Livraisons retardées, innocuité questionnée et, surtout, moindre efficacité sur le variant dit « sud-africain » : les ennuis s’accumulent autour du vaccin AstraZeneca, dont dépendent presque tous les pays africains pour lancer leur campagne de vaccination contre le Covid-19. La solution anglo-suédoise, la moins chère et la plus facile à utiliser, a été retenue par le mécanisme de solidarité internationale Covax, qui doit assurer gratuitement la vaccination de 20 % de la population des 92 pays à revenus faibles ou intermédiaires.
Tous les pays du continent y sont éligibles et 31 d’entre eux ont déjà reçu quelque 16 millions de doses avant que le Serum Institute of India, auquel la fabrication du vaccin a été sous-traitée, ne soit contraint de suspendre ses exportations sur ordre du gouvernement indien. Mardi 6 avril, le laboratoire a laissé entendre que ses livraisons pourraient reprendre en juin si la flambée épidémique est maîtrisée dans le pays. Le directeur du Centre africain de prévention et de contrôle des maladies (CDC-Africa), John Nkengasong, ne cache pas que des retards prolongés pourraient devenir « vraiment problématiques pour le déroulement des campagnes de vaccination ».
La diffusion du variant « sud-africain » forme une ombre encore plus inquiétante sur l’issue de la crise sanitaire. Le 9 février, le gouvernement sud-africain a choisi de mettre de côté le million de doses AstraZeneca qu’il avait commandées. Une étude menée par le laboratoire Krisp (KwaZulu-Natal Research Innovation and Sequencing Platform), à Durban, venait de révéler que l’action du vaccin sur les formes modérées de la maladie s’effondrait en présence de la mutation B.1.351. Aucune réponse n’était apportée sur le comportement du vaccin en présence de formes graves de l’infection.
Or la contagiosité de ce variant est suspectée d’être en grande partie à l’origine de la deuxième vague, plus mortelle, qui a touché l’Afrique australe fin 2020. La souche mutante s’est depuis rapidement diffusée et elle a été déclarée par 18 pays situés aussi bien aux frontières de l’Afrique du Sud qu’à l’extrémité occidentale du continent, comme en Gambie. « Cela fait partie des sujets qui m’empêchent de dormir », a reconnu Matshidiso Moeti, la directrice du bureau africain de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
« Le respect des mesures barrières est devenu anecdotique »
Un réseau de surveillance génomique financé par l’OMS et le CDC-Africa a été mis en place pour suivre la circulation du virus et de ses variants. Il repose sur douze laboratoires dotés de capacités de séquençage, auxquels les pays démunis – et ils sont une majorité – envoient des échantillons du virus, en théorie une fois par mois.
Le Cameroun, où la présence du variant a été confirmée pour la première fois le 15 janvier, s’appuie sur ce réseau et sur une collaboration avec des laboratoires français. Quinze jours peuvent être nécessaires pour obtenir les résultats. « Il est pour le moment impossible de dire dans quelles proportions le variant génère les nouvelles contaminations », relève le professeur Yap Boum, de Médecins sans frontières (MSF) : « Mais il pourrait bien être responsable de la très haute augmentation du nombre de cas et de décès observés au Cameroun, dans un climat où le respect des mesures barrières est devenu anecdotique. Des analyses sont en cours et le conseil scientifique des urgences de santé publique s’appuiera certainement sur les résultats pour arrêter la stratégie vaccinale. »
Mi-mars, les scientifiques ont recommandé au gouvernement camerounais de « se donner un délai » avant de se prononcer sur l’utilisation du vaccin AstraZeneca. Tant en raison des inquiétudes sur ses possibles effets secondaires que sur son efficacité sur le variant sud-africain.
Au Ghana, la présence du variant ne fait pas non plus de doute. Elle a été prouvée par l’un des laboratoires partenaires du réseau de surveillance, le West African Centre for Cell Biology of Infectious Pathogens (Waccbip) de l’Université du Ghana, qui a séquencé le virus en janvier. « La majorité des cas de Covid-19 sont asymptomatiques et peu de malades se rendent à l’hôpital », reconnaît John Amuasi, chercheur au Centre de recherche collaborative en médecine tropicale de Kumasi (KCCR) : « Faute d’un recensement systématique des patients, l’étendue de la propagation du variant sud-africain reste encore à déterminer avec précision. La seule chose qu’on puisse affirmer avec certitude, c’est qu’il est bien là. »
Quant à l’impact du variant sur la campagne vaccinale, le docteur Amuasi incite à la prudence : « Nous savons que le vaccin AstraZeneca est moins efficace sur ce variant. Mais moins efficace, cela ne veut pas dire inefficace. La présence du variant sur notre territoire ne devrait en aucun cas nous inciter à interrompre la vaccination. » Le 24 février, le Ghana a été le premier pays au monde à recevoir le vaccin AstraZeneca dans le cadre du dispositif Covax.
« Si le variant s’impose, il faudra avoir recours à un autre vaccin »
John Nkengasong plaide aussi pour la prudence : « Nous devons surveiller étroitement la circulation du variant en faisant chaque mois des tests sur des sites sentinelles. Mais faisons attention à ne pas tirer des conclusions hâtives : il suffit que le variant soit analysé dans un échantillon pour que le pays soit fiché. Cela ne signifie pas qu’il est prédominant et qu’il faut suspendre la vaccination avec AstraZeneca. » Le directeur du CDC-Africa reconnaît cependant que lorsque ce seuil sera franchi, il deviendra difficile de continuer de recommander le procédé anglo-suédois. C’est déjà le cas en Afrique du Sud depuis janvier. Et tout laisse penser que le Zimbabwe et le Botswana connaissent la même situation.
« La dépendance de l’Afrique à l’AstraZeneca est une source d’inquiétude. Nous ne savons pas comment la situation va évoluer mais si le variant s’impose, il faudra avoir recours à un autre vaccin ou AstraZeneca devra adapter sa réponse », prévient aussi Anthony Costello, professeur en santé mondiale au University College de Londres.
L’Union africaine n’a pas attendu pour changer son fusil d’épaule. Le 29 mars, la plateforme africaine pour l’achat de vaccins (Avatt) a annoncé avoir finalisé la commande de 400 millions de doses à Johnson & Johnson. Les premiers lots ne seront pas livrés avant l’été, mais presque tous les membres de l’organisation panafricaine ont réservé leur quote-part.
D’ici là, les campagnes de vaccination avec AstraZeneca doivent continuer là où il est encore disponible. Jeudi, en réaction aux annonces de l’Agence européenne du médicament assurant que les cas de caillots sanguins constituent un effet indésirable très rare, les responsables de l’OMS et du CDC-Africa ont répété à l’unisson : « Les bénéfices de ce vaccin l’emportent largement sur les risques. »
Source: Le Monde