Alors que le niveau des contaminations reste très faible sur le continent, une poignée de pays doit affronter une nouvelle flambée du virus
Sur la carte du monde de la pandémie, l’Afrique continue de se démarquer. Alors que l’Europe voisine apparaît à nouveau submergée, le nombre des contaminations connues y est comparable à celui de la France. Plus de neuf mois après l’apparition du Covid-19 sur le continent – le 14 février en Egypte –, 1,95 million de cas ont été signalés, soit moins de 4 % des cas recensés dans le monde alors que le continent compte 17 % des habitants de la planète. Le nombre de décès – 46 836 au 15 novembre, selon les chiffres du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC) – y apparaît également contenu, avec un taux de mortalité identique à la moyenne mondiale (2,4 %).
Les interrogations sur la fiabilité des chiffres n’ont pas disparu, justifiées par le faible niveau du dépistage – moins de 20 millions de personnes testées au total. Pour autant, aucun pays n’a observé des pics de surmortalité qu’il ne saurait expliquer, pouvant laisser croire à une diffusion du virus restée sous les radars.
Semaine après semaine, les infrastructures sanitaires, malgré leur insuffisance générale, ont permis de faire face. Et les anticipations catastrophiques des premiers jours ne se sont pas matérialisées. « Nous avions renforcé nos dispositifs de prise en charge mais nulle part nous n’avons eu à faire face à un nombre important d’hospitalisations », témoigne la docteure Isabelle Defourny, directrice des opérations de Médecins sans frontières, qui intervient dans trente pays.
La première vague de Covid-19 a atteint son pic fin juillet avant de décroître pour se stabiliser en dessous de 7 000 cas journaliers en septembre. Depuis, le nombre de cas déclarés par les Etats à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et à Africa CDC augmente au rythme d’un peu plus de 10 % par semaine.
Continent divisé en deux
Le dernier bilan hebdomadaire d’Africa CDC recense un peu moins de 90 000 nouvelles contaminations. Ce chiffre qui, vu d’Europe, ne semble pas inquiétant, confirme pourtant pour les experts locaux l’amorce d’une deuxième vague. Un peu différente de la première. La géographie de l’épidémie s’est cependant transformée et c’est dans le nord du continent, Maroc et Egypte en tête, qu’elle progresse aujourd’hui le plus vite.
Au sud du Sahara, le Kenya est lui aussi confronté à des niveaux de contamination supérieurs à ceux de l’été. Ici et là, un reconfinement est même envisagé. L’Afrique du Sud, qui concentre plus de 40 % des malades diagnostiqués du continent, n’a pas rechuté mais là aussi l’inquiétude persiste. Dans une allocution télévisée, mercredi 11 novembre, le président Cyril Ramaphosa a averti de la dégradation observée dans la région méridionale du Cap et annoncé la reprise des opérations de dépistage dans les zones où le nombre de cas commence à flamber.
« Le continent peut être divisé en deux. Dans la moitié des pays, le nombre de contaminations continue de diminuer et dans l’autre, il augmente », résume le docteur Ngoy Nsenga, responsable de la réponse aux crises en Afrique à l’OMS. Certains, comme l’Angola, après avoir imposé un confinement dès le mois de mars à l’apparition des premiers cas, connaissent seulement leur première vague. Un retournement qui, pour le docteur Nsenga, s’explique comme partout par « un relâchement dans le respect des gestes barrières et une fatigue envers toutes les mesures de restriction subies depuis des mois ».
Multiples inconnues
La réaction précoce des gouvernements dans la gestion du nouveau coronavirus, la maîtrise des méthodes de dépistage et de traçage dans une région habituée à gérer des contagions récurrentes constituent pour ce responsable de l’OMS « l’élément décisif » pour expliquer l’évolution singulière du continent. Même s’il n’écarte pas les autres hypothèses souvent avancées : forte proportion des jeunes dans la pyramide des âges, faible insertion de l’Afrique dans les grands itinéraires de la mobilité internationale ou encore une meilleure résistance des populations acquise par une exposition régulière aux virus…
« Nous n’avons pas beaucoup avancé pour comprendre pourquoi l’Afrique évolue de manière différente. Au Cameroun, très peu de personnes ont dû être hospitalisées. Peu sont mortes. Le taux d’occupation des lits Covid est de 1 %. Le confinement a été peu respecté et aujourd’hui, tout le monde va à la messe ou participe à des rassemblements sportifs sans porter de masques. Quelque chose a protégé la population. Quoi précisément ? Je ne sais pas. »
Cette équation aux multiples inconnues ne facilite pas la gestion des mesures sanitaires. D’autant que, comme dans le reste du monde, la crise économique et ses répercussions sociales se font durement sentir. Sans que les Etats aient ici les moyens de financer les puissants amortisseurs déployés par exemple en Europe. Doivent-ils à nouveau fermer les frontières aériennes qui commençaient à peine à s’ouvrir pour nombre d’entre eux ? Reconfiner leur population ? « Nous avons besoin de pouvoir affiner les réponses, de faire du sur-mesure », répond Akhona Tshangela, responsable de l’unité de modélisation d’Africa CDC.
Ne pas baisser la garde
Un projet a été lancé avec la mutuelle d’assurances panafricaine ARC (African Risk Capacity) qui dispose déjà d’une expérience dans la gestion des fièvres hémorragiques et des méningites. « Au début de la pandémie, nous avons utilisé des modèles américains avec des données chinoises pour essayer d’anticiper ce qui se passerait chez nous et cela a abouti à des estimations totalement surestimées. Avec un recul de neuf mois, nous commençons maintenant à avoir nos propres chiffres et nous devons construire des modèles qui reflètent nos réalités », poursuit-elle.
L’objectif est de proposer aux gouvernements différents scénarios avec une panoplie de mesures plus ou moins ciblées. « Que se passe-t-il s’ils ferment les marchés, ou les écoles ? Gèlent les factures d’électricité dans les villes pour aider les plus pauvres ?… Ce sont des questions auxquelles nous voulons pouvoir répondre pour que les dirigeants mesurent aussi l’impact socio-économique de leurs décisions », précise Amadou Bah, qui pilote l’initiative pour ARC, à Johannesburg.
Que la vie reprenne son cours sans avoir eu vraiment à livrer bataille, ou qu’il faille au contraire se préparer à en livrer une nouvelle, l’heure n’est pas à baisser la garde sur le continent. « Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation qui de loin peut paraître maîtrisée. Il faut continuer à faire baisser le nombre de contaminations même là où elles sont très faibles. Des efforts ont été accomplis pour renforcer nos infrastructures sanitaires mais elles restent fragiles pour faire face à un choc important », martèle Ngoy Nsenga. Pour la première fois de sa carrière, il doit gérer une épidémie désormais présente sur tout le continent.
Source: Le Monde