Seule l’Union africaine est capable de piloter une approche inclusive, intégrée et collective à même de soutenir des progrès durables vers la paix et le développement dans le Sahel.
Dans une récente tribune, Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute à Dakar, évoquait les risques graves liés à la croissance incontrôlée des groupes extrémistes violents, non seulement en Afrique de l’Ouest mais aussi en Afrique de l’Est, et ce que ce phénomène implique pour la sécurité du continent. Or la multiplication de ces groupes n’est qu’un des aspects de la profonde crise qui affecte la région du Sahel.
Ce qui a débuté en 2012 comme une (nouvelle) rébellion dans les régions du Nord-Mali est devenu beaucoup plus complexe au fil des années. La situation s’est trouvée exacerbée par un mélange toxique d’absence d’État, de corruption, d’impunité, d’aggravation des conditions environnementales sur fond de conflits anciens et de rivalités communautaires attisés par les groupes extrémistes violents.
Selon Amina J. Mohammed, vice-secrétaire générale des Nations unies, « seule une approche inclusive, intégrée et collective, prise en charge et dirigée par les pays de la région, permettra de soutenir des progrès durables vers la paix et le développement dont le Sahel a un besoin si urgent ». Et aucun autre acteur de la sous-région ne semble mieux placé que l’Union africaine [UA], en tant qu’institution régionale, pour jouer ce rôle. Tous les autres acteurs engagés dans la région devraient lui apporter leur soutien.
Pléthore d’acteurs et de stratégies
Pour tenter de résoudre la crise sahélienne, les initiatives – tant civiles que militaires – et les ressources investies sont nombreuses. Elles viennent des Nations unies, de l’Union européenne en tant qu’institution mais aussi de certains de ses pays membres, de l’Union africaine, de la Cedeao, et de pays tels que la France, les États-Unis, la Turquie, la Chine et la Russie.
Malgré tout, la situation continue de se détériorer. Cela tient essentiellement au manque de coordination régionale. Chacune de ces entités a son propre agenda, ses propres objectifs, qui peuvent aussi parfois entrer en compétition. Et qui sont fonction de contextes socio-historiques divers, les approches et les visions étant elles aussi différentes. Chaque partenaire suit son propre programme, travaille avec ses propres partenaires. Il en résulte souvent des initiatives concurrentes ou identiques, manifestant un clair manque de coordination. Et pendant ce temps, la crise s’étend.
Les pays du Maghreb sont naturellement concernés par l’évolution de la situation au Sahel. Les liens commerciaux, religieux, familiaux et communautaires sont anciens et la circulation de marchandises, de migrants, de combattants, d’armes, ainsi que divers autres trafics se poursuivent entre les deux régions.
Depuis les années 1990, l’Algérie en particulier a joué un rôle de médiateur entre l’État malien et les différentes rébellions du Nord, ce qui a abouti à l’accord de paix signé en 2015 à Alger. Ce pays partage de nombreux liens culturels et démographiques avec les communautés sahéliennes, et de longues frontières avec le Mali et le Niger. L’Algérie bénéficie de ce fait d’une bonne compréhension de l’histoire et de la politique régionales. Tout en ayant ses propres intérêts à défendre.
Ces atouts pourraient être précieux pour renforcer la stratégie de l’Union africaine au Sahel. L’institution tirerait profit du changement de régime – même relatif – à Alger et de l’ouverture de la politique étrangère aux opérations extérieures, ainsi que de sa position à la Commission paix et sécurité de l’UA.
Pour autant, l’Union africaine devra trouver un moyen de travailler avec l’Algérie et d’autres pays du Maghreb de façon à ce que les tensions existantes – et anciennes – ne nuisent pas à une stratégie portant sur le Sahel. C’est évidemment un défi majeur pour l’Union africaine que de persuader l’Algérie et le Maroc que, quels que soient leurs différends sur le Sahara occidental, ils doivent travailler ensemble. Pour ce faire, il faudra évidemment une diplomatie habile qui fait encore défaut et que l’Union africaine doit développer afin de devenir une organisation efficace.
Soutien international
La mise en place d’une stratégie Sahel requiert de l’UA qu’elle travaille en étroite collaboration avec les Nations unies. L’ONU est déjà présente sur le terrain à travers ses Casques bleus, ses fonds, ses programmes et agences. Cette présence peut aider la médiation, comme on l’a vu lorsque la Minusma facilitait les discussions à Ouagadougou ou à Alger. Un autre avantage de cette collaboration est que les agences onusiennes couvrent un large éventail de problématiques, non seulement en matière de sécurité, mais aussi de développement, d’environnement, et de soutien à l’État de droit. Des points sur lesquels une paix durable exige des progrès.
Le Niger, le Kenya et la Tunisie pourraient utiliser leurs sièges au Conseil de sécurité cette année pour promouvoir une collaboration plus étroite. L’Union africaine devra, de son côté, démontrer qu’elle peut amener ses propres membres à coopérer dans un esprit d’unité avant que l’on puisse attendre des Nations unies ou de l’Union européenne qu’elles pèsent de tout leur poids dans une stratégie régionale dirigée par l’UA.
Au-delà des Nations unies, l’UA aura toujours besoin du soutien de l’UE – et de ses États membres, dont la France – et du Royaume-Uni, actifs au Sahel, afin qu’ils soutiennent un cadre de coordination régionale. De nombreux domaines intrinsèques à la paix nécessiteront toujours leurs investissements et leur engagement.
Pour y parvenir – et gagner la confiance des autres acteurs dont le soutien et le respect seront essentiels –, l’UA devra développer des compétences et une approche plus affirmée de la coopération régionale qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent. La résolution de la crise au Sahel pourrait être le défi dont l’organisation a besoin.
Source: Jeune Afrique