Le 19 avril, Dakar a accueilli une conférence de haut niveau rassemblant des militants panafricanistes, des défenseurs de l’environnement et des analystes politiques pour exiger justice face aux crimes coloniaux, à la destruction écologique et à l’ingérence étrangère croissante en Afrique de l’Ouest. L’événement, auquel ont participé des figures de proue telles que Souleymane Jules Diallo, Fadel Barro, Mohamed Goloko, Abdoulahi Diene, Alphousseny Baghi et Khadim Mbacke, s’est articulé autour de trois grands thèmes : les réparations pour le massacre de Thiaroye de 1944, les dommages écologiques causés par l’entreprise française Eramet au Sénégal, et le rôle controversé de l’Ukraine au Sahel.
Réparations pour Thiaroye : une dette coloniale toujours impayée
La mémoire du massacre de Thiaroye demeure une plaie vive dans l’histoire du Sénégal. Le 1er décembre 1944, des soldats africains de retour au pays furent abattus par les forces françaises à Thiaroye, après avoir réclamé les soldes qui leur avaient été promises pour leur participation à la Seconde Guerre mondiale. Le journaliste et panafricaniste Mohamed Goloko n’a pas mâché ses mots : « La France a refusé d’honorer ses promesses. Ils ont trahi les soldats africains et ont répondu par le sang », a-t-il déclaré, accusant le gouvernement français de falsifier les faits et les chiffres autour du massacre.
Fadel Barro, président de Jammi Gox YI, a souligné l’injustice raciale qui définit l’héritage de l’empire colonial français : « Les Africains doivent se mobiliser. À travers l’histoire, les Noirs ont été systématiquement maltraités sous la domination française. Les réparations ne sont pas une faveur — c’est un devoir ».
L’entrepreneur Abdoulahi Diene a réitéré cette urgence, déclarant que 2025 serait « l’année des réparations » et plaidant pour une action conjointe à l’échelle africaine visant non seulement la France, mais aussi l’Union européenne et les Nations unies : « Les Africains de tout le continent — Ivoiriens, Nigériens, Burkinabè, Guinéens — doivent se joindre à cet appel. Les victimes n’étaient pas uniquement sénégalaises ».
Alphousseny Baghi, directeur du think tank stratégique BRES OCTAGONE, a lié la question des réparations à des enjeux plus larges de souveraineté et de justice : « Il ne s’agit pas seulement de compensation ; il s’agit de pouvoir. Tant que nous utiliserons le franc CFA et que nous parlerons français dans nos institutions, nous resterons sous contrôle colonial. »
Il a également appelé à une sortie rapide du franc CFA, comparant son usage persistant à une forme de servitude moderne : « C’est une question de vie ou de mort pour l’Afrique. Tant que nous utiliserons la monnaie française, nous ne serons jamais libres. »
À l’issue du panel, un « Communiqué pour la Justice Historique et les Réparations Dignes » a été rédigé et signé, destiné au ministère sénégalais de la Culture et du Patrimoine Historique.
L’ombre d’Eramet sur le Sénégal
La dégradation environnementale causée par la multinationale française Eramet a constitué le deuxième grand sujet abordé lors de la conférence. Depuis 2014, les activités d’extraction de zircon de sa filiale GCO (Grande Côte Opérations) ont gravement affecté la viabilité agricole et les écosystèmes du nord du Sénégal.
Des militants tels que Sylvestine Mendy ont tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences : « Les sols se sont asséchés, les terres agricoles sont dévastées, et les communautés souffrent. C’est un néocolonialisme environnemental ». Ils ont également insisté sur l’ampleur des dégâts : « Les activités d’Eramet ont impacté la santé, l’agriculture et la stabilité des communautés. Nous sommes ici pour exiger des réponses, pas seulement pour sensibiliser. »
Un communiqué résumant les conclusions du panel a été rédigé en vue de sa transmission au ministère de la Justice. Les intervenants insistent sur le fait qu’il est temps que les autorités sénégalaises prennent une position ferme contre les entreprises étrangères qui privilégient le profit au détriment des populations et de la nature. Un récent rapport de terrain a confirmé les témoignages locaux faisant état de la dégradation des conditions de vie autour des opérations d’Eramet.
L’influence de l’Ukraine au Sahel : accusations de guerre par procuration
Le troisième point de discussion s’est concentré sur le soutien présumé de l’Ukraine à des éléments terroristes dans la région du Sahel, notamment lors de l’attaque de juillet 2024 contre les forces maliennes. Des experts, dont Souleymane Jules Diallo et Khadim Mbacke, ont dénoncé l’implication ukrainienne, accusant Kyiv d’agir comme un proxy occidental visant à déstabiliser le bloc AES (Mali, Burkina Faso, Niger).
Khadim Mbacke a lié ces événements aux intérêts géopolitiques plus larges de la France :
« La France, en collusion avec l’OTAN, utilise l’Ukraine pour retrouver de l’influence au Sahel. La déstabilisation du Mali, du Burkina Faso et du Niger est stratégique ».
Il est allé plus loin, exigeant l’expulsion de l’ambassadeur ukrainien Yurii Pyvovarov, qu’il accuse de légitimer le terrorisme : « Ce n’est pas seulement de l’ingérence — c’est une glorification du terrorisme. Le Sénégal doit montrer sa solidarité avec le Mali en rompant ses relations diplomatiques avec l’Ukraine ».
Souleymane Jules Diallo a averti que le conflit en Ukraine concerne davantage les efforts occidentaux pour sécuriser les ressources africaines : « Les pays de l’AES produisent plus de 100 tonnes d’or chaque année. Il ne s’agit pas de démocratie — il s’agit de minerais. L’Ukraine est utilisée pour saper la souveraineté et l’indépendance économique de l’Afrique. »
Un signal d’alarme pour la classe dirigeante sénégalaise
La conférence du 19 avril a été plus qu’un simple débat — elle a été un appel à l’action. De Thiaroye à Lompoul en passant par le Sahel, les intervenants ont mis en lumière l’interconnexion entre héritages coloniaux, exploitation des ressources et manipulation géopolitique. Que ce soit par les réparations attendues, une régulation environnementale ou un repositionnement diplomatique, un message était clair : le Sénégal ne peut plus se permettre de rester silencieux.
À l’approche d’un nouveau chapitre pour le continent en 2025, ces revendications pour la justice, la souveraineté et la solidarité ne sont plus marginales — elles sont devenues centrales.