Après des années de tension, les relations se réchauffent entre le Burundi et le Rwanda

TCHANDROU NITANGA / AFP Le nouveau président burundais Evariste Ndayishimiye, à Gitega, le 26 juin 2020.

La rencontre était inattendue. Mardi 20 octobre, les ministres des affaires étrangères rwandais et burundais ont tenu des discussions à huis clos au poste-frontière de Nemba, entre les deux pays. Le but : normaliser les relations entre ces Etats voisins, à couteaux tirés depuis cinq ans.

 Dans leurs brefs discours face à la presse, les chefs de la diplomatie des deux pays ont salué « l’ouverture d’un nouveau chapitre » et souligné leur volonté de résoudre leurs nombreux différends. « Les questions de fond ne sont pas résolues, mais il y a une volonté de trouver des solutions », souffle-t-on côté burundais.

Ces derniers mois, les ratés diplomatiques s’étaient pourtant multipliés. Suite à l’élection d’Evariste Ndayishimiye en mai, puis le décès de son prédécesseur Pierre Nkurunziza au terme de quinze ans de règne, Paul Kagame avait tendu la main à son nouveau voisin, l’invitant à tourner la page de cinq années de brouille. Mais il s’était vu opposer une fin de non-recevoir par son homologue burundais.

Quelques semaines plus tard, Gitega boudait également un sommet régional virtuel, organisé par le président congolais Félix Tshisekedi pour discuter des enjeux sécuritaires dans une région criblée de tensions. Une première rencontre manquée entre les présidents rwandais et burundais.

« Des signes d’ouverture »

Depuis des années, les deux pays s’accusent mutuellement de soutenir des groupes hostiles à leurs gouvernements réciproques. Notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), groupe hutu initialement formé par des anciens génocidaires rwandais, et la Résistance pour un Etat de droit au Burundi (RED Tabara), mouvement rebelle opposé au gouvernement burundais. Depuis la crise politique burundaise déclenchée en 2015 par le troisième mandat controversé de l’ancien président Pierre Nkurunziza, Gitega accuse également Kigali de donner refuge à ses opposants.

Mais la rencontre de mardi, initiée par le Burundi, semble confirmer un changement de cap diplomatique. « Evariste Ndayishimiye est dans une stratégie de long terme », assure Onesphore Sematumba, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs à l’International Crisis Group.

« D’un côté, il doit consolider son image face à l’opinion interne burundaise et au sein de son parti, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), qui a toujours misé sur un nationalisme fort et une diplomatie de combat. De l’autre, il y a des signes d’ouverture qui ne trompent pas. Les services de renseignement des deux pays se parlent depuis des mois, tandis que les réfugiés burundais au Rwanda rentrent peu à peu », explique le chercheur.

En effet, depuis le mois d’août, plus de 3 000 réfugiés burundais du camp de Mahama au Rwanda sont rentrés au Burundi, et 8 000 autres se sont inscrits en vue d’un départ prochain. C’est la plus grande vague de retours depuis le Rwanda depuis la crise politique de 2015, qui avait fait fuir des dizaines de milliers de Burundais. Chaque jeudi, environ 500 réfugiés, principalement des fermiers originaires de la région frontalière de Kirundo, sont ainsi conduits par bus jusqu’au poste frontière de Nemba.

Le point d’achoppement de certains réfugiés

« Ce mouvement est principalement lié aux récents changements politiques au Burundi », estime Elise Villechalane, porte-parole du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies qui supervise les retours. « Ce programme a permis de rouvrir le dialogue, sur la question des réfugiés en tout cas, entre les deux pays. Et nous espérons que cela va participer à renforcer la paix et la sécurité dans cette région », ajoute-t-elle.

Le sort de certains réfugiés reste un point d’achoppement dans les relations diplomatiques entre le Rwanda et le Burundi, Gitega ayant demandé à Kigali de lui livrer tous ceux qu’il accuse d’avoir participé, de près ou de loin, à une tentative de putsch manqué de 2015 contre le gouvernement de Pierre Nkurunziza : des militaires, mais aussi des opposants, des journalistes et des membres de la société civile.

Du côté des ceux qui ont participé aux manifestations au Burundi il y a cinq ans, le ton est naturellement tout autre. « Quelques milliers de réfugiés rentrent peut-être mais, pour nous, c’est insignifiant », lâche Gustave Niyonzima, juriste et activiste burundais vivant à Kigali. Le vice-président du Collectif des avocats pour la défense des victimes de crimes de droit international au Burundi (Cavib) dénonce une manipulation politique : « Ils sont instrumentalisés afin de montrer à la communauté internationale que la situation a changé dans le pays. Pourtant, il n’y a toujours ni sécurité, ni respect des droits de l’homme au Burundi », assure-t-il. Un journaliste burundais réfugié à Kigali renchérit : « Rentrer, ce serait se jeter dans la gueule du loup. Nous aurions peur pour nos vies. »

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a récemment prolongé d’un an le mandat de sa commission d’enquête sur le Burundi. « L’élection d’Evariste Ndayishimiye avait suscité des espoirs de changement sur le plan des droits de l’homme. Mais, aujourd’hui, la situation reste plus ou moins la même », regrette Carina Tertsakian, de l’Initiative pour les droits humains au Burundi. La chercheuse pointe des vagues d’arrestations arbitraires, dans les zones rurales, de personnes considérées comme faisant partie de l’opposition et accusées de collaborer avec des groupes armés.

  Source : Le Monde