Les déclarations du patron de la DGSE française sur les projets d’expansion d’Al-Qaïda vers le Bénin et la Côte d’Ivoire ne nous apprennent rien que nous ne sachions déjà. Les pays ouest-africains doivent faire bloc et résister à la dispersion des efforts et des esprits.
Si le chef des services de renseignements extérieurs français souhaitait faire parler de lui, c’est réussi. S’il souhaitait attirer l’attention des décideurs politiques et des citoyens français sur l’incontestable utilité de l’institution qu’il dirige, ça l’est peut-être aussi. S’il voulait enfin susciter l’étonnement et un certain agacement des décideurs politiques, sécuritaires… et des responsables des agences de développement touristique des deux pays nommément cités, le Bénin et la Côte d’Ivoire, c’est indubitablement un succès.
De nombreuses alertes
La sortie de ce haut responsable français, lors d’un comité exécutif consacré à la lutte antiterroriste sur la base aérienne d’Orléans-Bricy, en présence de la ministre de la Défense, Florence Parly, et du chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, étonne d’autant plus que le risque d’une expansion de groupes armés se réclamant du jihadisme du Sahel vers les pays côtiers ouest-africains fait l’objet de rapports, d’études, de discussions informelles et de réunions tout à fait publiques depuis au moins quatre ans.
La station balnéaire de Grand-Bassam en Côte d’Ivoire a été frappée par un attentat terroriste en mars 2016. Le parc naturel de la Pendjari, situé en territoire béninois, près de la frontière avec le Burkina Faso, a été le théâtre d’un enlèvement en mai 2020, qui a coûté la vie à un guide touristique béninois et à deux soldats français pendant l’opération militaire qui a suivi en territoire burkinabè.
Il est vrai que le chef de la DGSE a apporté des éléments de preuve précis et spectaculaires, notamment une vidéo tournée au cœur d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmo), lors d’une réunion de ses principaux chefs, à en croire la restitution qui en a été faite par la presse française. Cela ne change rien au fait que le projet d’expansion des groupes jihadistes vers le sud n’est pas nouveau, et qu’à bien y réfléchir, cette expansion, qui équivaut de fait à une dispersion des acteurs de la violence, relève au moins autant d’une stratégie de survie que d’une volonté pour Aqmi, ou d’autres, d’étendre leur influence.
Une annonce stratégique ?
Depuis les interventions militaires française, africaine et onusienne en 2013 dans le nord du Mali, la survie des groupes jihadistes passe par la dispersion de leurs éléments partout où les conditions locales s’y prêtent, par le recrutement de nouveaux combattants et par la mobilisation de ressources pour alimenter la lutte armée. Le Burkina Faso, c’est certes encore le Sahel mais c’est déjà le sud du Mali… Et entre Kidal, dans le grand nord malien, et Kafolo, dans le nord de la Côte d’Ivoire, cible d’une attaque terroriste en juin 2020, une forme de descente vers le sud était déjà amorcée. Alors pourquoi de grandes déclarations maintenant sur le danger terroriste en Afrique de l’Ouest, au-delà et au-dessous du Sahel ?
Source: Jeune Afrique