Tant que leur lutte n’a pas atteint ses objectifs, les Algériens ne s’arrêteront pas

Porte-parole du Mouvement démocratique et social, Fethi Ghares fait partie des personnalités algériennes les plus engagées dans le Hirak. Dans cet entretien à Sputnik, il dresse un constat sur la capacité du mouvement révolutionnaire pacifique à imposer la démocratie et à reconfigurer la scène politique.

Héritier du Parti communiste algérien (PCA) et du Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS), le Mouvement démocratique et social est une formation qui reste ancrée à gauche. Ingénieur agricole de formation, Fethi Ghares a été élu porte-parole du MDS en 2013. Dans cette interview accordée à Sputnik, il analyse la situation politique actuelle à l’occasion du second anniversaire du Hirak, le mouvement citoyen qui a pris forme en février 2019 à l’occasion de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel. Fethi Ghares estime qu’il était essentiel que le Hirak, dans son mode d’expression dans l’espace public, reprenne après une année de trêve due à la pandémie de Covid-19. Selon lui, la situation du pays s’est fortement dégradée et les autorités ont été incapables de prendre en considération les attentes de la population.

«Le retour des marches du Hirak est nécessaire car rien n’a changé pour les Algériens. Nous sommes dans le prolongement du régime, avec une nette dégradation des libertés. Le paysage politique est devenu hostile. La crise économique et la pandémie de Coronavirus accentuent cette volonté de contestation. Les Algériens veulent un changement démocratique. La démocratie est devenue l’élément structurant dans la contestation politique en Algérie. Tant qu’ils ne verront pas que leur lutte aura atteint ses objectifs, les Algériens ne s’arrêteront pas», affirme le porte-parole du MDS.

«Maison en proie aux flammes»

Fethi Ghares n’accorde aucun crédit aux promesses de réformes annoncées récemment par le Président Abdelmadjid Tebboune. «En Algérie, le niveau de compétence des gouvernants a fortement chuté. Abdeladjid Tebboune est la forme caricaturale de la maladie de Bouteflika», juge-t-il. Dans un discours à la Nation, le 18 février, le chef de l’État algérien s’était engagé à lancer un «changement radical» qui devait débuter par quatre grandes mesures: libération des détenus d’opinion, remaniement ministériel, dissolution de l’Assemblée nationale populaire et élection législative anticipée.

«Tebboune est comme ce père de famille dont la maison est en proie aux flammes: au lieu d’aller sauver les siens il se met à prier Dieu. Les Algériens veulent le départ du régime et au lieu de cela, il compte organiser des élections avec les partis du pouvoir, les mêmes que ceux de Bouteflika. Dans un contexte d’urgence, ces mesures sont ridicules. À trop commenter le ridicule, on en devient ridicule»,

lance Ghares.

Pas d’État islamique
Contrairement à de nombreux observateurs, Fethi Ghares rejette la thèse selon laquelle les islamistes ont pris le contrôle du Hirak. Il reconnaît que la mouvance islamiste est bien présente mais qu’elle est dans une «démarche de séduction» en s’appuyant sur des principes démocratiques.

«Le jour où je verrai que la revendication principale du Hirak est l’édification d’un État islamique, là je pourrai dire que l’Islam politique a pris le contrôle du mouvement citoyen. Il est vrai que les islamistes tentent de séduire le peuple non pas en lui imposant leur agenda mais en s’adaptant à l’agenda démocratique du Hirak. Ils essaient de faire jonction avec ses principes. Aujourd’hui, aucune tendance politique ne peut s’imposer au sein du Hirak», analyse le premier responsable de ce parti de gauche qui s’est opposé à l’islamisme politique et armé depuis les années 1990.

Fethi Ghares est convaincu que le projet politique islamiste n’a aucune chance d’aboutir en Algérie au même titre que le maintien du régime car le «Hirak a imposé la démocratie». «Nous sommes dans une situation nouvelle car même les tranches de la société les plus ’’retardataires’’ vis-à-vis de la question démocratique sont aujourd’hui obligées de s’intégrer dans ce paysage centré autour de la question de la démocratisation du système de gouvernance», insiste-t-il.
«La tendance lourde au sein de la société algérienne est foncièrement démocratique, les Algériens veulent choisir librement leurs gouvernants. C’est ce qui fait que le projet politique islamiste n’a aucune chance de réussir dans le pays. Même le pouvoir est obligé d’adopter le Hirak à sa manière pour des raisons tactiques. Voilà pourquoi Abdelmadjid Tebboune parle de ˝Hirak béni˝. Il y a une forme d’hégémonie qui impose à tous les acteurs, quelles que soient leurs intentions, de se revendiquer du Hirak et donc de la démocratie. Nous constatons également que les citoyens rejettent la violence. Nous le voyons au quotidien, les Algériens réagissent pacifiquement aux réactions des gouvernants et des policiers qui agissent comme des oppresseurs», ajoute Fethi Ghares.

Reconfiguration de la scène politique

Le premier responsable du Mouvement démocratique et social constate également que le Hirak a provoqué une «reconfiguration de la scène politique». Depuis l’instauration du multipartisme en 1989, le champ politique est composé de formations revendiquant leur appartenance religieuse, identitaire ou historique. Fethi Ghares annonce la fin de cette division et la mutation vers «un paysage politique assaini, avec des partis qui s’inscrivent dans ces deux grandes familles politiques que sont la droite et la gauche».

«La clientélisation d’une partie de la classe politique a permis au régime de se maintenir. Le rejet des partis politiques, toutes tendances confondues, qui s’en est suivi, fait que les chefs de partis qui participent aux marches le font en leur nom personnel et non pas au nom de leur formation. Je suis personnellement dans cette démarche. Lorsque je suis dans la rue, je ne suis pas le porte-parole du MDS. Le Hirak enterre une étape qui aura duré 30 ans puisque nous allons vers une recomposition du paysage politique. Il a réussi à imposer des changements à travers la question démocratique, le pacifisme et la place des femmes dans la société», souligne-t-il.

  Source: Sputnik