Accroupis sur le sol rocailleux à la tombée du jour, de jeunes officiers d’infanterie reprennent leur souffle en attendant les ordres. Cette nuit sera leur dernière à l’Ecole du désert, après deux semaines harassantes dans les collines arides du sud de Djibouti.
“Ce matin on s’est levé à 3h30. Mais ces derniers jours on était en véhicule, ça permet de récupérer un peu”, raconte le lieutenant Bastien en engloutissant une ration militaire, visage couvert de sable, dos calé contre son gilet pare-balles.
Vers 20h00, les ordres sont lus à la lumière des lampes frontales. Au matin, la compagnie devra s’emparer d’un des ponts enjambant la voie de chemin de fer Djibouti-Addis Abeba, après avoir reconnu le terrain et collecté du renseignement sur les positions adverses. La nuit sera courte pour les chefs de section, désignés à tour de rôle parmi les lieutenants.
“La mission des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, c’est de former de futurs officiers, avec une partie académique importante. Notre mission, c’est de former des chefs capables de commander au combat d’emblée”, explique le commandant Gregory, de l’Ecole d’infanterie de Draguignan, où les lieutenants suivent leur dernière année de formation avant de rejoindre un régiment.
En fin d’année sonne pour ces fantassins l’heure de l’entraînement au combat interarmes dans cette zone désertique à 6.000 km de Paris, où le thermomètre tutoie souvent les 50 degrés et qui offre à la France un terrain d’exercice unique. Au programme : 15 jours et nuits de manoeuvres mêlant progression à pied, blindés, hélicoptères, artillerie…
“Ici, on voit bien que l’infanterie est un pion parmi d’autres, l’aspect interarmes complexifie beaucoup les choses, on doit gérer la radio, le génie, la cavalerie…”, explique le lieutenant Quentin.
L’entraînement comprend aussi un aspect interallié, “caractéristique du travail des armées françaises en opérations extérieures”, fait valoir le commandant Gregory: des militaires américains et djiboutiens participent à l’exercice.
– Haute intensité –
Cette année, le scénario a évolué. Exit l’affrontement asymétrique contre un ennemi militairement plus faible, sur le modèle du conflit mené par la France au Sahel: pour cette édition 2021, les deux camps sont dotés de moyens équivalents. Objectif: se préparer aux conflits de “haute intensité”, une menace prise très au sérieux par l’état-major.
“Le temps de grimper une colline, une Gazelle (hélicoptère d’attaque, ndr) était en face de nous, c’était impressionnant“, raconte le lieutenant Estelle, 28 ans, diplômée de pharmacie reconvertie dans l’armée, seule femme de sa promotion.
Après un départ au clair de lune, la colonne de VAB (véhicules de l’avant blindé) et de camions s’ébranle vers une zone montagneuse. Premier arrêt pour observer le paysage vallonné depuis les hauteurs.
“On a repéré 3 VAB à 1.500 mètres en contrebas. Avec les Américains on va faire des bonds successifs en nous appuyant à tour de rôle”, détaille le lieutenant Donatien, 25 ans, carte topographique en main, à couvert avec un camarade djiboutien derrière des amas de roche.
Soudain, les tirs claquent. L’équipe de tête est prise à partie. “En position, en position!” crie un lieutenant en ordonnant à ses hommes de se déployer le long la ligne de crête.
Dans le ciel, deux Mirage 2000 surgissent et survolent la vallée à basse altitude dans un bruit fracassant. Un “show of force” destiné à sidérer l’adversaire.
“Pour beaucoup d’entre nous, c’est le premier déploiement en Afrique avec l’armée. Il y a beaucoup de moyens, on touche vraiment ce qu’on va faire en opérations”, souligne le lieutenant Jules, 25 ans. Tous ont en tête l’opération Barkhane, qui mobilise plus de 5.000 Français au Sahel.
Arbitrage des instructeurs: l’échange de tirs a fait trois “blessés” au sein de la section. Les hommes font mine d’administrer les soins d’urgence: pression sur la plaie, pose de garrot, piqûre de morphine. Le VAB sanitaire arrive rapidement pour les évacuer.
“Prenez leur tête entre les mains, parlez-leur”, glisse le capitaine Vianney en observant la scène, tristement familière pour ce légionnaire rompu aux théâtres d’opérations.
“Pour un chef de section, c’est assez traumatisant d’avoir des blessés et des morts, mais il doit aussi éviter le sur-accident et poursuivre la manoeuvre”, recommande-t-il à la trentaine de lieutenants assemblés pour un “debrief”. “On doit sentir la voix du chef qui rassure et rappelle la mission”.
Source: Tv5 Monde