C’est peut-être une étape majeure dans le conflit qui oppose depuis maintenant douze jours l’Éthiopie à la province dissidente du Tigré, dans le nord du pays. Le Front de libération des peuples du Tigré, le TPLF, a revendiqué ce dimanche 15 novembre des tirs de roquette qui ont visé samedi la capitale de l’Érythrée voisine. En l’accusant de collaborer avec les forces éthiopiennes.
Plusieurs roquettes ont visé l’aéroport d’Asmara, la capitale érythréenne. Il y en aurait eu quatre, selon la radio érythréenne d’opposition Erena, basée à Paris. Si les explosions ont été confirmées à RFI par un diplomate en poste à Asmara, aucun bilan n’est disponible à ce stade. Des habitants ont-ils été tués ou blessés ? Ces frappes ont-elles atteint et endommagé l’aéroport visé ? Pour le moment, on l’ignore. L’Érythrée n’a toujours pas communiqué officiellement sur ces frappes
« Cible légitime »
Le président de la région éthiopienne dissidente du Tigré, Debretsion Gebremichael, a officiellement revendiqué ces tirs. Il affirme que « les forces éthiopiennes utilisent l’aéroport d’Asmara » pour faire décoller des avions qui bombardent le Tigré. Ce qui en fait, selon lui, « une cible légitime ».
« Sur plusieurs fronts »
Ce dirigeant du TPLF affirme également que les forces érythréennes sont présentes au Tigré « sur plusieurs fronts » et « depuis plusieurs jours ». Des accusations démenties par Asmara, mais confirmées au correspondant de RFI en Éthiopie par plusieurs sources.
Cela aurait notamment été le cas dans la ville d’Humera, théâtre d’une longue bataille finalement perdue par les combattants du TPLF, qui les prive ainsi d’un accès au Soudan, très important en termes d’approvisionnement.
Le Président éthiopien Abiy Ahmed a quant à lui déclaré, ce dimanche 15 novembre, qu’Addis-Abeba était « plus que capable » d’atteindre ses objectifs « par elle-même » et que les opérations militaires « progressaient bien ».
Des médias d’État éthiopiens ont d’ailleurs affirmé que les troupes nationales s’étaient emparé de la localité d’Alamata, dans le sud-est du Tigré.
Le rôle de l’Erythrée dans le conflit éthiopien
Dans quelle mesure l’armée érythréenne pourrait-elle peser sur le conflit ? Quelles sont les risques de déstabilisation pour le reste de la sous-région ?
« S’il est avéré », le rôle de l’Erythrée dans le conflit éthiopien constituerait « un tournant majeur ». Sonia le Gouriellec, chercheuse spécialiste des questions sécuritaires dans la corne de l’Afrique, rappelle que peu d’informations sont disponibles au sujet de l’un des derniers Etats totalitaires du monde mais qu’avec « un service militaire obligatoire qui peut durer des décennies, l’armée érythréenne est la plus nombreuse du continent, avec plus de 200 000 soldats ».
Pour autant, la cohérence et l’efficacité de cette armée posent question, avec « beaucoup de matériel obsolète datant de l’époque soviétique ».
L’embargo onusien n’a pas permis à cette armée de se moderniser mais la chercheuse évoque cependant le soutien que les Emirats arabes unis pourraient apporter à Asmara.
Un cadre du Front de libération des peuples du Tigré affirme que les drones émiratis basés dans le port érythréen d’Assab, qui a été récemment réhabilité par les Emirats, sont utilisés par l’Ethiopie, ce que Sonia le Gouriellec juge « crédible mais non vérifié ».
Sur les risques de régionalisation du conflit, la chercheuse ne cache pas ses craintes : « Il faudra surtout attendre le positionnement du Soudan et de l’Egypte. Ce qui est aussi inquiétant, c’est que l’Ethiopie retire ses troupes déployées en Somalie, au risque de créer un vide sécuritaire », explique-t-elle.
L’Érythrée et le TPLF sont de vieux ennemis
L’Érythrée et le TPLF se sont affrontés notamment à la fin des années 1990, pendant une guerre meurtrière qui a duré deux ans. A l’époque, le TPLF contrôlait l’appareil d’État éthiopien, mais depuis l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed à Addis-Abeba, il y a deux ans, les Tigréens ont progressivement été écartés du pouvoir.
L’Éthiopie et l’Érythrée se sont réconciliées, un tournant historique qui a valu au Premier ministre éthiopien le prix Nobel de la paix, l’année dernière. Mais aujourd’hui, c’est donc la province du Tigré, entrée en dissidence, qui se retrouve isolée, dans un conflit dont beaucoup craignent qu’il ne vire au désastre humanitaire et qu’il ne fasse basculer toute la sous-région dans l’instabilité.
Pour le moment, l’accès aux zones de combat pour les journalistes est bloqué par les autorités éthiopiennes, et les télécommunications sont coupées. Les réfugiés, partis dans les pays voisins, décrivent des scènes de massacres mais aucun bilan fiable des combats n’est disponible.
Source : rfi