Cameroun-Tchad : la bataille pour le contrôle du pipeline tourne à la crise diplomatique

L’ambassadeur du Tchad au Cameroun, Djidda Moussa Outman, a été rappelé par N’Djamena pour « consultation », selon le ministre, secrétaire général de la présidence de la République (SGPR), Gali Ngothe Gata. Une réponse diplomatique à la « persistance des différends » qui « se créent entre le Cameroun et le Tchad » autour de l’exploitation du pipeline (1 070 km) reliant les deux pays. 

Dans un communiqué lu à la télévision nationale, ce 20 avril par le SGPR, N’Djamena se dit courroucé par le pacte actionnarial conclu entre la Société nationale des hydrocarbures (SNH) et Savannah Energy. L’accord prévoit le rachat de 10% des parts de Savannah Midstream, filiale de la junior britanique, dans Cameroon Oil Transportation Company (Cotco) par la société pétrolière publique camerounaise. Coût de l’opération : 44,9 millions de dollars (près de 27 milliards de FCFA)

Le deal permettra de porter la part de la SNH dans cette entreprise qui exploite l’oléoduc sur la partie camerounaise (longue de 900 km) à 15,17% et de réduire celle de Savannah à 30,06%. La multinationale malaisienne Petronas (à travers Doba Pipeline Investment Inc) se maintiendrait à 29,77%, l’État tchadien à 2,74% et la Société des hydrocarbures du Tchad à 21,26%.

Guerre de tranchée

Pour le Tchad cette opération est « en contradiction avec les conventions et statuts de Cotco », qu’il ne cite pas. La cession d’actifs n’est pourtant pas déjà effective. Elle devrait encore satisfaire « certaines conditions suspensives liées aux modifications des statuts de Cotco », indique Savannah dans un communiqué de presse, signé le 20 avril. Ce qui devrait se faire, précise l’entreprise britannique, au cours du second semestre 2023.

En réalité, N’Djamena considère cet accord comme le renforcement du soutien du Cameroun à son ennemi Savannah, surtout que dans leur deal ces derniers se sont engagés à se soutenir mutuellement. Jusqu’ici, ce soutien se manifestait par des « agissements inamicaux » posés par les représentants du Cameroun lors des conseils d’administration de Cotco ou des interventions en faveur de l’entreprise britannique des « personnalités camerounaises » auprès des autorités tchadiennes.

Pour comprendre, il faut remonter au 9 décembre 2022. Ce jour-là, Savannah Energy annonce avoir racheté les actifs du géant pétrolier ExxonMobil au Tchad et au Cameroun. Cette acquisition sera contestée « vigoureusement » par les autorités tchadiennes. Raison : elle est réalisée « en dépit des objections expresses du gouvernement tchadien » et « en violation des conventions de recherches, d’exploitation et de transport des hydrocarbures du Consortium Doba (Esso, Petronas, Société des hydrocarbures du Tchad SA [SHT]) de 1988 et 2004 », indique un communiqué du gouvernement tchadien.

Par la suite, N’Djamena, faisant valoir son droit de préemption, nationalise en « express » tous les actifs rachetés à ExxonMobil par Savannah au Tchad. Il s’agit de 40% de Esso Exploration and Production Chad Inc (EEPCI), qui exploite les puits de pétrole de Doba dont la production est expédiée par le pipeline et de Tchad Oil Transportation Company (Totco) qui gère le pipeline au Tchad (170 km).

Blocage

Mais le pays ne s’arrête pas là. Alors que Petronas a manifesté son désir de se retirer du projet, N’Djamena réussit à convaincre la multinationale malaisienne de lui céder ses parts. Le communiqué de la présidence tchadienne renseigne, à cet effet, que le contrat de cession a déjà été signé entre les deux parties et soumis aux autorités en charge de la concurrence de la Cemac pour validation. Mais le document ne précise pas si cet accord concerne les actifs dans EEPCI (35%) et dans Cotco (29,77%). Mais si c’est le cas, cette transaction permettrait au Tchad de prendre le contrôle du pipeline coté Cameroun avec 53,77% des parts de Cotco.

Est-ce pour cette raison que Yaoundé bloque le processus ? On l’ignore pour l’instant. Mais, le communiqué de la présidence tchadienne souligne clairement que le Cameroun n’a jamais répondu aux lettres de demande d’avis de non-objection adressés par la commission de la concurrence dans le cadre de la reprise des actifs de Petronas par le Tchad. Une réponse pourtant nécessaire pour boucler le dossier.

Il faut dire que le Cameroun a toujours voulu engranger plus de ressources de cet oléoduc, déployé en majorité sur son territoire. En 2013, le pays a obtenu du relèvement le taux du droit de transit à 1,30 dollar par baril, contre 0,41 dollar auparavant. L’accord y afférant prévoit l’actualisation de ce taux toutes les cinq années sur la base de la moyenne des taux d’inflation annuels enregistrés au Cameroun pendant cette période. Sur cette base, le taux du droit de transit a été actualisé le 30 septembre 2018, passant de 1,30 à 1,32 dollar par baril.

En s’octroyant 10% de parts supplémentaires dans Cotco, le Cameroun va ainsi augmenter son emprise sur l’infrastructure et par ricochet ses gains. Mais le Tchad qui détient actuellement 24% de Cotco a les moyens de se mettre en travers de l’opération comme le pays accuse le Cameroun de le faire pour son acquisition des actifs de Petronas. Autant dire que la bataille pour le contrôle du pipeline Tchad-Cameroun ne fait que commencer.

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