Le procès de deux miliciens centrafricains doit s’ouvrir le 16 février devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye. Alfred Yekatom Rombhot et Patrice-Edouard Ngaïssona sont tous deux accusés de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis lors de la troisième guerre civile de Centrafrique, de décembre 2013 à août 2014.
Tout a commencé « aux premières heures du matin du 5 décembre 2013 », selon les accusations portées contre Patrice-Edouard Ngaïssona et Edouard Yekatom. Ce matin-là, « des éléments anti-balaka dirigés par Yekatom ont attaqué le marché de Boeing à Bangui, ciblant spécifiquement les magasins appartenant à des musulmans et tuant entre cinq et treize commerçants ». Pour l’accusation, la prise de la capitale centrafricaine fut « un point crucial pour la mise en place du plan stratégique » de la milice.
Ce plan stratégique, Patrice-Edouard Ngaïssona l’aurait élaboré avec le cercle proche de François Bozizé lors de réunions organisées en France et au Cameroun notamment. « Leur objectif était de prendre ou de reprendre le pouvoir en Centrafrique », lit-on dans la décision de confirmation des charges contre les deux accusés. En août 2012, les Seleka avaient conduit leurs premières attaques visant à renverser le pouvoir de Français Bozizé. En mars 2013, le général centrafricain est renversé. En exil, il prépare son retour.
Une auto-défense nourrie par la vengeance
Selon les charges, Patrice-Edouard Ngaïssona, riche homme d’affaires, aurait fourni les financements, préparé les attaques, procuré les munitions, donné les ordres. Mais pour le procureur, celui qui est alors aussi président de la Fédération centrafricaine de football en 2008, comme ses complices, « savaient qu’en mobilisant et en utilisant » des groupes d’auto-défense anti-balaka, « nourris par la vengeance et la haine des musulmans à cause des atrocités commises par la Seleka », cibleraient violemment la population civile musulmane. C’est ce que fait Alfred Yekatom, co-accusé, qui selon l’accusation, aurait pris la tête de 3 000 hommes, dont 200 ex-soldats et officiers des Forces armées centrafricaines (Faca). Les miliciens conduisent des représailles au cours d’une campagne ciblant « la population civile musulmane, selon l’accusation, sur base ethnique ou religieuse et perçue comme complice ou proche de la Seleka. »
La liste des crimes commis par les deux accusés est longue : meurtres, transferts forcés de population, privation de liberté, torture, persécution, traitement cruel, mutilation, attaque contre des bâtiments destinés à la religion, destruction de propriétés de l’adversaire, enrôlement d’enfants de moins de 15 ans. Patrice-Edouard Ngaïssona est aussi poursuivi pour viols. Le procureur a aussi voulu, trop tardivement, ajouter des charges de viols et d’esclavage sexuel contre Alfred Yekatom, mais les juges s’y sont opposés.
Rejet d’une partie des charges
L’affaire n’aura d’ailleurs pas démarré sous les meilleurs augures. En septembre 2019, les juges ont rejeté une partie des charges proposées par le procureur contre Patrice-Edouard Ngaïssona, pour des crimes commis dans certaines localités. Pour les magistrats, les éléments anti-balaka « avaient un haut degré d’autonomie opérationnelle », et dans certaines localités, M. Ngaïssona n’avait pas de contrôle sur leurs actions criminelles. L’une des difficultés de l’affaire est que « personne n’a d’expertise sur la coordination entre les mouvements anti-balaka », estime une source judiciaire, qui précise que « la seule fois où ils ont été coordonnés, c’est lorsqu’ils ont pris Bangui » en décembre 2013.
Patrice-Edouard Ngaïssona devient alors ministre de la Jeunesse et des sports. Il est arrêté en janvier 2019, lors d’un voyage en France. Élu député en 2016, six mois après avoir été frappé de sanctions par les Nations unies, Alfred Yekatom a été arrêté en flagrant délit fin octobre 2018, dans l’enceinte même du Parlement, après avoir tiré deux coups de feu. « Il était longtemps considéré comme un trop petit poisson pour être intéressant, indique cette même source, mais son arrestation fut une opportunité » pour la Cour. Lors des premières audiences du procès, prévues du 16 au 18 février, le procureur étayera les preuves sur lesquels il entend s’appuyer dans les prochains mois. Le premier témoin devrait déposer mi-mars. Au total, l’accusation prévoit d’appeler quelques 150 témoins.
La procureure avait ouvert une enquête sur les crimes commis entre 2012 et 2014 à la demande du gouvernement centrafricain. Fatou Bensouda avait assurée, dès le départ, que des responsables des deux camps – anti-balaka et Seleka – seraient poursuivis. Le 24 janvier, Mahamat Saïd, commandant dans la Seleka, était transféré dans la prison de la CPI à La Haye.
Source: Rfi