La plupart des Ougandais n’ont connu que lui comme président: au pouvoir depuis 35 ans, Yoweri Museveni s’est mué au fil des élections en un dirigeant autoritaire qui ne montre aucun signe de vouloir passer la main.
Après son accession au pouvoir en 1986, l’ex-guérillero brocardait les dirigeants africains “qui veulent rester trop longtemps au pouvoir”.
Aujourd’hui, le dirigeant, officiellement âgé de 76 ans, est devenu l’indéboulonnable chef d’Etat qu’il critiquait plus jeune. Sur le continent, seuls Teodoro Obiang Nguema en Guinée Equatoriale et Paul Biya au Cameroun ont passé plus de temps au pouvoir sans discontinu.
L’homme aux allures de grand-père affable, volontiers théâtral, cache sous son chapeau de safari sa ruse militaire et une ambition politique impitoyable.
En 35 ans de règne, “M7” (son surnom) a étouffé l’opposition et fusionné l’Etat et son parti, le Mouvement de résistance nationale (NRM), de manière si aboutie que toute tentative de défier son pouvoir semble vaine.
Sa réélection jeudi pour un sixième mandat semble une affaire jouée d’avance, selon les spécialistes de ce pays d’Afrique de l’Est, même si trois quarts des Ougandais ont moins de 30 ans et l’ont toujours vu à la présidence.
Le septuagénaire aime faire des pompes devant ses partisans, pour entretenir l’image d’un dirigeant énergique capable de “garantir votre avenir”, son slogan de campagne.
Une devise plus sibylline que les précédentes – Museveni “pour toujours”, “Mon pays, mon président” -, avec lesquelles il suggérait son intention de diriger l’Ouganda jusqu’à sa mort.
Le chef d’Etat, qui n’évoque jamais sa succession, a fait modifier deux fois la constitution pour supprimer les limites d’âge et de mandats présidentiels.
– “Messie” inamovible –
“Il ne partira pas avant d’avoir rempli sa mission: libérer l’Ouganda et l’Afrique”, résume Moses Kisha, chercheur en sciences politiques aux Etats-Unis. “C’est bien sûr une vision illusoire et délirante, mais il se perçoit comme une sorte de messie.”
Fils d’éleveurs, le président a déjà envisagé de retourner auprès de ses vaches en cas de défaite, mais il se dépeint surtout en fermier consciencieux. “Comment pourrais-je quitter une bananeraie que j’ai plantée et qui commence à donner ses fruits?”, lançait-il en 2016.
Le “vieil homme qui a sauvé le pays” manque rarement une occasion de conter sa légende, lui qui fut capable de créer une armée avec au départ seulement 27 fusils, aux côtés du futur leader Rwandais Paul Kagame
Ancien combattant de la guérilla mozambicaine, nourri par l’énergie anti-colonialiste de l’université de Dar es-Salaam (Tanzanie), il sera un des artisans de la chute du dictateur sanguinaire Idi Amin Dada en 1979.
L’ex-guérillero reprendra ensuite le maquis pour renverser le régime répressif de Milton Obote quelques années plus tard.
Mais la plupart des Ougandais sont désormais trop jeunes pour apprécier la relative stabilité apportée par M. Museveni à l’époque.
L’ancien marxiste a d’abord séduit la communauté internationale, grâce à une mue éclair en chantre du capitalisme, la croissance rapide de l’Ouganda et sa lutte contre la pandémie de VIH-sida.
– Glissement autoritaire –
Fin tacticien, M. Museveni s’est élevé au rang d’acteur régional incontournable. Son armée, accusée de crimes de guerre en République Démocratique du Congo, sait aussi occuper des rôles clés, comme en Somalie où les troupes ougandaises luttent depuis 2007 contre les insurgés shebab, affiliés à Al-Qaïda.
La corruption endémique de son régime, les violations récurrentes des droits de l’Homme et une loi anti-homosexuels adoptée en 2014 ont toutefois refroidi ses alliés occidentaux, Washington en tête.
“Museveni était brutal dès le départ et a toujours mené un jeu de dupes avec la communauté internationale pour s’assurer son soutien”, affirme à l’AFP Helen Epstein, spécialiste de la relation entre les Etats-Unis et l’Ouganda.
Le président, qui a conclu des accords ou écrasé une quinzaine de mouvements rebelles, dont la terrible Armée de résistance du seigneur (LRA), a toujours mal supporté la contestation. Il a même un temps interdit le multipartisme.
Son glissement autoritaire s’aggrave, selon M. Kisha. Pour se maintenir, “il se repose de plus en plus sur l’argent et la force.”
Systématiquement réélu au premier tour lors d’élections entachées d’irrégularités et de violence, M. Museveni a méthodiquement étouffé les ambitions de Kizza Besigye, son ancien docteur dans le maquis, lors des quatre derniers scrutins.
L’autocrate réserve désormais le même sort à son nouveau concurrent, l’ancien chanteur de ragga Bobi Wine, populaire auprès de la jeunesse urbaine. Maintes fois arrêté depuis 2018, le député de 38 ans a vu sa campagne violemment réprimée, au nom de la lutte contre le coronavirus.
Source: Tv5 Monde