Au Cameroun une entreprise locale a offert 4.000 sacs de riz au gouvernement pour soutenir les plus vulnérables dans la lutte contre le Covid-19. Las d’attendre la redistribution du don, les populations demandent des comptes. Acculé sur les réseaux sociaux, le ministre de la Santé est obligé de s’exprimer sur le sujet, mais peine à convaincre.
C’est l’histoire d’un don qui aurait mal tourné. Au Cameroun, l’un des pays du continent africain les plus touchés par la pandémie de Covid-19, c’est une affaire qui semble embarrasser les autorités, en même temps qu’elle fait les choux gras de la presse et des réseaux sociaux.
Dans le cadre de l’accompagnement du gouvernement dans sa stratégie de riposte contre la propagation du virus, des entreprises et partenaires sociaux ont offert de multiples dons en nature. Dans cet élan de solidarité, le 9 avril dernier, l’entreprise Orca, spécialisée dans l’ameublement, a offert aux autorités locales 4.000 sacs de riz de 25 kg, réceptionné par Manaouda Malachie, ministre de la Santé publique, et son homologue du Commerce.
Un événement abondamment relayé par les médias locaux, qui a eu le mérite d’attirer l’attention des citoyens. Quatre mois plus tard, ce don semble en effet n’avoir toujours pas atteint les populations cibles, réparties dans les 10 régions du pays. En effet, et contrairement à la tradition locale qui veut qu’en pareilles circonstances, les remises de dons aux nécessiteux soient fortement médiatisées, aucune image, aucun témoignage de bénéficiaires n’ont été rendus publics.
100 tonnes de riz évaporés, l’opinion demande des comptes
De quoi prêter le flanc à toutes les interprétations et une déferlante de réclamations sur les réseaux sociaux.
Interpellé il y a quelques jours sur son compte Twitter par un internaute sur la destination des sacs de riz, le ministre de la Santé publique est sorti de sa réserve, expliquant que le don avait déjà été dispatché «aux dix gouverneurs de région, avec toutes les décharges nécessaires».
Seulement, la réponse du ministre est loin d’avoir comblé les appétits des internautes, qui ont soif de savoir ce qu’est devenu ce riz de la discorde. D’autant qu’une enquête publiée le 22 juillet dans le quotidien camerounais Le Jour révèle que le riz demeure introuvable. Les responsables régionaux se renvoient la balle sans que personne ne dise exactement à qui aurait été remis le présent.
Des éléments qui amplifient la suspicion dans l’opinion, au point de voler la triste vedette à la pandémie, qui ne cesse pourtant d’enfler. Sur un ton quelquefois ironique, simples citoyens, hommes de médias ou responsables politiques continuent de faire pression sur les autorités.
De la crise sanitaire à la crise de confiance
Loin de faire taire les interrogations autour de ce don, la réponse du ministre de la Santé est venue raviver les soupçons de détournement entretenus par la majorité des internautes, qui demeurent sceptiques quant à la véracité de l’information donnée par le membre du gouvernement. Rien de surprenant, soutient Jean Bruno Tagne, auteur du livre «Accordé avec fraude» ( Ed. Shabel, 2019), qui parle de ce phénomène au Cameroun.
«Le Cameroun a une longue tradition de détournements. On se souvient qu’une partie des dons de la catastrophe du lac Nyos avait été détournée. Des suspicions du genre ont aussi plané autour de l’argent collecté pour soutenir les populations victimes des exactions des sécessionnistes dans les régions anglophones», soutient-il au micro de Sputnik.
D’ailleurs, ce sujet n’est qu’un épisode de plus dans la série de polémiques qui enfle autour de la gestion des fonds et des dons dédiés à la lutte contre le coronavirus. Dans une récente tribune publiée sur les réseaux sociaux, Jean Michel Nintcheu, député du Social Democratic Front (SDF-opposition), interpellait déjà le ministre de la Santé publique sur la gestion des moyens mobilisés pour endiguer la propagation de l’épidémie. Le député évoquait «de graves soupçons de détournements, de surfacturations et de rétrocommissions» qui pèsent sur l’ensemble des opérations, sollicitant de fait une commission d’enquête pour faire la lumière sur cette affaire.
Des allégations de malversations rejetées en bloc par Manaouda Malachie. Au cours d’un point de presse qu’il a donné le 24 juillet à Yaoundé, le ministre de la Santé s’est voulu transparent, détaillant les fonds alloués à la lutte contre la maladie au Cameroun.
Covid-19, dons de riz, valse d’accusations
Le ministre juge «infondées» les allégations du député SDF et l’invite à se rapprocher de ses services pour en savoir plus sur la gestion des fonds dédiés à la crise.
«Nous aurions voulu que Monsieur le Député puisse se rapprocher de nos services […] Le Président de la République nous a prescrit un devoir de transparence dans tous les segments de la lutte contre cette pandémie. Toutes les allégations qui ont été soulevées ne sont pas correctes», s’est-il défendu.
Alors que les chiffres de contamination s’envolent, affichant au compteur le 27 juillet 16.708 infectés pour 385 décès, l’attention des Camerounais est détournée par cette affaire de riz aux relents de scandale. D’ailleurs, le ministre de la Santé appelle la communauté nationale à rester «concentrée sur l’essentiel, à savoir renforcer notre soutien aux équipes de riposte et éviter toute polémique qui nous éloigne du principal, c’est à dire, juguler la pandémie de Covid-19». Un message qui laisse un goût d’inachevé au sein de l’opinion, déterminée à tirer les choses au clair.
Source : Sputnik