Depuis les États-Unis ou l’Europe où ils se sont installés, ils continuent de vouloir peser sur la vie politique de leur pays. Portraits de trois activistes qui ne ménagent aucun effort à la veille de la présidentielle.
Depuis samedi 13 février, la page Facebook de Vital Panou grouille de milliers de commentaires. L’activiste politique, suivi par plus de 80 000 personnes, a reçu ce jour-là, dans une de ses émissions qu’il diffuse via l’application Zoom, Ahmed Tidjani Affo, alias « Souwi », député de la mouvance présidentielle. Depuis son salon, cet encarté à l’Union progressiste (UP), l’un des deux blocs politiques qui siègent au parlement, a fait une surprenante confidence à l’influenceur : « Je pensais que chaque député était libre de faire le choix du candidat qu’il allait parrainer. Moi, je voulais donner mon parrainage à Reckya Madougou [candidate des Démocrates à la présidentielle du 11 avril, ndlr]. Mais je ne sais pas à qui mon parti a donné mon parrainage. »
Une affirmation qui a secoué le Landerneau politique, alors que la Commission électorale nationale autonome (Cena) avait recalé, le 12 février, une grande partie des candidatures de l’opposition, faute de parrainages. Et si la Cour constitutionnelle, saisie par « Souwi », a rejeté la requête jeudi 18 février, les affirmations du député au webactiviste continue de faire couler beaucoup d’encre.
Vital Panou et « les voies discordantes »
C’est justement pour ces exclusivités que le compte de Vital Panou, 48 ans, est si populaire. « Les informations que je donne sur ma page, vous ne les retrouverez nulle part ailleurs », affirme celui qui, depuis une vingtaine d’années, vit aux États-Unis.
Son engagement politique sur les réseaux sociaux a commencé en 2012, sous Thomas Boni Yayi, qu’il s’est évertué à critiquer tout le long de son second mandat. « Pourtant, je l’avais soutenu en 2006. Mais en dix ans, le pays que j’avais quitté en 2000, n’avait pas réellement changé. Le délestage, la malgouvernance, la corruption, les concours frauduleux… rien n’avait bougé ».
L’informaticien monte alors plusieurs sites d’information en ligne sur le Bénin, dont Zapping229, qu’il anime depuis 2014 et sur lequel, à travers des vidéos d’archives, il dénonce les incohérences entre les promesses des hommes politiques et leurs actes.
Critique également de Patrice Talon depuis son accession au pouvoir, celui qui travaille pour une chaîne de distribution en Caroline du Nord organise chaque week-end, depuis son studio, des débats sur l’actualité politique en ligne dans lesquels il donne principalement la parole à l’opposition.
« C’est un devoir. Les voies discordantes ne peuvent plus s’exprimer. Les opposants sont en exil, exclus des joutes électorales et privés d’espace d’expression », assure ce père de trois enfants.
Aledjo Maora, la « désillusion »
Benedite Babadoudou, 35 ans, connue sur Facebook sous le nom de Aledjo Maora, vit pour sa part en Belgique depuis 2011. Sa page Facebook, d’où elle lance régulièrement des piques contre Patrice Talon , compte plus de 30 000 abonnés. Pourtant, elle n’a pas toujours été opposée au président béninois. « Sa candidature avait suscité beaucoup d’espoir au sein de la jeunesse. Mais aujourd’hui, c’est la désillusion », estime-t-elle.
Cette fille d’enseignant reproche principalement à Patrice Talon de s’être fait rembourser, moins d’un mois après son accession au pouvoir, la somme de 12 milliards de francs CFA (18 millions d’euros) due par le régime précédent au titre des réquisition des usines d’égrenage de la Sodeco durant sa brouille avec son prédécesseur. « Il nous avait dit que les caisses de l’État étaient vides. Or il fallait d’abord penser à l’intérêt général au lieu de se remplir les poches », affirme Aledjo Maora.
Celle qui arbore fièrement un béret rouge sur son profil a très vite rejoint, en 2016, le rang de l’opposition. N’en déplaise à certains de ses proches qui continuent de soutenir le régime. « Aledjo, c’est le phénomène de la famille. C’est une forte tête qui fait ce qu’elle veut. Depuis toute petite, elle a toujours été turbulente. Elle a une belle plume et sait se mettre en scène avec des photos. Cela fait d’elle une véritable trublionne des réseaux sociaux », explique un proche, qui est au contraire sympathisant de Patrice Talon.
Aledjo n’épargne pas non plus l’opposition. Dans un post publié sur sa page Facebook le 12 février, elle estime que les leaders politiques ont perdu leur temps dans « une lutte de leadership » au lieu de s’unir « pour libérer le peuple ».
Dine Adechian, « porte-voix des sans-voix »
Mais l’opposition a beau s’unir, aurait-elle pu faire mieux « face aux lois d’exclusion et dans un paysage politique aussi verrouillé ? », s’interroge Dine Adechian, 40 ans, qui réside à Paris depuis 1998. Proche au départ du parti Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE) en raison de ses liens d’amitiés avec les enfants de Thomas Boni Yayi, ce fils de diplomate a vécu quelques années en Chine, où son père était ambassadeur, avant de rejoindre la France pour ses études.
Consultant indépendant sur les questions de fiscalité, après avoir travaillé une dizaine d’années chez Ernst and Young, Dine Adechian a d’abord eu un engagement citoyen sur les réseaux sociaux en créant en 2012, un gouvernement virtuel pour « permettre aux jeunes d’échanger et de comprendre les contrariétés de l’exercice du pouvoir ».
Après avoir battu campagne pour Lionel Zinsou en 2016, il est resté dans l’opposition. Mais à distance. Et son militantisme s’est encore renforcé après la répression des manifestations lors des législatives de mai 2019 et le projet de taxe sur les réseaux sociaux, un an plus tôt.
Sur Facebook, où son compte est suivi par 16 000 personnes, il se veut être le « porte-voix des sans-voix ». « Le régime a réduit considérablement les espaces de libertés. Pas que dans le domaine numérique. L’une des premières mesures du gouvernement a été déjà d’interdire les syndicats estudiantins et les manifestations de masse, assure-t-il. Nous sommes perçus comme des gens qui peuvent dire tout haut ce que beaucoup pensent. Nos messageries sont des réceptacles des frustrations des populations ».
Dans le viseur de ces activistes, également, le code du numérique, vote en 2017. Le 9 février, un activiste a été condamné à douze mois de prison ferme pour « harcèlement par voie numérique » après avoir allégué sur les réseaux sociaux que le président aurait loué son propre véhicule personnel à l’État dans le cadre d’une tournée nationale.
Mais le cas le plus marquant a été celui du journaliste Ignace Sossou, condamné en mai 2020 à 12 mois de prison dont six avec sursis après avoir relayé sur Twitter des propos attribués au procureur de la République Mario Métonou. De fait, le pays a été rétrogradé à la 113ème place dans le classement 2020 sur la liberté de presse de Reporters sans frontières (RSF).
« Il ne suffit pas de rester à l’étranger et d’être dans une posture paranoïaque pour avoir raison, répond Wilfried Léandre Houngbédji, directeur de la communication de la présidence. Il faut assumer ses prises de position. La liberté d’expression, c’est le droit de dire tout ce qu’on veut, mais c’est aussi le devoir d’en répondre ou d’en apporter les preuves. Si vous calomniez sur les réseaux sociaux, c’est la moindre des choses que la justice vous demande des comptes ».
Source: Jeune Afrique