Après la mort de 13 Turcs qui étaient otages du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) en Irak, Recep Tayyip Erdogan a accusé lundi 15 février les Etats-Unis de soutenir les « terroristes kurdes ». L’ambassadeur américain à Ankara a même été convoqué. Les États-Unis ont fait une mise au point en dénonçant la responsabilité des « terroristes du PKK ». L’analyse de Yohanan Benhaim, spécialiste de la politique étrangères turque, co-fondateur du centre de recherche Noria.
Depuis 2014, les États-Unis ont trouvé dans les groupes kurdes de Syrie – les YPG, proches du PKK – des alliés militaires efficaces dans la lutte contre l’État islamique. C’est pour cela qu’après la chute de Kobané, les États-Unis, et certains autres pays européens d’ailleurs, ont soutenu militairement, logistiquement, parfois politiquement, ces alliés kurdes en Syrie dans le cadre de la lutte contre l’État islamique. Cette politique occidentale, et en particulier américaine, a été extrêmement mal vécue par Ankara qui accusent les puissances occidentales de soutenir des groupes qui sont liés au PKK avec lequel l’État turc est en guerre depuis 1984. Par ailleurs, les États-Unis accueillent aussi Fethullah Gülen, accusé par le gouvernement turc d’être derrière la tentative de coup d’État de juillet 2016.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’équipe de Joe Biden est composée majoritairement de membres de l’ancienne équipe de Barack Obama qui ont construit cette politique de rapprochement avec des groupes proches du PKK en Syrie. Et c’est pour ça que la Turquie, aujourd’hui consciente de ce changement d’équipe qui ne lui est pas favorable, profite de cette occasion pour mettre la pression sur son partenaire américain afin qu’il prenne ses distances vis-à-vis du PKK et de ses alliés syriens.
Il faut aussi ajouter que cette volonté de pousser les Américains à rompre le contact avec le PKK et ses alliés en Syrie et en Irak a aussi pour objectif de favoriser l’acceptation par les États-Unis et les acteurs de la région d’une opération que la Turquie souhaite mener au Sinjar, un des bastions qu’il reste du PKK en Irak, à la frontière entre l’Irak et la Syrie. Et alors que la Turquie souhaite depuis plusieurs mois maintenant mener cette opération au Sinjar, il est possible que ces assassinats lui offre l’occasion qu’elle attendait pour mettre en place cette opération.
Que sait-on de la mort de ces 13 Turcs aux mains du PKK ? Dans quel contexte a-t-elle eu lieu ?
Il est extrêmement difficile d’établir des conclusions définitives à ce stade : l’État turc accuse le PKK de les avoir assassinés ; ce dernier affirme au contraire qu’ils sont morts dans un bombardement de l’aviation turque. Il semblerait que ces otages, visiblement des policiers et des militaires turcs pour la plupart, aient été détenus par le PKK depuis plusieurs années déjà, et que leur mort intervienne dans un contexte où l’armée turque aurait mené une opération pour aller les sauver.
Ce type d’exécution d’otages est extrêmement rare : le PKK libère généralement ses otages après un processus de discussion et de négociations avec les autorités turques, souvent dans le cadre d’échanges de prisonniers. Il faut aussi rappeler le contexte dans lequel s’inscrivent ces morts. L’État turc et le PKK sont engagés depuis 2015 dans la guerre après un échec du processus de discussions qui avait lieu depuis quelques années. En Turquie, on a assisté à une guerre extrêmement destructrice, notamment dans les régions à majorité kurde du pays. En Syrie, des opérations militaires de très grande ampleur ont été menées avec une occupation du territoire le long de la bande frontalière, par les forces turques et ses alliés, notamment contre les forces kurdes de Syrie. Et en Irak, on observe depuis plus d’un an et demi une intensification très importante des combats et des opérations turques, avec l’usage massif de drones et avec le soutien du PDK irakien, un parti kurde irakien.
On peut aussi ajouter que cette guerre contre le PKK et le récent drame qui est arrivé à ces otages turcs représentent une occasion de criminaliser encore davantage le parti kurde légal de Turquie, le HDP. On a vu aujourd’hui des centaines d’arrestations contre ce parti légal et ses sympathisants.
Pourquoi le président turc Recep Tayyip Erdogan adopte-t-il une position si belliqueuse contre le PKK mais aussi sur d’autres terrains ?
Depuis 2015, il faut rappeler que Recep Tayyip Erdogan ne gouverne plus seul le pays. L’AKP est en effet en coalition avec un autre parti, le Parti d’extrême droite nationaliste MHP. Cette coalition explique aussi ce choix d’une solution exclusivement militaire contre le PKK, légitimée par un discours nationaliste et belliciste contre le mouvement kurde.
En parallèle, cela s’accompagne en politique étrangère de l’émergence d’un consensus autour de l’idée que la Turquie doit réaffirmer sa souveraineté et remettre en question certains aspects du statu quo international issu du traité de Lausanne notamment. Il faut noter que ce discours trouve des soutiens au-delà de la coalition au pouvoir, chez une grande partie des partis politiques d’opposition qui soutient cette politique d’affirmation souverainiste. Et c’est dans ce cadre que cette nouvelle ambition internationale de la Turquie peut parfois entrer en opposition avec les stratégies de certains de ses alliés.
Source: Rfi