« Les demandeurs d’asile et les migrants sont utilisés comme les pions d’un jeu politique », a dénoncé l’ONG Amnesty International.
La zone frontalière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta a retrouvé son calme jeudi 20 mai, après un déferlement sans précédent de Marocains candidats à l’exil, mais les tensions diplomatiques entre Rabat et Madrid restent fortes.
L’Espagne a encore haussé le ton jeudi en accusant le Maroc d’« agression » et de « chantage », tandis que son partenaire traditionnel dans la lutte contre la migration illégale dénonçait « double langage » et « intimidations ».
Sur place, le flot des arrivées s’est tari, mais la police espagnole a repêché dans l’après-midi le corps sans vie d’un homme qui avait tenté la traversée, sans que l’on sache à quand remontait le drame. Il s’agit de la seconde noyade depuis le début de cette crise migratoire.
Après une nuit agitée, les rues de la ville marocaine de Fnideq, où avaient afflué un grand nombre de jeunes en quête d’un avenir meilleur, se sont vidées. Et plus aucun candidat à l’exil ne tentait d’approcher la plage de Ceuta.
Norias de bus affrétés par le Maroc
Depuis lundi, quelque 8 000 migrants ont rejoint Ceuta par la plage ou par la mer, profitant d’un relâchement des contrôles frontaliers côté marocain. Parmi eux, 6 000 ont déjà été expulsés vers le Maroc, selon les autorités espagnoles.
Des norias de bus affrétés par les autorités marocaines ont ramassé toute la journée des migrants expulsés ainsi que ceux qui espéraient franchir à leur tour la frontière, pour les ramener dans leurs villes d’origine, a constaté l’AFP.
Des sources policières ont confirmé que « l’Espagne et le Maroc avaient conclu un accord pour officialiser ce qu’il se passe déjà en pratique », avec l’organisation de retours par groupe pour les adultes entrés à Ceuta.
Quelque 3 000 personnes ont été évacuées depuis le début de cette opération qui a commencé vers 2 heures du matin jeudi (1 heure GMT), selon les informations obtenues par l’AFP. Beaucoup de ceux qui ont été refoulés, dont un nombre impressionnant de mineurs, sont restés tant qu’ils le pouvaient à proximité de la frontière.
L’accueil du leader du Front Polisario
Mais depuis mercredi, même les plus téméraires ont été bloqués par les forces marocaines, refoulés par les gardes espagnols ou dissuadés par les tirs de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc.
« Un jour ou l’autre, je retenterai ma chance et j’y arriverai », assure Hassan, 17 ans. Pieds nus ou en sandales, habits déchirés par les barbelés, couverts de sable ou de poussière, certains ont encore tenté de forcer le passage dans la nuit de mercredi à jeudi, provoquant des heurts avec les forces marocaines.
L’épisode nocturne le plus violent a vu un millier de jeunes Marocains jeter des pierres sur les forces de l’ordre à Fnideq avant d’incendier la moto d’un responsable local de sécurité et de mettre le feu à des poubelles.
En toile de fond de cet afflux migratoire sans précédent persistent de fortes tensions entre Madrid et Rabat, qui ne décolère pas depuis l’arrivée en avril en Espagne, pour y être soigné, de Brahim Ghali, chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, ennemi juré du Maroc.
Agression envers l’Union européenne
« La véritable source de la crise, c’est l’accueil par Madrid sous une fausse identité du chef séparatiste des milices du Polisario », a déclaré jeudi le ministre des affaires étrangères Nasser Bourita cité par l’agence officielle MAP.
« La crise durera tant que sa véritable cause ne sera pas résolue. Le Maroc refuse de recevoir ce genre d’intimidations, basées sur des clichés du passé », a-t-il dit en réponse aux multiples protestations de Madrid.
L’afflux de ces migrants « est une agression à l’égard des frontières espagnoles, mais aussi des frontières de l’Union européenne », a affirmé la ministre espagnole de la défense Margarita Robles, à l’instar de Bruxelles qui n’avait pas caché son agacement la veille.
Les deux pays se renvoient aussi la balle sur le traitement des mineurs : Madrid reproche qu’on les ait laissés passer et Rabat affirme que les moyens employés pour les refouler étaient disproportionnés.
Amnesty International a renvoyé dos à dos les deux pays : « Les demandeurs d’asile et les migrants sont utilisés comme les pions d’un jeu politique entre le Maroc et l’Espagne », a déclaré l’ONG en ajoutant qu’« environ 2 000 enfants non accompagnés » avaient rallié l’enclave. Il en restait jeudi 800 sur « quelque 1 500 » arrivés, selon la préfecture de Ceuta.
Les habitants de la ville portuaire oscillent entre panique, colère ou pitié. Si certains sont touchés par la détresse de ces jeunes et leur fournissent de la nourriture, une couverture ou de la monnaie, d’autres sont énervés par leur présence, craignant que la situation ne dégénère.
L’enclave de Ceuta, héritée de l’époque de la colonisation espagnole, est l’une des deux seules frontières terrestres de l’Union européenne avec l’Afrique, avec l’enclave de Melilla 400 kilomètres plus à l’est.
Source: Le Monde