Des écoles ont fermé en raison de la fuite d’enseignants pris pour cible, les déplacements sont devenus extrêmement dangereux, à la merci d’attaques ou d’engins explosifs dissimulés au bord de la route et les antennes relais de téléphonie mobile sont régulièrement détruites.
Dans l’extrême nord-est du Kenya, à la frontière avec la Somalie et l’Ethiopie, une grande partie de la population se sent abandonnée face aux exactions croissantes des shebab, un groupe islamiste radical somalien affilié à Al-Qaïda.
“Parfois, on a l’impression d’être en Somalie car les criminels de l’autre pays se déplacent librement et arrêtent des véhicules pour demander qui se trouve à l’intérieur”, explique à l’AFP Maalim Abdi, un commerçant de 48 ans dans cette région semi-désertique.
“Nous voulons nous sentir comme le reste du pays. Cela ne devrait pas être une malédiction que de vivre à la frontière”.
Quelque 1.000 kilomètres et un monde de différence séparent le comté de Mandera de l’activité frénétique de la capitale Nairobi. Pour son gouverneur, l’endroit est en train de passer sous le contrôle des shebab.
Dans un courrier publié en janvier, Ali Roba s’alarme ainsi des “déplacements imperturbables de cellules terroristes dans le comté”, un des 47 du pays, et accuse le gouvernement “d’échouer misérablement” à les stopper.
– Attaques islamistes –
Le responsable dénonce notamment les récentes attaques des shebab contre une ambulance transportant une femme enceinte et un poste de police, la décapitation d’un chef local en décembre, et la destruction régulière des antennes-relais qui empêche les communications.
Le gouverneur affirme également que 126 écoles restent fermées: plusieurs attaques contre des enseignants “non locaux” les ont poussés à fuir cette région majoritairement musulmane, qui vit principalement de l’élevage.
Le plus haut responsable sécuritaire du nord-est du Kenya a déploré dans un communiqué que le gouverneur aborde publiquement “des enjeux délicats et complexes de sécurité nationale” et a défendu les efforts du gouvernement.
“Il n’est pas question de nier que le comté fait face chaque jour à des événements décourageants en raison de sa proximité avec le couloir des shebab, mais il ne s’agit plus du terrain de jeu de l’ennemi”.
Le Kenya partage une longue frontière à l’est avec la Somalie et a été frappé à plusieurs reprises par les shebab, depuis qu’il y a envoyé des troupes pour les combattre en 2011.
Ces attaques contre le centre commercial Westgate en 2013 (67 morts), l’université de Garissa en 2015 (148 victimes) ou le complexe hôtelier Dusit à Nairobi en 2019 (21 morts) ont eu un fort retentissement médiatique.
Mais de nombreuses autres attaques de moindre envergure ont inlassablement ciblé policiers et civils près de la frontière, où les shebab se font de plus en plus présents.
– “Vie d’avant” –
Pour Meron Elias, spécialiste de la Corne de l’Afrique pour l’International Crisis Group, le courrier du gouverneur Roba s’apparente à une “exagération”: les mesures de sécurité instaurées par le gouvernement ne permettent pas aux shebab de contrôler des portions significatives de la région.
“Cela dit, le problème des shebab dans le nord-est du Kenya est sérieux. (…) L’insécurité, la marginalisation, le manque de services publics et le sentiment de terreur causé par le groupe dans la région rendent la vie de ses habitants très difficile”, estime la chercheuse.
Selon elle, les shebab ont intensifié leur recrutement local, même s’il demeure difficile de savoir si les auteurs des attaques sont somaliens ou kényans.
“Le groupe veut isoler un peu plus le nord-est du Kenya du reste du pays et empêche le gouvernement de fournir des services et d’exercer son contrôle dans cette vaste région faiblement peuplée.”
Outre les shebab, les habitants de Mandera subissent malgré eux une dispute politique somalienne entre le gouvernement fédéral de Mogadiscio et les autorités régionales du Jubaland, au sud du pays, dans laquelle le Kenya s’est retrouvé impliqué. Ce différend a provoqué plusieurs fusillades à la frontière qui ont fait 12 blessés en janvier.
Pour Fatuma Abdi, mère de six enfants, vivre à Mandera est devenu intenable.
“Nous sommes tellement habitués aux coups de feu et aux explosions, mais nous voulons que ça s’arrête. Les commerces ne fonctionnent pas normalement, la plupart des écoles sont fermées, nous voulons notre vie d’avant”.
Source: Tv5 monde