Les pays de l’Otan se consultent sur la mise en état d’alerte des armes nucléaires, a déclaré le secrétaire général de l’Alliance Jens Stoltenberg. Il a averti que la menace accrue de la Russie et de la Chine poussait à revoir l’approche concernant l’arme la plus redoutable de la planète. Désormais, l’Otan ne dissimulera plus certaines de ses décisions relatives aux armes nucléaires, espérant que cela pourra jouer un rôle dissuasif.
Jens Stoltenberg a accordé une interview au journal britannique The Telegraph à la veille de son voyage aux États-Unis et au Canada. Il y discutera, entre autres, de la préparation du sommet de l’Otan à Washington, qui se tiendra du 9 au 11 juillet et sera largement consacré à la stratégie de l’Alliance en situation de confrontation avec la Russie.
Pour Stoltenberg, ce sommet sera le dernier en tant que secrétaire général. Si l’élection de son successeur ne se heurte pas à des difficultés imprévues, il quittera ses fonctions le 1er octobre. C’est peut-être pour cela qu’il s’est conduit en “canard boiteux”, un fonctionnaire sur le départ, en assumant la mission ingrate de communiquer une décision que le public occidental n’accueillera probablement pas avec enthousiasme.
Selon lui, les pays de l’Otan se sont consultés sur le retrait des missiles nucléaires des dépôts et leur mise en “mode veille”. “Je ne vais pas entrer dans les détails concernant le nombre d’ogives nucléaires qui doivent être opérationnelles et celles qui doivent être stockées, mais nous devons nous concerter sur ces questions. C’est exactement ce que nous faisons”, cite The Telegraph.
Il y a encore quelques années, ces propos auraient coûté au secrétaire général son poste. Toute information sur des manipulations prévues avec les armes nucléaires était toujours classée secrète au sein de l’Otan. Mais la situation a changé.
Le secrétaire général a expliqué dans l’interview que l’Otan misait désormais sur ce qu’il appelle la “transparence nucléaire”, le rappel que les pays de l’Alliance possèdent des armes nucléaires et peuvent les utiliser. C’est un élément de la stratégie de dissuasion, a souligné Stoltenberg. “L’objectif de l’Otan est bien sûr un monde sans armes nucléaires, mais tant qu’elles existent, nous resterons une alliance nucléaire, car un monde où la Russie, la Chine et la Corée du Nord possèdent des armes nucléaires et où l’Otan n’en a pas est un monde plus dangereux”, a déclaré le secrétaire général dans l’interview.
Bien que Stoltenberg ait mentionné la Corée du Nord, il a surtout parlé de la Russie et, fait intéressant, de la Chine, qui ne fait aucune déclaration indiquant que des armes nucléaires pourraient être utilisées. Il a averti que la Chine investissait massivement dans la modernisation de ses arsenaux. Stoltenberg a prédit que le nombre d’ogives nucléaires dont dispose la Chine atteindrait 1.000 d’ici 2030.
Le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri) a publié le lundi 17 juin un rapport affirmant que les neuf États dotés d’armes nucléaires modernisent leurs arsenaux: les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France, la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Corée du Nord et Israël. La Chine est celle qui augmente le plus rapidement ses réserves d’armes nucléaires. Selon les estimations du Sipri (les données précises ne sont pas divulguées par la Chine), l’arsenal nucléaire de ce pays est passé de 410 ogives en janvier 2023 à 500 en janvier 2024. À ce rythme, la prédiction de Stoltenberg se réalisera certainement.
D’après le Sipri, 90% des ogives nucléaires sont toujours en possession des États-Unis et de la Russie. Il est important de noter que seuls les arsenaux nucléaires britanniques et américains sont sous le contrôle de l’Otan. Stoltenberg faisait référence à ces arsenaux, et non à celui de la France, qui gère elle-même ses armes nucléaires. Selon le rapport du Sipri, les États-Unis possédaient en janvier 2024 1.770 ogives déployées et prêtes à l’emploi, et 1.938 stockées. Pour le Royaume-Uni, ces chiffres étaient respectivement de 120 et 105 ogives. D’ailleurs, la France a déjà mis ses armes nucléaires en état d’alerte, avec seulement 10 ogives en stockage et 280 en veille opérationnelle.
Stoltenberg n’est pas le premier homme politique occidental à parler de dissuasion nucléaire ces derniers jours. Le leader travailliste Keir Starmer a rappelé publiquement à ses compatriotes que puisque son pays possède des armes nucléaires, une situation pourrait survenir où il faudrait les utiliser. Le Parti travailliste, en tête des sondages pour les élections législatives du 4 juillet au Royaume-Uni, semble se détacher de son image pacifiste et anti-nucléaire. Cette déclaration est probablement liée aux consultations mentionnées par Stoltenberg. Le futur Premier ministre britannique, Starmer étant pressenti pour ce poste, a indiqué qu’il n’était pas opposé à la mise en état d’alerte des armes nucléaires britanniques.