L’ex-président algérien Abdelaziz Bouteflika a été inhumé dimanche au carré des martyrs du cimetière d’El Alia à Alger, réservé aux héros de la guerre d’indépendance, mais il a eu droit à bien moins d’honneurs que ses prédécesseurs.
Chassé du pouvoir en 2019 après 20 ans à la tête de l’Algérie, Abdelaziz Bouteflika s’est éteint vendredi à l’âge de 84 ans dans sa résidence médicalisée de Zeralda dans l’ouest d’Alger.
Le cortège funèbre est arrivé au cimetière d’El Alia, après avoir parcouru une trentaine de km depuis Zeralda. La dépouille a été portée sur un affût de canon tiré par un véhicule blindé couvert de fleurs.
Aux côtés de membres de la famille, le président Abdelmadjid Tebboune, qui fut Premier ministre sous Bouteflika, les ministres et des diplomates étrangers étaient présents au cimetière, selon les médias.
Signe d’un certain embarras officiel, l’exposition de la dépouille initialement prévue pour un hommage des dignitaires et du grand public au Palais du peuple d’Alger, a été annulée, selon des sources concordantes.
Les corps des prédécesseurs de Bouteflika et même son ex-chef d’état-major Ahmed Gaïd Salah ont tous été exposés dans ce bâtiment d’apparat avant d’être enterrés.
Le ministre des Moudjahidine (les anciens combattants), Laïd Rebigua, a prononcé l’oraison funèbre de celui qui fut aussi, dans les années 1970, un flamboyant chef de la diplomatie algérienne pendant 14 ans.
La dépouille d’Abdelaziz Bouteflika a ensuite été mise en terre au carré des Martyrs où reposent ses prédécesseurs, aux côtés des figures de la guerre d’indépendance (1954-1962).
« La mort d’un simple quidam » ?
Affaibli et aphasique depuis son AVC en 2013, l’ex-président avait été contraint à la démission le 2 avril 2019, sous la pression des manifestations massives du mouvement pro-démocratie Hirak contre son intention de briguer un 5e mandat consécutif.
Au terme de plusieurs heures de flottement sans réaction officielle, M. Tebboune, au pouvoir depuis fin 2019, avait fini par décréter samedi la mise en berne du drapeau national et un deuil de trois jours pour honorer « le moudjahid Abdelaziz Bouteflika ».
Ces atermoiements illustrent, selon les observateurs, des craintes de manifestations hostiles contre un ex-président à l’image ternie.
« Franchement, j’ai mieux à faire que de m’intéresser aux obsèques d’un président qui a laissé le pays dans un état lamentable. Je préfère m’occuper de mes oiseaux », a déclaré dimanche Farès, 62 ans, un retraité des finances qui habite à Alger.
Pour Islam, 45 ans, postier dans la capitale, « cet enterrement est un non-événement. Autour de moi, personne n’en parle en tout cas. C’est comme s’il s’agissait de la mort d’un simple quidam, qui n’a jamais été président. Les Algériens donnent l’impression d’avoir oublié Bouteflika, d’avoir tourné la page de son règne ».
« Enormément de haine »
« Il y a énormément de haine autour de la figure de Bouteflika sur les réseaux sociaux », a indiqué Isabelle Werenfels, chercheuse suisse spécialiste du Maghreb à l’institut allemand SWP.
Cela a rendu les décideurs actuels « nerveux » sur l’organisation des obsèques, selon elle, car « parmi les élites politiques, économiques et administratives, il y a un nombre assez important de personnes qui sont des produits ou des profiteurs de l’ère Bouteflika ».
Tous les anciens chefs d’État ont eu droit à des funérailles solennelles et huit jours de deuil national, à l’instar du premier président de l’Algérie indépendante Ahmed Ben Bella (1963-1965) et du troisième chef d’Etat Chadli Bendjedid (1979-1992), tous deux décédés en 2012.
Sans parler des funérailles grandioses du mentor de Bouteflika, l’ex-président Houari Boumedienne (1965-1978), marquées en 1978 par le tir de cent coups de canon et qui rassemblèrent des centaines de milliers de personnes.
Après l’annonce du décès du président déchu vendredi par une simple brève lue à la télévision nationale, les médias officiels lui ont réservé un traitement minimaliste.
Le puissant chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, un ancien ministre sous Bouteflika, a lui attendu jusqu’à dimanche pour transmettre ses condoléances à la famille.
À l’étranger, le roi du Maroc Mohammed VI a adressé un message de « compassion » à M. Tebboune, en dépit de fortes tensions entre les deux pays.
Source: Jeune Afrique