du génocide. A peine 65 800 ont été formellement identifiées. Ce travail, fait par des associations à partir de recoupements de témoignages et de traces ADN, est complexe. D’autant plus qu’au fil des années, les témoins se raréfient et les corps se dégradent.

A une dizaine de mètres de profondeur

C’est sous la première des cinq dalles en ciment du Mémorial que repose Jean Chrysostome Rusheka, le père de Paul. « Il a été tué par un voisin le 8 mai 1994 dans le quartier de Nyamirambo, raconte ce dernier. Jusqu’à ce jour [le génocide a commencé le 6 avril], il avait été protégé par des voisins, mais parmi eux se sont infiltrés des extrémistes hutu. Mon père a été poignardé par un milicien Interahamwe puis jeté dans une fosse. On m’a dit qu’il était mort sans prononcer un mot, avec une grande dignité. »

Paul Rukesha a alors 15 ans. A l’arrivée des miliciens, il parvient à s’enfuir avec ses sœurs. Ensemble, ils veulent se réfugier à l’hôtel des Mille Collines de Kigali, où près de 1 200 Tutsi seront sauvés, mais il y a trop de barrages sur les routes, trop de risques. Ils trouvent alors refuge chez un ami congolais qui va les héberger jusqu’à la fin du génocide en juillet 1994. Grâce à lui, ils auront la vie sauve, non sans avoir frôlé la mort à plusieurs reprises.

« En 2000, des fouilles ont été organisées dans la fosse dans laquelle mon père avait été jeté, se souvient Paul Rukesha. Probablement à cause de l’humidité, les corps étaient conservés dans un état relativement bon. Au milieu des autres cadavres retrouvés à une dizaine de mètres de profondeur, j’ai reconnu la coiffure afro de mon père. »

La famille enterre alors le corps à côté de la maison, comme le veut la tradition rwandaise. Mais, en 2004, coup de théâtre : « On m’appelle au téléphone pour m’annoncer que mon père vient d’être retrouvé plus profondément dans la fosse, se souvient Paul Rukesha. Il n’y a aucun doute car sa carte d’identité a été retrouvée avec lui. Et les cheveux touffus sont reconnaissables. »

Au fond de latrines

Comment est-ce possible ? Les miliciens avaient l’habitude de jeter des dizaines de personnes au fond de latrines. Ils les tuaient ou les laissaient agoniser, entassés les uns sur les autres. Parfois, un rocher était placé pour empêcher la fuite d’éventuels rescapés. L’hypothèse la plus probable est que, lors des premières fouilles dans la fosse du père de Paul Rukesha, les villageois aient heurté l’une de ces grosses pierres, avant de supposer qu’il n’y avait plus de cadavres en dessous.

Mais alors qui a été inhumé dans le jardin ? « Impossible de le savoir, répond Paul Rukesha. Au départ, nous avons voulu enterrer mon père à côté de la maison, comme cet inconnu, mais les autorités ont refusé. En 2007, nous avons finalement transporté les deux corps au Mémorial de Gisozi et nous avons vendu la maison. »

Après avoir participé en tant que coordonnateur aux gacaca, ces tribunaux populaires mis en place après le génocide pour juger les génocidaires, Paul Rukesha a fait des études de sociologie et de lettres. En 2004, il a commencé à recueillir les témoignages de victimes et à les archiver dans un bâtiment du Mémorial de Kigali dont il a finalement rejoint le service communication. Son bureau est aujourd’hui à quelques dizaines de mètres de la sépulture de son père.

 Source: Le Monde