Niger-Mali : à Bamako, les propos de Mohamed Bazoum font polémique

© BOUREIMA HAMA / AFP Le nouveau président du Niger, Mohamed Bazoum, lors de son investiture au Centre international de conférences de Niamey, le 2 avril 2021.

Lors de son investiture, Mohamed Bazoum a tenu des propos qui ont fâché à Bamako, dans la droite lignée de son prédécesseur Mahamadou Issoufou.

C’était le 2 avril, au centre Mahatma Gandhi de Niamey. Devant plusieurs chefs d’État africains, dont le président malien de transition, Bah N’Daw, le nouvel homme fort du Niger prêtait serment et égrainait ses priorités : lutte contre la corruption, pour la justice sociale, éducation, démographie… Et bien sûr, l’insécurité, obstacle majeur à la réalisation de ces ambitions.

Devant la délégation malienne, Mohamed Bazoum a cité l’État islamique au grand Sahara (EIGS) et Boko Haram comme étant les principaux acteurs des violences qui endeuillent le Niger, déstabilisent son économie et contribuent à grossir les rangs des personnes déplacées et des réfugiés. «  Ce groupe criminel (l’EIGS), dirigé par des ressortissants des pays du Maghreb, […] a ses principales bases en territoire malien, dans les régions de Ménaka et de Gao  », a dit le président nigérien.

« Agenda diplomatique centré sur le Mali »

Le combat contre ce groupe «  sera très difficile aussi longtemps que l’État malien n’aura pas exercé la plénitude de sa souveraineté sur ces régions  », a ajouté Mohamed Bazoum. «  La situation actuelle au Mali a un impact direct sur la sécurité intérieure de notre pays. C’est pourquoi notre agenda diplomatique sera centré sur le Mali, dans le cadre d’une coordination étroite avec les pays du G5 Sahel, l’Algérie, la France, les États-Unis et les autres membres permanents du Conseil de sécurité. Nous devons aider nos frères maliens à s’entendre, à mettre en œuvre l’Accord, à le dépasser même, à reconstituer leur État en vue de lutter efficacement contre le terrorisme  », a-t-il encore ajouté.

À Bamako, les propos du président Bazoum ont provoqué l’indignation de certains. Le Front du refus de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation (APR) a été le premier à dégainer, dénonçant dans un communiqué le 8 avril des «  propos [qui] portent atteinte à la souveraineté du Mali et mettent en cause son impartialité dans la gestion de l’Accord pour la paix et la réconciliation  ».

«  Cela constitue une raison suffisante pour que le gouvernement malien récuse la présence de ce pays parmi l’équipe de médiation. Le président de la République du Niger, Mohamed Bazoum, vient de se disqualifier comme partenaire ayant à cœur les intérêts du Mali et ceux de la sous-région  », dénonce le tout jeune regroupement d’opposants à l’APR signé en 2015 à Bamako.

 Ce n’est pas la première fois que des propos tenus au plus haut sommet de l’État nigérien heurtent Bamako. En août 2019, déjà, dans une interview accordée à Jeune Afrique, Mahamadou Issoufou, alors président du Niger, avait affirmé : « Le statut de Kidal, au Mali, nous pose problème. Kidal est un sanctuaire pour les terroristes, et ceux qui nous attaquent s’y replient souvent. Kidal est une menace pour le Niger et il faut impérativement que l’État malien y reprenne ses droits.  » Des propos réitérés lors d’une visite au Mali quelques mois plus tard.

Selon Mohamed Maïga, analyste travaillant sur les politiques socioéconomiques de territoire, l’approche de Mohamed Bazoum, «  en disant que les Nigériens vont aider les Maliens, est aussi à analyser sous l’angle d’une volonté hégémonique de la diplomatie nigérienne dans le Sahel.  »

Bazoum, «  un grand ami du Mali  »

Selon une source diplomatique, plusieurs personnalités politiques étaient présentes lors de l’investiture, dont Bokary Treta du Rassemblement pour le Mali (RPM), Demba Traoré de l’Union pour la République et la démocratie (URD, parti de l’ancien chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé), Aliou Boubacar Diallo de l’Alliance démocratique pour la paix – Maliba (ADP-Maliba), ainsi que Tiébilé Dramé du Parti pour la renaissance nationale (Parena).

LE  NATIONALISME MALIEN  NE DOIT PAS NOUS EMPÊCHER DE REGARDER LA RÉALITÉ EN FACE

Ces derniers ont réagi sur un ton plus conciliant. Demba Traoré estime pour sa part que le nouveau président nigérien «  avait besoin d’un discours pour donner le ton  » et appelle à se concentrer sur l’essentiel : « l’insécurité galopante dont l’épicentre a glissé du Nord vers le Centre. » « La région de Sikasso, qui était hors de danger, commence à subir des attaques », s’alarme-t-il.

De son côté, Tiebilé Dramé décrit Mohamed Bazoum comme «  un grand ami du Mali  », pays dont «  il était l’avocat sur la scène internationale, défendant sa souveraineté, l’intégrité de son territoire et l’unité de la nation malienne.  »

«  Devenu président, il n’a pas varié. Il veut aider ses frères maliens à se réconcilier et à reconstituer leur État, poursuit l’ancien ministre des Affaires étrangères du Mali. Il recommande comme toute la communauté internationale, comme l’État malien, l’application de l’accord. Mieux, reconnaissant les limites de l’APR, il recommande d’aller au-delà, de ‘le dépasser’, en d’autres termes de le relire ! Le  nationalisme malien  ne doit pas nous empêcher de regarder la réalité en face.  Les Maliens devraient  se concentrer sur leur pays. »

 Source: Jeune Afrique