« Il suffit d’un coup de volant et on se retrouve dans l’eau » : au Ghana, le littoral menacé par l’érosion

Le port de pêche d’Elmina, au pied du fort Saint-Georges-de-la-Mine, au Ghana, le 26 mars 2021. En arrière-plan, des digues de rochers anti-érosion. VINCENT PAILHÉ

La route qui mène à Elmina, sur la côte ghanéenne, ressemble à un paysage de carte postale : la mer, les cocotiers et, en arrière-plan, la silhouette pâle et massive du fort Saint-Georges-de-la-Mine, une visite incontournable pour les touristes. Mais ce décor idyllique cache une menace sourde : année après année, l’océan grignote le littoral. Déjà, les plages de sable blanc disparaissent sous des digues de rochers destinées à empêcher les vagues de venir lécher la route.

« Les gens du coin se souviennent d’un temps où il fallait marcher pour atteindre la mer », maugrée Donatus Angnuureng, chercheur à l’Université de Cape Coast (une ville voisine d’Elmina) et membre du Centre africain d’excellence pour la résilience côtière : « Aujourd’hui, il suffit d’un coup de volant et on se retrouve dans l’eau. Et pourtant, regardez tous ces sites en construction ! » Sur une plage réduite à la portion congrue se dressent les squelettes en bois de futurs complexes touristiques, à quelques mètres du bord de l’eau. Un investissement éphémère, prévient le géographe : l’océan aura vite raison des fragiles édifices.

Sous l’effet de l’érosion, la mer gagne un à deux mètres par an et jusqu’à 17 mètres à certains endroits, comme à Dzita, sur la côte est, estime Donatus Angnuureng. « Tout le littoral ghanéen est concerné : marginalement à l’ouest, par endroits au centre, massivement à l’est », résume-t-il. Le phénomène évolue rapidement : le chercheur rapporte que dans la région orientale de la Volta, le trait de côte recule de huit mètres par an, contre seulement deux il y a quelques années. Le village de pêcheurs de Fuvemeh, près de la ville de Keta, est devenu un cas emblématique. Les vagues ont dévoré ses 80 maisons, ses plantations et son école, contraignant les habitants à se réfugier dans les localités voisines.

Ruée vers l’or

Cette situation est en partie le prix à payer pour le décollage économique du Ghana lors des dix dernières années, explique Kwasi Addo Appeaning, directeur de l’Institut d’études environnementales et d’assainissement de l’Université du Ghana : « L’érosion est un phénomène ancien et naturel. C’est lorsque les activités humaines s’en mêlent qu’elle devient un problème. » Les 550 km de côtes du Ghana concentrent un quart de sa population et 80 % de ses activités industrielles : opérations portuaires, production d’hydrocarbures, énergie hydroélectrique… En 1965, la construction du gigantesque barrage d’Akosombo, sur le lac Volta, a considérablement réduit l’apport de sédiments sur la côte orientale, provoquant des déficits sableux sur les plages environnantes.

En ce qui concerne Elmina, tout s’est aggravé d’un coup après la ruée vers l’or de 2011, lorsque des centaines de mineurs illégaux sont venus creuser le rivage à la recherche du précieux minerai, relate Kwasi Addo Appeaning : « Le galamsey [exploitation minière illégale à petite échelle] a bouleversé le fragile équilibre de la côte. En quelques mois, l’érosion est devenue un souci majeur à Elmina. »

Un autre commerce illicite est venu détériorer les côtes ghanéennes : l’extraction de sable. Prélevé clandestinement sur les plages, il est revendu directement aux entreprises de construction. Une pratique informelle mais dont les auteurs sont rarement inquiétés par les autorités. Le journaliste Prosper Agbenyega a ainsi révélé, en mars, qu’une quarantaine de camions chargés de sable ghanéen faisaient quotidiennement la navette entre la commune frontalière d’Aflao et le Togo voisin. A moindre échelle, il n’est pas rare de croiser sur les plages d’Elmina des hommes ou des adolescents en train de fouiller dans les dernières bandes de sable. Les lourds seaux de limon sont ensuite revendus sur les chantiers voisins pour une poignée de centimes.

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Toutes ces activités humaines amplifient la montée des eaux liée au réchauffement climatique, qui risque de prendre des proportions dramatiques.

« Pour l’heure, le niveau de la mer augmente de 3 mm par an, mais la courbe est exponentielle, prévient Donatus Angnuureng. On estime que l’augmentation atteindra un mètre d’ici à 2100. Si nous laissons cela se produire, les zones côtières basses, en particulier dans l’est, seront toutes inondées. Nous perdrons des terrains, des champs, des villages, beaucoup d’infrastructures. Toutes les communautés côtières seront affectées, et en premier lieu les communautés de pêcheurs. »

Car si le littoral est un poumon économique du Ghana, c’est aussi grâce à ses ports. La pêche, qui représente 1,1 % du PIB, fournit un moyen de subsistance à 2,4 millions de personnes. A Elmina, les barques amarrées au pied du fort, avec leurs coques bigarrées, font les délices des photographes amateurs. Mais au sein des communautés de pêcheurs, on s’inquiète pour l’avenir. « Les gens sont conscients du problème et doivent trouver des solutions avec les moyens du bord », souligne Donatus Angnuureng. La plupart des communautés côtières choisissent de rester près de l’océan, mais en privilégiant des logements de plus en plus temporaires. Aux bâtiments en dur ont succédé des bicoques érigées à la hâte et vouées à être balayées par les vagues après quelques mois.

« Faute de plan structuré, les communautés s’adaptent au jour le jour, résume Kwasi Addo Appeaning. Et quand la situation n’est plus tenable, comme à Fuvemeh, elles déménagent dans les localités voisines. » Le chercheur dit observer d’ores et déjà quelques mouvements migratoires depuis le littoral vers l’intérieur des terres : « Nos premiers migrants climatiques, en somme. »

Défenses maritimes

Conscient de l’ampleur du phénomène, le gouvernement a placé la dégradation marine et côtière parmi les priorités de sa politique environnementale. Lorsque les pêcheurs d’Elmina se sont adressés aux autorités en 2015 pour protéger leur littoral, la réaction a été rapide, raconte Daniel Agyei, qui navigue dans les eaux de Cape Coast depuis une quinzaine d’années : « L’Etat a fait poser des blocs de rochers le long des plages pour créer des digues et des jetées. Depuis, la mer ne détruit plus nos habitations ! »

Ces « défenses maritimes » – le nom officiel de ces installations – recouvrent désormais cinq kilomètres de côte entre Cape Coast et Elmina ; elles ont coûté près de 60 millions d’euros au gouvernement. Certes efficaces pour lutter contre l’érosion, elles posent cependant d’autres problèmes aux communautés locales. « Il est devenu plus difficile pour nos barques de manœuvrer aux abords du littoral, relève Daniel Agyei. Si vous êtes en mer et qu’il vous arrive un accident, vous devez pouvoir accoster en urgence. Ce n’est plus possible maintenant : il faut souquer jusqu’aux criques de sable entre les rochers. »

En outre, les défenses maritimes entravent la circulation des sédiments. « La mer apporte du sable à l’embouchure de l’estuaire, et ce sable est piégé par les rochers », détaille Kofi Susu, représentant du chef des pêcheurs d’Elmina : « Résultat : l’estuaire s’envase progressivement et l’entrée devient peu profonde. A marée basse, nos barques ne peuvent plus passer. »

« Les structures d’ingénierie lourde sont une réponse relativement efficace pour protéger les côtes de l’érosion, localement et à court terme, nuance Donatus Angnuureng. Mais à moins d’installer des digues sur tout le littoral, on déplace juste le problème vers les plages voisines. » Le Ghana a eu massivement recours à cette solution depuis le lancement, en 2001, du Sea Defense Project de Keta, dans l’est du pays. Depuis vingt ans, ce sont une centaine de kilomètres de côtes que l’Etat a ainsi entrepris de protéger, une initiative globalement bien accueillie par les communautés locales. Le 31 mars, des habitants de Salakope, dans la région de la Volta, ont même bloqué les routes pour interpeller les autorités, réclamant la construction de défenses maritimes pour empêcher les vagues de balayer leur village.

« La question est la suivante, interroge Kwasi Addo Appeaning. Doit-on continuer de faire appel à la seule ingénierie lourde ou va-t-on enfin chercher une alternative plus durable pour s’adapter à la situation ? » Le chercheur invite les autorités à adopter une approche « douce », plus respectueuse de l’environnement. « Poser des digues ne suffit pas, martèle-t-il. Il faut aussi sensibiliser les populations, pour que cessent les pratiques destructrices de la côte, et rééquilibrer les écosystèmes. Nous devons replanter des mangroves, des cocotiers, et mettre en place, dans la mesure du possible, des aires maritimes protégées. »

 Source: Le Monde