Affaire Oumar Diawara contre l’Etat de Côte d’Ivoire : Une autre preuve du malaise de la justice ivoirienne

La justice ivoirienne est malade, gangrenée notamment par la corruption, la lourdeur administrative et la forte ingérence de l’exécutif. Et les occasions pour le vérifier, sont désormais nombreuses. Dans une affaire rocambolesque opposant l’Etat de Côte d’Ivoire à un homme d’affaires congolo-malien, un apparait d’Air Côte d’Ivoire a manqué de payer la note.

Révélée sur le site de Jeune Afrique, l’information, comme une trainée de poussière a envahie la toile dans la soirée du lundi 22 novembre. Un appareil d’Air Côte d’Ivoire, saisi par les autorités maliennes, en application d’une décision de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) au profit de Oumar Diawara, un homme d’affaire congolo-lalien.

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L’affaire a défrayé la chronique et suscité l’indignation de bon nombre d’Ivoiriens devant ce qu’ils considèrent comme une humiliation et une mauvaise campagne pour l’image du pays dirigé par Alassane Ouattara depuis avril 2011. Même si quelques heures après, la direction d’Air Côte d’Ivoire, dans une mise au point, rassurait ses partenaires et sa clientèle quant à sa non implication de l’affaire et informait l’opinion de ce que l’appareil a pu décoller de Bamako, l’affront reste tout de même grand pour le pays. Derrière ce fait divers, se cache un contentieux opposant l’homme d’affaire, Oumar Diawara à l’Etat de Côte d’Ivoire.

Affaire Oumar Diawara contre l’Etat de Côte d’Ivoire

La tentative de saisie de l’appareil de la compagnie Air Côte d’Ivoire est consécutive à la décision du 22 octobre de la Cour de justice de la Cedeao qui fait injonction à l’Etat ivoirien de lui réattribuer environ 50 hectares de terrain, confisqués suite à une décision du tribunal de première instance d’Abidjan en 2020, et de lui verser la somme d’un milliard deux cents cinquante millions F CFA au titre de dommages et intérêt. L’affaire remonte à quatre ans.

En juillet 2017, Oumar Diawara fait l’acquisition de Perl Invest, une entreprise de gestion immobilière appartenant à BNI gestion, filiale de la Banque nationale d’investissement (BNI) par l’intermédiaire de sa société, la Société ivoirienne des dépôts douanière (Sidd). S’étant rendu compte que les actifs de Perl Invest, estimés au départ à 100 hectares étaient surévalués, l’homme se considérant victime d’un abus, va saisir la justice pour abus de bien social et de détournement orchestré par la nommée Fatoumata Sakandé Cissé, au moment de l’opération, directrice générale de BNI gestion.

Entre-temps, celle-ci a été licenciée par la Banque nationale d’investissement pour faute grave. Au même moment, Oumar Diawara est accusé par Souleymane Cissé, président du conseil d’administration de la banque d’être impliqué dans l’accusation de détournement formulée contre l’ex-directrice générale de BNI. Ainsi, la justice ivoirienne l’inculpera pour des faits de blanchissement et de complicité d’abus de biens sociaux en 2018, sans même qu’il n’ait été entendu. Cela aura pour conséquence, le gel des avoirs de Perl Invest qu’il a acquis.

L’affaire remonte à quatre ans

En rétorsion à cette décision de justice, l’homme d’affaire saisit la Cour d’appel en 2019 pour l’annulation de la décision du tribunal de première instance. Celle-ci ne donnera aucune suite à sa demande. Devant l’inaction de la Cour d’appel, le conseil d’Oumar Diawara passe au niveau de la Cour de cassation qui, comme la Cour d’appel ne donnera aucune suite à l’affaire. Alors que l’opérateur économique et son conseil attendaient de la magistrate de la Cour de cassation en charge de l’instruction, qu’elle transmette l’affaire au procureur, Banche Abanet Essoh n’en fera rien.

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Chemin faisant, les avocats de l’accusé constateront que le dossier est étrangement vierge, puisque ni l’ex-directrice générale de BNI, l’auteure présumée du détournement dont Oumar Diawara serait le complice, ni la partie civile, ni les éventuels témoins, encore moins leur client, ne seront entendus. Outre le terrain, l’actif de Perl Invest est saisi par la justice depuis avril 2019. Finalement, en février 2021, quand la justice ivoirienne se décide à agir, c’est pour autoriser BNI gestion à récupérer les terres.

Au terme de son audience publique virtuelle du 22 octobre 2021 la Cour de justice de la Cedeao tranche en faveur de Oumar Diawara

Cette décision va pousser Oumar Diawara et ses avocats à se diriger vers la Cour de justice la Cedeao. Au terme de son audience publique virtuelle du 22 octobre 2021 conformément à son article 8 alinéa 1, la Cour tranchera en faveur de Diawara et fera injection à l’Etat de Côte d’Ivoire de payer la somme d’un milliard deux cents cinquante millions F CFA en réparation de la violation des droits de l’homme d’affaires, de lui payer également la somme d’un franc en réparation du préjudice moral qui lui a été causé.

Il sera aussi ordonné à l’Etat ivoirien de soumettre à la Cour, dans un délai de trois mois à compter du 22 octobre un rapport sur les mesures prises pour mettre en œuvre les ordonnances énoncées dans la décision de la Cour. Cette affaire digne d’une série de narcotrafiquants met à nu une fois de plus le grand malaise de la justice ivoirienne. En effet, depuis plusieurs années, la justice ivoirienne est au centre des débats. Son manque indépendance vis-à-vis de l’exécutif qui y a toujours la main est constamment décrié.

Outre la grande ingérence du politique dans les décisions de justice, de nombreux rapports indépendants ont fait état de ce que la justice sous nos cieux est gangrénée par la corruption. Tout ceci a contribué à faire perdre leur crédibilité, aux hommes en toge. Le malaise est encore perceptible quand on regarde un peu ce qui se passe lorsque le pays est dans un contentieux devant une juridiction internationale.

Cette affaire digne d’une série de narcotrafiquants met à nu une fois de plus le grand malaise de la justice ivoirienne

Comme une équipe de football adossée à l’arbitrage maison, la Côte d’Ivoire version Ouattara a perdu tous ses procès à l’international. Devant Guillaume Soro puis le Parti démocratique de Côte d’Ivoire à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (Cadhp), les avocats de l’Etat de Côte d’Ivoire ont mordu la poussière. Courroucé par ces revers judiciaires devant des tribunaux indépendants, l’exécutif ivoirien n’a jamais daigné exécuter ces décisions de justice.

Est-ce encore nécessaire d’évoquer la déculottée de l’Etat de Côte d’Ivoire à la Cour pénale internationale devant Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ? Au terme d’une procédure longue de presqu’une décennie, les juges de la Cour avaient jugés les preuves insignifiantes pour établir la culpabilité des accusés dans les faits qui leur sont reprochés. Et pourtant, pour ces mêmes faits, la justice ivoirienne les avait jugés et condamné à 20 ans.