Le conflit malien sera-t-il une défaite française? Le général Lecointre a estimé que l’année 2020 sera cruciale, mais la France n’a renforcé l’opération Barkhane que d’un détachement de 220 hommes. Certes fourni par le prestigieux 2e Régiment étranger de parachutistes, mais cela suffira-t-il? Le colonel Hogard (RE) nous en dit davantage.
Les combats furent «âpres», selon l’État-major. Dans la nuit du 14 au 15 janvier, au sud de Mopti, dans cette région frontalière du Burkina où la «katiba Macina» sème le chaos, les commandos français ont de nouveau fait le coup de feu. Héliportés et soutenus par des hélicoptères d’attaque, ils sont venus à bout de tout un groupe de combat djihadiste. Signe de l’intensité de l’engagement dans cette région arborée où les couverts sont nombreux, il a fallu l’aide d’une frappe aérienne, d’un drone Reaper ou de mirages 2000. En tout, trente djihadistes ont été mis hors de combat et une vingtaine de motos saisies.
Un nouveau succès. Mais, malgré leur accumulation apparente, ils ne sauraient à l’heure actuelle garantir la victoire, tant le conflit penche en défaveur de l’opération Barkhane. Le 13 janvier à Pau, lors du G5 Sahel, Emmanuel Macron avait annoncé l’envoi de 220 militaires supplémentaires, notamment pour accentuer l’effort dans la région des Trois frontières et combattre l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) qui y règne presque en maître. Et l’effort sera paradoxal: pour le Général Lecointre, le Chef d’État-major des Armées (CEMA), «l’engagement sera long», mais aussi une course contre la montre: la «bascule» doit advenir dans l’année à venir. Sinon, la situation pourrait bien devenir irrécupérable.
La technologie c’est bien, la rusticité légionnaire, c’est mieux
Le déploiement de «troupes aguerries, expérimentées et habituées à opérer au Sahel» était annoncé et le secret défense a primé quelques jours. Le CEMA, le général François Lecointre a finalement précisé le 22 janvier que ce détachement supplémentaire était issu du prestigieux 2e Régiment Étranger de Parachutistes (2e REP). Déjà présent en Afrique, son redéploiement semblait aussi simple qu’opportun:
«Les dispositifs prépositionnés outre-mer servent à intervenir plus rapidement et efficacement, ils sont immédiatement disponibles. En l’occurrence ici, ils ont été prélevés sur le bataillon français de Port-Bouet, en Côte d’Ivoire, et redéployés au Sahel en renforcement de Barkhane suite au sommet G5 Sahel», nous résume le colonel Jacques Hogard (ER), qui fut officier dans ce régiment d’élite avant de servir au Commandement des Opérations Spéciales.
220 hommes, soit une compagnie et un état-major tactique –qui devrait coiffer deux à trois compagnies–, sont donc arrivés au Mali ou au Niger voisin –nul ne sait pour l’instant. Leur séjour devrait durer de quatre à six mois avant d’être relevés par une autre unité française.
L’envoi de troupes conventionnelles peut surprendre, alors que le ministère de la Défense communiquait récemment davantage sur l’opération Takouba, un rassemblement de forces spéciales européennes, prévu pour janvier 2020. Mais cette dernière tarde après des échecs diplomatiques: les partenaires européens peinent à se porter volontaires. L’Allemagne a refusé d’y déployer son unité d’élite, le KSK, et seule la Belgique avait accepté d’envoyer deux officiers et l’Estonie un détachement au 2ème semestre 2020. Heureusement, la République tchèque a annoncé le 26 janvier dernier contribuer à hauteur de 60 opérateurs supplémentaires. Mais Takouba ne sera opérationnelle qu’à l’automne 2020, et l’attente semble dès lors trop longue: «Takouba n’est pas encore prête de fonctionner. En même temps, vous avez avec le 2ème REP une unité immédiatement disponible», constate le colonel Hogard.
Les deux efforts, entre unités conventionnelles françaises et forces spéciales européennes iront donc de pair. Mais 220 hommes supplémentaires, n’est-ce pas une goutte d’eau dans ce territoire si vaste? D’autant plus que le général Lecointre admettait ne pouvoir véritablement compter, sur le terrain, que sur 2.000 hommes. Car sur les 4.500 hommes de l’opération Barkhane, la majorité est composée d’éléments de logistique et de soutien. Dès lors, envoyer 220 militaires issus d’une unité de mêlée revient à accroître de 10% les effectifs de mêlée français.
Avec la Légion, Macron donne-t-il la garde?
Selon un officier d’infanterie récemment revenu du Mali avec lequel nous avons pu nous entretenir, un tel renfort est positif, «mais c’est néanmoins peu, par rapport aux effectifs qu’il faudrait.» Et notre source d’ajouter que les missions probables des légionnaires seraient classiques: «tenir le terrain, fouiller des sanctuaires djihadistes et mener des opérations de sécurisation de villages.»
Mais envoyer le 2e REP, c’est un peu compenser le déficit numérique. Car il n’en reste pas moins, selon le colonel Jacques Hogard, «la pointe du diamant du dispositif des forces terrestres dites “conventionnelles”»:
«Je dis ça sans esprit de bouton exacerbé, mais le 2e REP est très connu et redouté en Afrique. Il a sa réputation. Je l’ai vécu, et je sais que c’est encore le cas: quand on engage ce régiment, ça a un certain sens. Les parachutistes de Légion mettent les pieds dans une zone très difficile et c’est un signal fort».
Car qui dit unité de choc, dit choc psychologique: «le REP, c’est une unité d’assaut, faite pour cogner et pour faire mal». Ainsi, si cette «mesure d’urgence» s’avère «incomplète», selon le colonel Hogard, elle devrait autant rassurer les alliés africains qu’intimider l’ennemi.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que ces paras sont déployés au Mali. Au début du conflit, ce sont eux qui avaient mené les combats plus rudes, en février et mars 2013. Les légionnaires avaient délogé les djihadistes à la grenade et à l’arme de poing dans les grottes de l’Adrar des Ifoghas. Des engagements au corps-à-corps que l’armée française n’avait pas connu depuis l’Algérie. Et le régiment a déjà perdu deux des siens au Sahel: le sergent-chef Harold Vormezeele, en février 2013, et le sergent Marcel Kalafut, en mai 2014: un légionnaire d’origine belge et un Slovaque, tous deux membres de la section des commandos parachutistes de cette unité d’élite.
Les légionnaires arrivent donc en terrain familier. De surcroît, «le 2e REP est un régiment parfaitement apte à la guerre anti-subversive», selon le colonel Hogard. S’il appartient en effet à la 11e Brigade parachutiste, qui rassemble les unités aéroportées françaises, réputées pour leur excellence, le 2e REP serait à la lisière avec les unités non conventionnelles: «ça a fait débat à l’époque, quand on a créé le Commandement des Opérations Spéciales. Il y avait des voix à l’époque pour intégrer le REP aux forces spéciales, car objectivement il en cultive les savoir-faire depuis des décennies», nous confie Jacques Hogard, qui a aussi commandé le groupement interarmées des forces spéciales au Kosovo. Mais sans doute l’identité étrangère du régiment para a-t-elle primé sur une évolution encore moins conventionnelle.
“Ce n’est pas avec de gros bataillons que l’on gagne ce genre de guerre”, estime le colonel Jacques Hogard: “le véritable enjeu, c”est les populations”. | © AFP 2019 MICHELE CATTANI
More majorum–«à la manière des anciens»
Des atouts indéniables pour procéder à la pacification de la zone, alors que les armées nigériennes et maliennes sont durement étrillées: «l’armée nigérienne, c’est terrible, a perdu l’effectif de plus de deux compagnies en moins de deux mois. L’armée malienne est dans un état pire encore et l’armée burkinabée aussi». Dans la région, seules les armées tchadienne et mauritanienne semblent tenir la dragée haute aux djihadistes. La situation est-elle pour autant désespérée? Le colonel Hogard conserve un brin d’optimisme. Les clés du succès au Mali semblent pour lui déjà connues:
«La technologie et la quantité qui sont certes des atouts ne sont pas tout, la tactique employée est plus importante: ce n’est pas avec de gros bataillons que l’on gagne ce genre de guerre. C’est avec beaucoup d’intelligence et de présence, jusqu’aux plus petits échelons, au contact des populations », nous explique-t-il.
Et si les détracteurs des interventions françaises en Afrique sont toujours prompts à dégainer la rhétorique anticoloniale, la réalité vécue sur le terrain diffère immanquablement:
«Le véritable enjeu, c’est les populations. L’armée française a la culture de cette indispensable proximité, qui est la base de la guerre contre-insurrectionnelle. Il faut des unités d’intervention [des unités spéciales, ndlr], pour agir brutalement, soudainement sur renseignement, mais il faut aussi des troupes aguerries, au contact de la population, chargées du contrôle de zone, qui sont véritablement «chez elles» dans une zone donnée, s’appuyant sur des ressortissants locaux sûrs dont elles auront gagné la confiance voire l’amitié…»
«Obtenir la confiance de la population, faire remonter en flux continu et très naturellement le renseignement humain»: là résiderait donc la «bascule» tant désirée: «l’ennemi perd ainsi peu à peu le contrôle de la situation, notamment de nuit, quand il se croit le meilleur, et passe dans la position du gibier traqué». Des méthodes éprouvées, notamment il y a plus d’un demi-siècle durant la guerre d’Algérie, «une guerre perdue politiquement mais pourtant remportée militairement», selon le colonel Hogard. Ou plus récemment, dans la vallée de la Kapisa en Afghanistan. «Il s’agit surtout d’une méthode typiquement française, on a même parlé de “l’école française de la contre-insurrection”», prisée pendant une courte période en Afghanistan par l’ancien général américain David Petraeus, tant elle s’opposait à la «vision américaine de la guerre», synonyme de «saturation par l’effectif et par les bombes». Ou l’inefficacité garantie à plus long terme.
Avec sputniknews