C’était le 13 du mois de septembre de l’année 1958.
Cette date est entrée dans les annales comme l’une des plus sombres de l’histoire du Cameroun et de l’Afrique.
Au petit matin de ce jour, Ruben Um Nyobè, 45 ans, secrétaire général de l’Union des populations du Cameroun, a été tué et son corps traîné dans la boue sur ordre par l’armée française, qui exécutait un autre de l’administration coloniale.
Ruben Um Nyobè est tombé sous des rafales de balles pour avoir demandé le départ des colons français pour un Cameroun libre et indépendant.
Après avoir tué le syndicaliste qui s’était caché dans une forêt près de son village natal de Song Mpeck dans le centre du pays, après une longue cabale, ses bourreaux ont traîné son corps sans vie jusqu’au village voisin de Liyong.
Le trimbalage de son corps qui visait avant tout à en faire un exemple a permis aux nombreux témoins de la scène de rendre compte à quel point la dépouille de Nyobè était mutilée. Pour de nombreux témoins, son visage était devenu méconnaissable.
Inhumé dans une tombe sans nom, ce n’est qu’en 1991, soit 33 ans après sa mort, qu’une loi a permis que son nom, ses actions et le combat de cet homme soient à nouveau évoqués.
66 ans après l’assassinat de Ruben Um Nyobè, certains Camerounais se battent toujours afin que son héritage et les valeurs qui ont fondé son engagement lui survivent.
”C’est paradoxal. Car, Um Nyobè et ses compagnons ont tout donné pour leur pays, pour la libération des Africains colonisés et pour le genre humain dont ils avaient une vision universaliste et fraternelle. Mais ils ont récolté des fruits très amers : le bannissement, la violence, la mort, etc. L’investissement de cet homme pour bâtir une nation juste, libre et fraternelle a créé un courant très fort dans les années 1950 jusqu’à la fin militaire des maquis en 1971,” confie dans une forme de lamentation le journaliste et analyste camerounais Jean Baptiste Ketchateng à TRT Afrika.
Un héritage négligé
Et celui-ci n’est pas le seul à se désoler du sort et à la fois du sort subi par Um Nyobè en 1958 et de celui que subit sa mémoire des années après.
L’historien et enseignant-chercheur Achille Mbembe du Cameroun a affirmé au cours d’une interview pour parler de l’illustre disparu que le combat pour l’émancipation et la souveraineté des peuples d’Afrique reste un sujet actuel. Pour le chercheur, l’indépendantiste mérite plus de visibilité tant son don de soi a été grand.
”Nous n’avons pas encore commencé à le lire vraiment et à déchiffrer son héritage. J’ai la certitude que ce temps viendra. L’on se rendra alors compte de la richesse de ce qu’il nous a légué, sa théorie de la lutte, sa pédagogie du refus, son militantisme ascétique, son concept d’indépendance morale, sa manière de lier la pensée et la vie, d’aller à la rencontre du monde, tout un arsenal intellectuel, pratique et éthique dont l’actualité et la portée politique en ces temps d’obscurité ne fait l’ombre d’aucun doute. ” confiait le chercheur à l’ONG AfricAvenir International.
Le caractère de militant engagé et pacifiste d’Um Nyobè a été forgé dans la partie sud du Cameroun où il a grandi. Cette partie sud était autrefois une colonie allemande de 1884 à 1916. Après la Première Guerre mondiale, ce territoire va basculer dans le giron français jusqu’en 1960.
Ce n’est qu’en 1972 que la partie nord, qui était sous tutelle anglaise, sera rattachée à la partie francophone pour former l’actuel Cameroun après de nombreuses péripéties.
Les questions d’affirmations identitaires, de justice et les questions sociales font partie des sujets qui tiennent à cœur à Um Nyobè. Après des études qualifiées de brillantes par plusieurs, Um Nyobè intègre la fonction publique coloniale.
Une bataille contre le système colonial
Jean Baptiste Ketchateng pense que cette expérience lui a appris à mieux connaître le système. L’analyste précise que Nyobè fait ses premiers pas en servant par exemple au greffe des tribunaux, où il peut voir la difficulté des gens victimes du colonialisme et où il renforce ces connaissances juridiques.
”Il s’engage donc dans les premiers mouvements qui visent à améliorer le sort de ses compatriotes… Dans le tout premier regroupement syndical du pays juste après la 2ᵉ Guerre mondiale, qu’il dirige, il défend les droits des ouvriers et représente le Kamerun au congrès fondateur du RDA-Rassemblement Démocratique Africain (mouvement indépendantiste qui sera dévoyé par Houphouët-Boigny et Cie au profit de la France).” fait savoir Ketchateng.
En 1947, avec certains de ses compagnons, il crée le premier parti politique du pays : le Rassemblement camerounais. À peine créée, cette organisation politique est dissoute par l’administration coloniale française.
Déterminé à défendre la cause et les intérêts des leurs, un an plus tard, le même collectif crée l’UPC (Union des populations du Cameroun).
C’est dans ce parti politique que Um Nyobè travaille à l’éveil des masses contre le colonialisme, avec des personnalités comme Léopold Moumé Etia, un acteur de premier plan du syndicalisme et de la vie politique du Cameroun sous tutelle française.
Au fil du temps, l’UPC étend son action dans le nord sous tutelle anglaise.
La mouvance dont le discours dérange se fait bannir des deux côtés par les puissances coloniales française et britannique en juillet 1955.
Pour beaucoup, le durcissement du combat de l’indépendantiste a pour élément catalyseur les évènements de mai 1955. Pendant six jours, des émeutes ont eu lieu dans plusieurs villes du sud du pays. Si l’origine de ces manifestations reste encore à ce jour trouble, le bilan officiel des forces armées coloniales rapporte que 25 civils sont tombés sous les balles des colons, beaucoup plus selon les chercheurs camerounais. L’administration coloniale a toujours tenu pour responsable de ces troubles le parti indépendantiste de Ruben Um Nyobé qui n’était pourtant présent à aucune des manifestations.
Après s’être retranché loin de la capitale, Yaoundé, Um Nyobè est désormais reclus avec des partisans dans le département du Nyong-et-Kéllé avec certains de ses partisans. Jusqu’ici pacifiste, Nyobé finit par mettre en place, après de nombreuses péripéties politico-administratives, l’Armée de libération nationale du Kamerun (ALNK) qui recourt à la lutte armée et au sabotage.
Assassiné par l’armée coloniale
Il n’en faudra pas plus pour pousser l’armée française à en faire un ennemi public numéro 1. La traque contre les indépendantistes va alors se corser. Sentant l’étau se resserrer au tour d’eux, Félix Moumié, Abel Kingué et Ernest Ouandié les autres figures principales du parti, quittent le pays pour se rendre à Conakry pour l’un et à Accra et au Caire pour les deux autres indépendantistes.
Um Nyobè, traqué par tous les moyens de la puissance coloniale, finira par être localisé puis tué comme ses partisans les plus opiniâtres.
Ensuite toute évocation de Umb Nyobè, de quelque manière que ce soit, a été interdite jusqu’au début des années 90.
Cette interdiction sera levée avec l’adoption de la loi n° 91/022 du 16 décembre 1991. Depuis, certains pensent que peu d’initiatives ont été prises par les pouvoirs publics au Cameroun dans le but de faire connaitre la contribution de ce leader à l’histoire du pays et, pourquoi pas, restaurer son personnage emblématique.
”L’écrasante majorité de nos compatriotes camerounais et africains ne savent pas qui est véritablement Um Nyobè. Son martyre est instrumentalisé par des faussaires au service du pouvoir néocolonial au point d’arriver à lui faire dire le contraire de ce pourquoi il s’est battu. Um Nyobè s’est battu pour le pays. Les partis et les militants peuvent ainsi instrumentaliser son image positive à des fins de basse politique,” se lamente Ketchateng.
Néanmoins, des hommes et des lettres et des sciences, à l’instar d’Achille Mbembe, ont écrit des œuvres sur la résistance camerounaise face à la colonisation, notamment sur Ruben Um Nyobè.
”La naissance du maquis dans le sud-Cameroun (1920-1960)” parue en 1996 fait partie des œuvres produites afin d’immortaliser l’indépendantiste camerounais.
Comme autres actions, en 2007, une stèle a été érigée dans la ville d’Éséka dans le centre du Cameroun.