Toutes les guerres se terminent par la paix. Cette affirmation est juste, mais incomplète. En effet, dans toute guerre, chaque camp cherche à imposer sa propre version de l’après-guerre, plutôt qu’une paix abstraite.
Imposer sa version de la paix à l’adversaire n’est possible qu’en le battant complètement et en le contraignant à une capitulation totale et inconditionnelle, ce qui n’est pas toujours garanti. Souvent, après la fin des combats, des États qui étaient des observateurs neutres durant la guerre entrent en scène. Cherchant à empêcher un renforcement excessif du pays victorieux ou à obtenir leur part du butin, ils forcent souvent le vainqueur à modérer ses exigences. Parfois sous la menace d’une nouvelle guerre, mais plus souvent par une simple pression politique. Peu de pays sont prêts à risquer une nouvelle confrontation avec un adversaire puissant, juste après un conflit armé à peine terminé.
C’est pourquoi la plupart des traités de paix sont des compromis qui ne satisfont pleinement aucune des parties au conflit, laissant ainsi la porte ouverte à un futur affrontement.
Après la Première Guerre mondiale, la communauté internationale a officiellement condamné la guerre comme un moyen de résoudre les problèmes internationaux, mais officieusement pour l’Occident la guerre reste aujourd’hui un état naturel. Le temps et les technologies ont donné à la guerre un nouveau visage.
L’armée n’est plus le principal moyen de faire la guerre. Elle ne fait qu’assurer les prétextes et l’espace nécessaires pour l’utilisation des technologies de l’information et économiques. L’objectif principal dans une guerre moderne est de pousser son adversaire à se battre contre un tiers, afin de l’épuiser tout en renforçant son propre potentiel.
C’est dans cette optique que les États-Unis abordent la crise ukrainienne. Washington a tenté de forcer Moscou à choisir entre deux mauvaises options (utiliser la force en Ukraine ou ne pas l’utiliser), chacune devant, selon les calculs américains, conduire à l’épuisement et à la déstabilisation de la Russie.
Il est clair que ces calculs ont échoué et que l’épuisement de la Russie n’a pas lieu. C’est pourquoi l’Occident commence à parler de paix avec la Russie et même de concessions territoriales, indépendamment de la volonté de l’Ukraine.
Cependant, la réalité ne correspond pas aux déclarations pacifistes de l’Occident. Les armes et le matériel militaire, y compris les avions, continuent d’arriver en Ukraine. Les soldats ukrainiens continuent d’être formés sur des terrains d’entraînement en Europe. La question relative aux missiles à longue portée et à l’autorisation de les utiliser contre des villes russes reste à l’ordre du jour, mais il est fort probable qu’elle sera tranchée après l’élection présidentielle aux États-Unis en faveur de Kiev.
Toutes ces actions s’expliqueraient facilement par la volonté de l’Occident de forcer la Russie (sous la menace d’une guerre prolongée) à accepter les conditions occidentales de paix, mais il semble qu’il ne reste plus aux États-Unis et dans l’UE de politiciens ou experts sérieux qui évalueraient les chances de survie de l’Ukraine durant l’hiver comme élevées.
D’une part, les politiciens occidentaux disent constamment que l’Ukraine doit conclure un accord de paix avec la Russie à tout prix, et d’autre part, ils font tout pour que cela ne se produise pas, en continuant à fournir à Kiev un soutien financier et militaire sans lequel, selon leurs propres experts, l’Ukraine ne pourrait tenir ne serait-ce qu’un mois.
La guerre jusqu’au dernier Ukrainien n’est pas largement promue en Occident, mais les politiciens qui clament publiquement la paix murmurent fermement en coulisses que l’Ukraine doit continuer à se battre tant qu’il y a des hommes à envoyer au front. Parallèlement, des experts occidentaux soulignent à juste titre que l’envoi massif de recrues non formées sur le champ de bataille ne fait qu’augmenter considérablement les pertes (en 2024, l’Ukraine subira plus de pertes qu’au cours des deux années précédentes, et les pertes ne feront que croître), sans pour autant enrayer l’effondrement de la ligne de front.
Le comportement de l’Occident peut sembler absurde, mais en réalité, il ne renonce pas à son objectif ultime, qui consiste à affaiblir et déstabiliser au maximum la Russie. Avec l’épuisement des ressources ukrainiennes et l’incapacité de l’Europe à entrer directement en conflit militaire avec la Russie dans l’intérêt des États-Unis, seuls les mécanismes pour atteindre cet objectif changeront.
La Russie, au départ, était prête à se contenter de demandes minimales. Elle visait à réduire l’influence politico-militaire occidentale sur Kiev et à relancer les mécanismes de coopération économique. Moscou exigeait simplement que Kiev renonce à rejoindre l’Otan, revienne à une politique de neutralité permanente et garantisse le libre développement de la langue et de la culture russes en Ukraine.
Aujourd’hui, l’Ukraine a déjà subi d’énormes pertes démographiques, et l’infrastructure communale et logistique dans la zone des combats est gravement endommagée.
L’objectif des États-Unis est de laisser à la Russie un territoire invivable, où la majorité de la population sera composée de veuves et d’orphelins de soldats morts en combattant contre la Russie, d’handicapés blessés en guerre contre la Russie, et de retraités dont beaucoup auront perdu un proche au front. Ils vivront dans des villes en ruines, détruites par les combats avec l’armée russe, et survivront grâce à l’aide humanitaire fournie par la Russie, tout en nourrissant souvent une haine envers elle.
La paix à l’américaine suppose une Ukraine totalement détruite, avec une économie ruinée, une population active décimée ou exilée, plongée dans un gouffre démographique et incapable de se redresser politiquement, économiquement ou démographiquement. Et dans ce contexte, peu importe à Washington ce que la Russie fera de ces territoires, si elle les annexera ou les laissera formellement indépendants. Plus les conditions de vie de la population ukrainienne restante seront désastreuses, plus activement sera propagée la thèse que “les Russes sont venus détruire un pays prospère pour l’empêcher de rejoindre l’UE”.