L’Angola a rendu un dernier hommage, dimanche 28 août, à José Eduardo dos Santos, son ancien président. Celui que tout le monde surnomme « Zedu », et dont la famille est visée par de multiples enquêtes pour corruption, a régné sur ce pays lusophone d’Afrique d’australe pendant trente-huit années.
Mais, dans son camp, l’heure n’était pas aux polémiques. « “Zedu” était un compatriote, un ami, le père de tous les Angolais et même des Africains », s’enthousiasme Mario, membre actif du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), parti d’inspiration marxiste-léniniste dont José Eduardo dos Santos fut le « camarade numéro un » pendant quatre décennies. « Il était un homme respecté car il avait apporté la paix dans notre pays après la guerre civile, ajoute Solange, adhérente au mouvement des femmes du MPLA. Les histoires de corruption ne sont que des mensonges pour salir sa mémoire. De la province de Cabinda, au nord, à celle de Kunene [au sud], dos Santos a réuni notre nation et c’est ce que je veux retenir. »
Parterre de dirigeants de la région
Autour de son cercueil étaient présents plusieurs chefs d’Etat, notamment Marcelo Rebelo de Sousa, président du Portugal, ainsi que des dirigeants de la région, comme Félix Tshisekedi (République démocratique du Congo), Denis Sassou Nguesso (Congo), Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud). Assis au premier rang, Joao Lourenço, président de l’Angola depuis 2017, a également assisté à la cérémonie. Défenseur d’une politique anticorruption qui a notamment ciblé la famille dos Santos, il n’a pas prononcé un mot. A quelques mètres, près de la famille du défunt et notamment d’Ana Paula, la dernière épouse de « Zedu », se tenait Adalberto Costa Junior, leader de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), parti rival du MPLA.
Mercredi 24 août, l’opposant affrontait dans les urnes M. Lourenço lors d’élections législatives qui doivent décider du prochain chef d’Etat. Selon les résultats provisoires de la commission nationale électorale (CNE), après dépouillement de 97 % des suffrages, le MPLA devait l’emporter avec 51 % des voix et 124 députés devant l’Unita (44 %, 90 députés). Mais ces scores sont contestés par l’Unita, qui a déposé plusieurs recours. « Les résultats ne sont pas conformes à notre propre décompte et nous pensons avoir obtenu davantage », a déclaré M. Costa Junior, 60 ans, en marge des funérailles. Samedi, cinq membres de la CNE avaient déclaré qu’ils « ne signeraient en principe pas » les résultats provisoires.
Des habitants partagés entre peine et indifférence
Plusieurs appels à manifester ont déjà circulé sur les réseaux sociaux, mais aucun rassemblement n’a encore eu lieu. Samedi, dès l’aube, le centre-ville a été bouclé par les forces de l’ordre pour les commémorations en hommage à José Eduardo dos Santos. Celles-ci ont commencé par la levée du corps dans la résidence familiale du quartier chic de Miramar où sa dépouille était arrivée une semaine plus tôt en provenance de Barcelone, lieu de son exil politico-médical depuis 2019. Au passage du cortège funèbre, escorté par la police et la gendarmerie, des habitants de Luanda ont pleuré, d’autres ont chanté en agitant leur drapeau du MPLA. Mais la plupart ont continué de vaquer à leurs occupations, regrettant que les accès au centre-ville soient bloqués.
Le cercueil d’Eduardo dos Santos a ensuite été porté sous une tente du mausolée Antonio-Agostinho Neto, une vaste plaine ouverte sur l’océan comprenant un obélisque en ciment d’inspiration soviétique au pied duquel repose le premier président angolais (1975-1979). Quelques milliers de membres du MPLA sont venus se recueillir. A l’extérieur de la tente, des panneaux honoraient la mémoire de l’ancien président : « Adeus presidente amigo » (« adieu président ami), « A te sempre commandante » (« pour toujours notre commandant »)…
« Tourner la page des dos Santos »
Lorsque le « guérillero » José Eduardo dos Santos est arrivé au pouvoir, en 1979, l’Angola était en proie à une guerre civile depuis quatre ans. Celle-ci a fait 500 000 morts et s’est achevée en 2002 avec la mort de Jonas Savimbi, fondateur de l’Unita. Grâce au « boom pétrolier », les pétrodollars se sont alors déversés sur l’Angola, deuxième producteur d’or noir du continent, mais n’ont que peu profité aux 34 millions d’habitants d’un pays parmi les plus inégalitaires du monde.
Après son élection en 2017, malgré des efforts pour lutter contre la corruption et tenter de diversifier l’économie de son pays, Joao Lourenço s’est heurté à la crise pétrolière et à la pandémie de Covid-19. « Le niveau de vie a reculé et, après cinq ans de récession, les perspectives sont mauvaises, car la production de pétrole est en très nette baisse, analyse Benjamin Augé, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et auteur du rapport L’Angola sous Joao Lourenço, un changement a minima de l’Etat MPLA (2019). Dans ce contexte anxiogène, les Angolais n’auront aucun mal à tourner la page dos Santos qui a bénéficié d’énormes revenus. »
Le Monde