Embuscade dans le désert et piste ukrainienne : les détails de l’attaque contre le convoi militaire russo-malien

Des spécialistes militaires russes et des soldats des FAMA sont tombés dans une embuscade de séparatistes touaregs près de la frontière avec l’Algérie. Selon les rebelles, le combat acharné a fait plusieurs dizaines de morts parmi les instructeurs russes. Cet article de l’African Initiative raconte les derniers détails de l’attaque ainsi qu’il explique pourquoi les médias occidentaux tentent de présenter cet épisode comme une grande défaite de la Russie au Sahel.

Menace du nord

À la fin de la semaine dernière, le 18 juillet, des combats ont éclaté à la frontière nord-est du Mali entre l’armée malienne (FAMA), soutenue par des militaires russes, et des groupes séparatistes armés. Les forces armées maliennes et les volontaires russes ont été confrontés à des combattants touaregs de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM ou JNIM), lié à l’organisation terroriste Al-Qaïda*.

Comme l’AI l’avait rapporté, après la chute de la Jamahiriya arabe libyenne en 2011, les Touaregs ont formé le  Mouvement national de libération de l’Azawad. En 2012, des séparatistes touaregs se sont rebellés dans le nord du Mali, déstabilisant toute la région du Sahel. Depuis lors, les États du Sahel, et en premier lieu les autorités maliennes, ont tenté à plusieurs reprises de résoudre la question touareg. Les troupes gouvernementales maliennes ont lancé une offensive stratégique dans le nord du pays à l’automne 2023 et, avec le soutien d’instructeurs militaires russes, elles sont parvenues en novembre à prendre le contrôle du principal bastion des militants, la ville de Kidal.

Néanmoins, l’opération de libération ne s’est pas achevée avec la prise de Kidal. La région reste sous le contrôle de divers groupes armés, notamment des Touaregs, mais aussi d’organisations terroristes islamistes.

Une autre opération majeure des FAMA, soutenue par les militaires russes, a commencé à la fin de la semaine dernière, le 18 juillet. Le premier raid a été mené près de la localité d’In-Afarak, un centre logistique important, d’après les déclarations des forces armées maliennes. Le 22 juillet, les militaires maliens et les volontaires russes ont réussi à prendre le contrôle de ce village. Les FAMA ont déclaré qu’elles visaient à « éliminer la coalition de groupes armés mafieux » qui installaient des points de contrôle sur les principaux axes routiers et restreignaient la circulation des transports.

Tin Zaouatine

L’étape suivante de l’opération a été un raid de l’armée malienne sur la ville de Tin Zaouatine, près de la frontière algérienne, à plus de 230 kilomètres au nord-est de Kidal. Tin Zaouatine est un important point d’appui pour les groupes armés, comme le souligne le journal local Malijet. Les autorités de la République ont déclaré que la zone restait « un bastion de terroristes et de trafiquants de drogue de tout poil ».

Piège dans le désert

Le 25 juillet, une unité de l’armée malienne et des militaires russes a été attaquée par des insurgés aux abords de la ville de Tin Zaouatine. Selon les FAMA, l’attaque a été repoussée faisant deux morts et 10 blessés. Dans le même temps, le JNIM parle de 9 militaires maliens tués. L’agence France Presse, citant un officiel malien anonyme, a fait état de 17 militaires des FAMA morts. Le nombre de blessés ou de prisonniers n’a pas été précisé tandis que deux véhicules blindés et deux pick-up de l’armée malienne ont été détruits. De l’autre côté, les séparatistes ont perdu une vingtaine de combattants, leurs véhicules et équipements militaires ont été éliminés. Les rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad n’ont reconnu que sept soldats morts et 12 blessés.

Les combats ont repris dans la matinée du 26 juillet avec une attaque de l’armée malienne contre les positions des combattants. Le même jour, un hélicoptère Mi-24 s’est écrasé dans la ville de Kidal : peu après le départ d’une mission de routine, l’équipage a détecté une défaillance technique et a effectué un atterrissage d’urgence qui a endommagé l’hélicoptère. L’Azawad affirme que l’hélicoptère, qui aurait transporté des blessés, a été abattu lors des combats pour Tin Zaouatine.

Hélicoptère abattu aux alentours de la ville

Les événements du 27 juillet ont été décisifs. Dans la nuit de samedi à dimanche, après plusieurs jours de combats acharnés, les forces gouvernementales ont été forcées de se retirer de la périphérie de la ville. Les forces armées maliennes ont reconnu des pertes en personnel et en matériel. L’aviation de l’armée malienne a effectué plusieurs frappes sur les positions des rebelles. L’attaque n’a pas réussi à sauver les forces maliennes et les spécialistes russes qui les accompagnaient. Lors de la manœuvre de retraite, le convoi a été encerclé par des combattants des groupes terroristes JNIM et AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique), selon Wassim Nasr, journaliste de France 24 et chercheur à l’organisme américain de recherches The Soufan Center.

Ce que l’on sait des pertes

Selon Wassim Nasr, le convoi des forces armées maliennes et des instructeurs russes comprenait une trentaine de véhicules. Il s’est retrouvé encerclé à 7 kilomètres de Tin Zaouatine. Pendant 24 heures, l’unité a tenté de se retirer, mais le 27 juillet, elle a été battue à 60 kilomètres de la ville. Le journaliste ne donne pas d’informations sur le nombre de victimes et de matériel perdu. Supposément, le correspondant de guerre russe et auteur de la chaîne Telegram Grey Zone faisait partie de cette unité, il est mort.

Selon nos sources bien informées au sein de l’armée malienne, les pertes militaires russes dépassent les 25 personnes. Le sort des blessés et des capturés reste inconnu. L’interlocuteur de l’agence a indiqué que l’embuscade qui a permis d’encercler les FAMA et les militaires russes a été bien organisée, peut-être avec la participation d’instructeurs des services spéciaux occidentaux.

Un autre interlocuteur de l’AI informé des détails de la situation a déclaré que le ministère russe de la Défense, représenté par le Corps africain, aurait entamé des négociations avec les séparatistes afin de libérer les Russes capturés. Selon des informations préliminaires, les militaires ont réussi à se mettre d’accord sur le montant de la rançon. Toutefois, l’interlocuteur affirme qu’aucun échange n’est en cours.

Une autre source à l’administration du président de Russie a estimé que cet affrontement pourrait mettre fin à la présence de formations de volontaires russes dans les pays du trio sahélien et accélérer le déploiement du contingent du Corps africain du ministère de la Défense. Cela conduira finalement au remplacement des volontaires par les formations russes régulières, a déclaré l’interlocuteur.

Un journaliste libyen de Tripoli, Jalal Alghoubi, a publié des images avec des combattants de la la Coordination des mouvements de l’Azawad près des véhicules blindés capturés. Les images montrent cinq véhicules blindés, probablement des MRAP antimines, un hélicoptère écrasé et des armes à feu. Selon la version d’Alghoubi, les rebelles ont réussi à détruire un hélicoptère militaire de l’armée malienne et le matériel ainsi qu’à obtenir des trophées militaires.

Les médias de l’organisation terroriste JNIM ont revendiqué une embuscade réussie contre un convoi de l’armée malienne et des instructeurs russes près de Tin Zaouatine. Les terroristes ont déclaré avoir capturé des camions, des camions-citernes, des armes et des munitions. Dans le même temps, des photos montrent une vingtaine de victimes et deux personnes capturées, dont un soldat malien.

Clivage interne

L’APMA (agence de presse et des médias de l’Azawad) a qualifié de mensonge le rapport du groupe terroriste JNIM et a affirmé que c’est l’Azawad qui a battu le convoi des FAMA et des instructeurs russes ainsi qu’a capturé une dizaine de soldats maliens et russes. La version de l’Azawad est confirmée par des photos qui montrent les combattants brandissant des drapeaux de la CMA. L’APMA assure que les rebelles ont l’intention d’honorer la Convention de Genève concernant les prisonniers capturés et de garantir leur sécurité. La chaîne militaire russe WarGonzo a rapporté que les travaux pour le retour des Russes capturés étaient déjà en cours.

Le communiqué officiel de l’Azawad fait état de 7 morts et 12 blessés. Selon la version des séparatistes, les pertes de l’armée malienne et des militaires russes se comptent par dizaines. Parallèlement, les combattants n’ont pas encore communiqué les chiffres exacts. Selon le blogueur malien Chodi Ag, un commandant séparatiste a été éliminé lors des combats près d’Inara.

Liens ukrainiens à l’Azawad

Des médias et des analystes se sont mis à évoquer l’implication possible de différents acteurs dans l’attaque contre l’armée malienne et les volontaires russes. Des versions ont fait état de l’implication des services de renseignement français dans l’organisation du piège, qui auraient pu partager des informations avec les Touaregs, et des autorités algériennes directement concernées par le conflit frontalier et engagées dans l’organisation des accords de paix entre le Mali et l’Azawad en 2014.

Parallèlement, des informations sur la possible implication de combattants ukrainiens dans l’attaque au nord du Mali apparaissent en ligne. L’un des représentants touaregs a déclaré sur son compte X que les séparatistes seraient prêts à remettre des soldats capturés à l’Ukraine en « signe de soutien et de solidarité ».

Il est à noter également que le 26 avril 2024, la commission de la Rada (le parlement ukrainien) sur la sécurité nationale, la défense et le renseignement a enregistré un projet de loi « sur les sociétés internationales de défense », qui constitue un cadre juridique pour la création de sociétés militaires privées.

L’objectif principal du projet de loi, selon la note explicative, est de créer les conditions pour neutraliser « un large éventail de conséquences négatives qui peuvent survenir après la démobilisation d’un grand nombre de militaires et de membres des forces de sécurité qui ont participé à la répression de l’agression russe ». Selon les auteurs du projet de loi, les militaires des forces armées ukrainiennes auront des difficultés à se réintégrer dans la vie civile et pourraient se livrer à des activités criminelles en Ukraine. Pour éviter un tel scénario, il est proposé d’employer les anciens combattants dans des « sociétés internationales de défense ». Il est également noté que les SMP doivent être enregistrées en Ukraine et payer des impôts ainsi qu’elles ne peuvent fournir des « services de défense » et mener des « activités de défense » qu’à l’étranger.

Le 28 juillet, Russia Today a également publié une photo d’un soldat portant des marques d’identification ukrainiennes – l’emblème national du pays sur ses vêtements. Un hélicoptère est présent à l’arrière-plan, tandis que d’autres photos ont été prises dans un paysage africain caractéristique du sud du Sahara. La chaîne de télévision affirme que les militaires ukrainiens auraient combattu du côté des séparatistes touaregs et que les photos étaient à disposition du correspondant de guerre russe Grey Zone.

Récemment, l’AI a fait état de l’implication possible de Kiev dans la guerre civile au Soudan. L’Ukraine est devenue le seul État à confirmer ouvertement son implication militaire dans le conflit, qui s’accompagne de crimes de guerre des deux côtés.

Piste américaine

La semaine dernière, le 23 juillet, le général Langley, chef du commandement militaire américain en Afrique (AFRICOM), est arrivé en Algérie pour rencontrer le président Abdelmadjid Tebboune, ainsi que Saïd Chengriha, chef d’État-Major de l’Armée nationale populaire. Selon le journal algérien Le Matin d’Algérie, les entretiens ont porté sur « les aspects de la coopération militaire » entre l’Algérie et l’AFRICOM. L’article suggère que la réunion pourrait avoir porté sur la présence d’instructeurs militaires russes dans les zones frontalières du Mali avec l’Algérie, où ils participent aux opérations antiterroristes de l’armée malienne.

Le portail rappelle qu’en 2022, dans une interview accordée au journal français Le Figaro, le président algérien s’est exprimé de manière négative sur le rôle des instructeurs russes au Mali, affirmant que « l’argent que coûte cette présence serait mieux placé et plus utile s’il allait dans le développement au Sahel ». Il a également indiqué que l’Algérie n’appréciait pas la présence de forces étrangères malgré ses relations étroites avec la Russie.

Réaction de l’Occident

Il est également intéressant de constater que les portails et médias occidentaux, tels que le projet Visegrad 24 dirigé depuis la Pologne par Stefan Thompson, s’appuient principalement sur les données des organisations terroristes JNIM et d’une filiale d’Al-Qaïda* plutôt que sur les déclarations de la CMA. Ainsi, juste après Al-Qaïda, Visegrad 24 a d’abord fait état de 50 volontaires russes morts. Puis le média a affirmé que 80 instructeurs militaires avaient été tués, sans préciser la source de l’information obtenue.

La chaîne de télévision française TV5Monde, dans sa publication sur la mort de militaires maliens et de volontaires russes dans le nord du Mali, fait référence aux déclarations du porte-parole du CSP-PSD, Mohamed Elmaouloud Ramadane.

« Les combattants de l’Azawad contrôlent la situation à Tinzaouatene et plus au sud dans la région de Kidal. Les mercenaires russes et les Forces armées maliennes (Famas) ont fui. D’autres se sont rendus », indique le représentant du mouvement séparatiste.

En outre, TV5Monde cite les propos d’une « source humanitaire » anonyme dans le nord du Mali, apparemment sur les territoires contrôlés par les séparatistes. « Les affrontements ont recommencé ce samedi [27 juillet] à Zakak sur la route de Kidal entre les rebelles du CSP et les militaires de Wagner et maliens », indique la source.

La chaîne de télévision donne des estimations différentes des pertes des deux côtés. Par exemple, un ancien employé de la mission de l’ONU à Kidal parle de 15 militaires russes tués ou capturés à l’issue de trois jours de combats.

La diversité des informations publiées par les médias occidentaux sur les pertes démontre une technique classique de la guerre hybride : « jeter » autant de données contradictoires que possible, de sorte que le lecteur ne puisse pas établir la vérité, mais soit convaincu de l’importance et de l’ampleur de l’événement. Ainsi, la presse occidentale, de concert avec les séparatistes touaregs, utilise les informations relatives à la défaite des volontaires russes dans le nord du Mali pour discréditer les activités de la Russie au Sahel. La DW allemande a d’ores et déjà annoncé que les instructeurs militaires russes au Mali avaient subi le plus gros échec. L’agence de presse américaine AP défend la même position.