En Libye, comment Turcs et Russes parasitent la médiation onusienne

MAHMUD TURKIA/AFP Défilé de l’armée libyenne lors de la commémoration du 69e anniversaire de l’indépendance du pays, le 24 décembre 2020, à Tripoli.

La tentative de pérenniser le cessez-le-feu du 23 octobre dans un accord politique bute sur le jeu de Moscou et d’Ankara, soucieux de préserver leurs récents gains stratégiques.

L’année 2020 s’achève en Libye dans une confusion politique lourde de menaces pour une trêve militaire plus fragile que jamais. La nouvelle est tombée le 22 décembre, alors que les chancelleries somnolent dans les congés de fin d’année : le diplomate bulgare Nickolay Mladenov renonce pour des « raisons personnelles et familiales » à son mandat de chef de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (Manul), une semaine à peine après que le Conseil de sécurité a formellement confirmé sa nomination à ce poste.

Le coup est dur pour la médiation onusienne, déjà privée de patron depuis la démission en mars de Ghassan Salamé en signe de lassitude face à l’escalade des ingérences étrangères minant toute pacification du théâtre libyen. Le désistement de M. Mladenov est surtout « incompréhensible » au regard du consensus qu’avait semblé susciter son profil au sein du Conseil de sécurité dès l’automne, une bizarrerie probablement liée à « un coup de pression d’un Etat membre », selon une source familière de l’organisation onusienne.

Télescopage entre deux axes

Le résultat tangible de cette vacance du pouvoir à la tête de la Manul, de facto affaiblie dans ses initiatives visant à pérenniser le cessez-le-feu du 23 octobre à travers un dialogue politique entre les deux camps antagonistes de l’Est et de l’Ouest libyens, est de restituer une marge de manœuvre aux Turcs et aux Russes. Selon plusieurs sources occidentales, la confusion politique et diplomatique qui règne en Libye depuis quelques semaines est le produit d’un télescopage entre deux axes concurrents : d’un côté, la médiation onusienne soutenue par les Occidentaux ; de l’autre, le condominium turco-russe qui s’est forgé il y a un an à la faveur de la « bataille de Tripoli » opposant les forces assaillantes de l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar et celles loyales au gouvernement d’accord national (GAN) du premier ministre, Faïez Sarraj.

Moscou avait soutenu l’ANL de Haftar tandis qu’Ankara avait épaulé le GAN de Sarraj – permettant à celui-ci de repousser l’offensive de Haftar – dans un mode d’intervention présentant de troublantes similitudes avec le scénario syrien, où la rivalité apparente entre les deux parrains peut s’accommoder d’arrangements autour de la délimitation des zones d’influence. Une fois leur présence militaire établie sur le terrain auprès de leurs affidés locaux, Russes et Turcs s’étaient en effet efforcés de préempter le processus diplomatique au détriment des Occidentaux.

  Source: Le Monde