Tunisie : Lourdes peines de prison contre des personnalités politiques et des journalistes

Plusieurs personnalités politiques tunisiennes, dont le chef du mouvement d’obédience islamique Ennahdha, Rached Ghannouchi et un ancien chef de gouvernement, ainsi que des journalistes, des influenceurs, et des hauts cadres du ministère de l’Intérieur, ont été condamnées mercredi 5 février à de lourdes peines de prison pour ‘’atteinte à la sûreté de l’Etat’’ dans le cadre de l’affaire Instalingo, – du nom d’une firme spécialisée dans la production et le développement de contenus numériques – ont rapporté des médias locaux.

Parmi les peines les plus lourdes prononcées ce jour par la Chambre criminelle n°2 du Tribunal de première instance de Tunis figurent :

*Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha et ancien président du Parlement condamné à 22 ans de prison.

*L’ancien chef du gouvernement, Hichem Mechichi, condamné par contumace à 35 ans d’emprisonnement.

*L’ancien ministre des Affaires étrangères et dirigeant d’Ennahdha, Rafik Abdessalem, condamné par contumace à 34 ans de prison.

*Soumaya Ghannouchi directrice de journal, fille de Rached Ghannouchi et épouse de Rafik Abdessalem a été condamnée par contumace à 25 ans de prison.

*Mouadh Ghannouchi, fils de Rached Ghannouchi et dirigeant d’Ennahdha, a été condamné par contumace à 35 ans de prison.

*Le dirigeant d’Ennahdha, Seyed Ferjani, a été condamné à 13 ans de prison.

*L’ex-directeur général des services spéciaux au ministère tunisien de l’Intérieur, Lazhar Loungo, a écopé de 15 ans de prison.

*Mohammed-Ali Aroui, ancien porte-parole du ministère de l’Intérieur, a écopé de 16 ans de prison.

*Les influenceurs Salem Lekhili, a écopé de 54 ans de prison, Haithem Lekhili, 28 ans de prison, et Yahya Lekhili, 18 ans de prison.

*Les blogueurs et influenceurs Slim Jebali et Achref Barbouch, ont écopé respectivement de 12 ans et de 6 ans de prison.

*Chadha Haj Mbarek, journaliste salariée d’Instalingo, a été condamnée à cinq ans de prison, tandis que la journaliste indépendante Chahrazed Akacha a été jugée par contumace et condamnée à 27 ans de prison.

Les peines prononcées ne sont pas définitives et peuvent faire l’objet d’un appel.

Le verdict a aussitôt été critiqué par le parti Ennahdha et le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), dans deux communiqués distincts.

La formation politique de Rached Ghannouchi a dénoncé dans un communiqué ‘’un procès politique injuste qui s’inscrit dans un contexte de nouvelles atteintes aux droits et libertés fondamentales, ainsi qu’aux principes essentiels de l’État de droit. Plus encore, cela constitue une violation manifeste de l’indépendance et de l’impartialité du pouvoir judiciaire, ainsi qu’une politisation évidente de ses procédures et de ses décisions’’.

De son côté, le Snjt a souligné dans un communiqué la gravité de cette décision de justice et son impact sur la liberté du travail journalistique au sein des sociétés de production de contenus médiatiques destinés aux institutions médiatiques nationales et internationales.

Le Snjt a alerté sur la non compétence de la Chambre criminelle pour les dossiers touchant au domaine journalistique. Il a également souligné que l’absence de toute forme de distinction entre le contenu journalistique et la liberté de publication dans l’espace numérique, et entre le volet politique et le volet sécuritaire de l’affaire, a causé préjudice aux droits et à la liberté de la journaliste Chadha Haj Mbarek.

Une enquête a été lancée en septembre 2021 contre la société Instalingo, basée à Kalâa Kebira, dans le gouvernorat de Sousse (est). Les autorités soupçonnaient la firme d’être impliquée dans des activités portant atteinte à la sûreté de l’État, de blanchiment d’argent et de diffamation via les réseaux sociaux.

Les locaux de l’entreprise ont été perquisitionnés et 23 unités centrales ont été saisies, rapporte, Business news, donnant lieu à une première vague d’arrestations. L’affaire a pris de l’ampleur avec la mise en cause de plusieurs personnalités politiques, journalistes, blogueurs et anciens hauts responsables du ministère de l’Intérieur.

Une cinquantaine de personnes ont été jugées dans le cadre de cette affaire. Les accusations portent, entre autres, sur le complot contre la sécurité de l’État, incitation à la violence, financement occulte, et le blanchiment d’argent.

Pour l’heure aucun commentaire n’a été émis par les autorités politiques ou judiciaires tunisiennes, tandis qu’à maintes reprises le chef de l’État tunisien, Kaïs Saïed, a insisté sur l’indépendance du pouvoir judiciaire.