Au Burkina Faso, la colère monte après l’attaque meurtrière du poste d’Inata

ANNE MIMAULT / REUTERS Des manifestants réclament la démission du président Kaboré et le départ des forces françaises qui patrouillent dans le pays, à Ouagadougou, le 16 novembre 2021.

Au Burkina Faso, la colère gronde dans la rue et les casernes depuis l’attaque du poste de gendarmerie d’Inata, dans le nord du pays, survenue dimanche 14 novembre. Menée, selon des sources sécuritaires, par les combattants d’Ansaroul Islam, un groupe terroriste proche du Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaida), elle a fait 53 morts – 49 gendarmes et 4 civils – selon un bilan revu à la hausse mercredi par le gouvernement burkinabé. Il pourrait encore s’alourdir alors qu’une cinquantaine d’hommes manquaient encore à l’appel jeudi.

Depuis le début de l’expansion djihadiste au nord du Burkina Faso en 2016, jamais les forces de défense et de sécurité n’avaient été aussi meurtries. Mardi, des centaines de manifestants ont battu le pavé dans plusieurs villes du pays pour protester contre un gouvernement jugé incapable d’enrayer le terrorisme, certains allant jusqu’à réclamer le départ du président Roch Marc Christian Kaboré, au pouvoir depuis fin 2015 et réélu fin 2020.

L’armée française, présente au Burkina Faso à travers les forces spéciales de l’opération « Sabre », a également été la cible de protestations. Ainsi, dans la nuit du 17 au 18 novembre, des dizaines de Burkinabés ont bloqué pendant plusieurs heures un convoi de l’armée française de passage à Bobo-Dioulasso et à Ouagadougou.

Gendarmes affamés

Mais la colère est principalement dirigée contre les autorités. Six ans après le début des violences, « nous en sommes à plus de 2 000 morts, 1,5 million de déplacés, 4 000 écoles fermées, énumère Marcel Tankoano, cadre du Mouvement populaire Sauvons le Burkina Faso. Notre pays est en train de devenir un no man’s land. Nous en avons marre de nous faire massacrer sans que le gouvernement agisse. Nous l’avons interpellé, en vain. Aujourd’hui, nous sommes obligés d’appeler à la désobéissance civile ».

Son organisation, une plate-forme de plus de 200 associations créée en 2021, a lancé un appel à la mobilisation générale pour le 27 novembre. Une manifestation à laquelle devraient participer de nombreux militants de l’opposition, comme ceux du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), l’ex-parti du président déchu Blaise Compaoré.

Achille Tapsoba, le premier vice-président du parti, invite l’exécutif à plier bagage : « Nos soldats manquent de munitions et même de nourriture, leurs primes ne sont pas payées alors que des dizaines de milliards de francs CFA ont été dégagés pour renforcer la sécurité. Les détournements et les malversations ne peuvent plus continuer. »

Au poste d’Inata, les gendarmes étaient affamés et affaiblis. « Depuis deux semaines, le détachement s’alimente grâce à l’abattage des animaux », alertait leur chef dans un message envoyé à l’état-major le 12 novembre, réclamant l’autorisation de quitter la position. Les gendarmes censés prendre leur relève avaient refusé de monter au front sans un appui supplémentaire (aérien et blindé). Un soutien que la hiérarchie militaire ne leur avait pas accordé.

Deux jours plus tard, celle-ci était prise d’assaut par un ennemi qui avait planifié son attaque de longue date. Des dizaines d’hommes armés de kalachnikovs, certains sur des motos, d’autres à bord de pick-up équipés d’armes lourdes ont fait irruption aux abords du camp avant d’y mettre le feu et de provoquer la débâcle des quelque 150 gendarmes en poste.

Pour tenter d’apaiser les esprits, le président Kaboré a annoncé, mercredi, le relèvement du commandant du groupe des forces du secteur nord et de la première région de gendarmerie. Un conseil supérieur de défense national doit aussi être « convoqué incessamment pour faire le point de l’ensemble des dysfonctionnements et prendre les mesures qui s’imposent », a-t-il souligné.

« Le pouvoir est dos au mur »

Mais les promesses du président ne pèsent pas lourd face à l’amertume de la population et des militaires. En juin et juillet, le chef de l’exécutif avait déjà essayé de faire descendre la pression, alors que des milliers de Burkinabés déferlaient dans les rues à la suite du massacre de Solhan, dans le Nord-Est, où au moins 160 personnes avaient été tuées. Les ministres de la défense et de la sécurité avaient été limogés et le premier ministre avait annoncé une « réorganisation interne de l’ensemble des structures chargées de la défense et de la sécurité ».

Six mois plus tard, « rien n’a changé », estime Mahamoudou Savadogo, spécialiste indépendant des questions sécuritaires. « A l’avenir, les autorités vont avoir du mal à convaincre les soldats de continuer à se sacrifier. On est à un tournant. Le pouvoir est dos au mur », analyse cet ancien gendarme, redoutant des mutineries dans les casernes, qui pourraient être alimentées par une grogne populaire de plus en plus forte.

Dans le nord, les djihadistes maintiennent la pression. Le 15 novembre, au lendemain de l’attaque d’Inata, un engin explosif a explosé à quelques kilomètres de là, selon des sources sécuritaires qui évoquent plusieurs blessés, certaines un mort. Dans la province de Zondoma, toujours au nord, des hommes armés ont saccagé des écoles dans deux villages et exigé leur fermeture mercredi.

Sur le front sécuritaire comme politique, le régime de Roch Kaboré se sait déstabilisé. Jusqu’à quel point ? L’ampleur de la participation à la marche du 27 novembre pourrait servir d’indicateur. Selon nos informations, un dispositif de sécurité renforcé a d’ores et déjà été mis en place à Ouagadougou, la capitale, autour de certains lieux et bâtiments stratégiques.

 Source: Le Monde