Syrie: après la riposte d’Ankara, l’escalade des tensions inquiète

Bakr ALKASEM / AFP Des combattants syriens soutenus par la Turquie conduisent un char dans la ville de Saraqib, dans la partie orientale de la province d'Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie, le 27 février 2020.

La Turquie a bombardé dans la nuit de jeudi à vendredi des positions du régime de Bachar el-Assad en représailles à la mort de 33 militaires turcs dans la région d’Idleb au nord-ouest de la Syrie, a déclaré la présidence turque. Depuis, l’escalade des tensions inquiète la communauté internationale.

 « Toutes les positions connues du régime (syrien) ont été prises sous le feu de nos unités terrestres et aériennes », a affirmé le directeur de la communication de la présidence Fahrettin Altun dans un communiqué.

Cette riposte intervient après la mort d’au moins 33 militaires turcs dans des frappes attribuées par Ankara au régime syrien dans la région d’Idleb. C’est l’une des attaques les plus meurtrières jamais subies par l’armée turque dans son histoire récente, ce qui donne une idée de l’émoi que la nouvelle a suscité dans le pays.

« Nos valeureux soldats seront vengés », a déclaré M. Altun.

Selon le préfet de Hatay, province frontalière d’Idleb où sont hospitalisés les nombreux blessés, l’aviation syrienne, car c’est pour l’instant le régime syrien qu’Ankara met officiellement en cause, a frappé les militaires turcs dans la localité de Baluon, au sud-ouest de Saraqeb. Une ville reprise quelques heures plus tôt par les rebelles syriens soutenus par Ankara. 

Les explications de la Russie 

Ce vendredi matin, le ministère russe de la Défense a donné sa version des faits. Le premier reproche formulé par le ministère russe de la Défense est que la Turquie n’a pas communiqué la présence de ses troupes dans la zone visée par l’armée syrienne. C’est ce que relate notre correspondant à Moscou, Daniel Vallot. Le second reproche concerne les soldats turcs qui « n’auraient pas dû se trouver » dans cette zone, « aux côtés de groupes terroristes ».

La Russie précise que ses avions n’ont pas été impliqués dans cette opération : les soldats turcs ont péri sous le feu syrien, et non pas russe. Moscou ajoute qu’aussitôt informée de la présence de ces soldats dans la zone, l’armée russe a pris toutes les mesures nécessaires pour que les tirs s’arrêtent. Pour l’heure, Moscou cherche encore à éviter l’escalade avec Ankara. 

Selon le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan ont eu un entretien téléphonique ce vendredi, à l’initiative d’Ankara. Le contact n’est pas rompu, les négociations se poursuivent en vue d’une solution négociée à Idleb, même si pour l’instant ces contacts diplomatiques restent infructueux.

La possibilité d’un sommet entre les deux présidents évoquée par la Turquie n’a pas été confirmée à Moscou. En attendant, le chef de la diplomatie russe qui a présenté ses condoléances à la Turquie affirme que son pays « fera tout pour assurer la sécurité des soldats turcs déployés en Syrie ».

La Turquie demande le soutien de l’Otan 

 Recep Tayyip Erdogan a par ailleurs exhorté la communauté internationale, y compris la Russie et l’Iran, parrains de Damas, à « prendre leurs responsabilités » pour « faire cesser les crimes contre l’humanité que commet le régime ». La Turquie appelle l’Otan à lui apporter un soutien « concret », et agite une fois de plus la menace migratoire.

Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg s’est ensuite exprimé lors d’une conférence de presse à l’issue d’une rencontre entre les ambassadeurs de l’alliance et a affirmé son soutien à l’égard de la Turquie.

« Nous appelons la Russie et le régime syrien à cesser les combats et les attaques aériennes aveugles (…) Nous appelons aussi la Russie et à la Syrie à respecter pleinement le droit international .»

« Nous appelons la Syrie et la Russie à s’engager pleinement dans les efforts menés par l’ONU pour trouver une solution pacifique au conflit en Syrie », a-t-il ajouté.

Après l’attaque, des sources officielles turques ont également affirmé qu’Ankara n’empêcherait plus le passage, par la terre ou la mer, de réfugiés en Europe. Un moyen évident de faire pression sur les Occidentaux pour qu’ils soutiennent la Turquie face au régime syrien , et son allié russe, à Idleb. Après cette annonce, la Grèce a décidé de renforcer ses patrouilles à la frontière avec la Turquie.

L’UE inquiète d’une « confrontation militaire internationale »

L’UE s’inquiète d’un risque de « confrontation militaire internationale majeure » en Syrie et « envisagera toutes les mesures nécessaires pour protéger ses intérêts en matière de sécurité », a annoncé vendredi le chef de sa diplomatie, Josep Borrell.

« Il est urgent de mettre un terme à l’escalade actuelle. Il y a un risque de glissement vers une confrontation militaire internationale ouverte majeure », a-t-il déclaré dans un message sur son compte twitter. « L’UE appelle toutes les parties à une désescalade rapide et regrette toutes les pertes de vies humaines .» Josep Borrell a conclu en précisant que l’UE envisagera toutes les mesures nécessaires pour protéger ses intérêts en matière de sécurité. « Nous sommes en contact avec tous les acteurs concernés.»  

Le président Recep Tayyip Erdogan a convoqué jeudi soir un conseil de sécurité nationale extraordinaire consacré à la situation à Idleb. Une réunion pour décider, notamment, de la suite des opérations de l’armée turque à Idleb, où des milliers de soldats sont déployés depuis le début du mois sans couverture aérienne. Les lourdes pertes essuyées par les forces turques jeudi interviennent après des semaines d’escalade à Idleb entre Ankara et le régime syrien, appuyé par Moscou.

Avec le soutien de l’aviation de Moscou, Damas a déclenché en décembre une offensive pour reprendre le dernier bastion rebelle et jihadiste d’Idleb. Le régime et son allié russe ont mis les bouchées doubles ces dernières semaines et repris plusieurs localités dans cette province frontalière de la Turquie.

L’offensive a aussi entraîné des tensions entre la Russie et la Turquie, deux acteurs majeurs du conflit syrien qui ont renforcé leur coopération sur ce dossier depuis 2016 malgré leurs intérêts divergents.

Ces derniers jours, M. Erdogan a plusieurs fois sommé le régime syrien de retirer ses forces d’ici fin février de certaines zones dans la région d’Idleb, menaçant sinon de recourir à la force.

L’offensive du régime syrien a aussi provoqué une catastrophe humanitaire, avec près d’un million de déplacés coincés dans une étroite bande de territoire à la frontière turque. Le conflit en Syrie a fait plus de 380 000 morts et déplacé des millions de personnes depuis 2011.

Source: Rfi