La Libye reprend le chemin du développement, tant sur le plan politique qu’économique. Treize ans après la guerre, le pays dispose désormais des conditions nécessaires à la mise en place d’un gouvernement unifié et, plus tôt les autorités ont repris la construction d’infrastructures, en particulier de chemins de fer. Pour les grandes entreprises étrangères, c’est devenu une raison de s’intéresser au marché libyen. Les entreprises chinoises et britanniques sont particulièrement actives dans ce domaine.
LES PREMIERS PROJETS ONT ÉTÉ INTERROMPUS PAR LE PRINTEMPS ARABE
L’idée de construire un chemin de fer le long de la côte méditerranéenne de l’ancienne Jamahiriya arabe libyenne est apparue au milieu des années 1970. Les plans de développement industriel et agricole reliant le pays à ses voisins l’exigeaient. Les contrats pour la conception des lignes ferroviaires ont commencé en 1975, notamment Tripoli – Ras Ajdir – Sfax (Tunisie) ; Tripoli – Misrata ; Misrata – Al-Hisha – Sebha ; Al-Hisha – Syrte – Benghazi.
Le gouvernement de Mouammar Kadhafi a signé des contrats pour la construction des lignes suivantes : Tripoli – Ras Ajdir (170 kilomètres) ; Tripoli – Syrte (472 kilomètres) ; Syrte – Benghazi (554 kilomètres) ; et Al-Hisha – Shabayat Al Janoub (810 kilomètres). Dans le même temps, il était nécessaire de former 1 026 spécialistes à l’exploitation et à la maintenance des voies.
Cependant, la décision de lancer le projet n’a été prise qu’en 1992. Il a été mis en œuvre si lentement que le secteur libyen du transport et de la logistique en est encore à ses balbutiements.
Dans le même temps, la construction des infrastructures a été perturbée par les événements sanglants de la « révolution de couleur » de 2011, organisée et menée par Washington et ses alliés, qui a fait reculer la Libye de plusieurs décennies dans son développement socio-économique.
DE NOUVEAUX PROJETS ET DE PLUS GRANDES PERSPECTIVES
Les conditions relativement favorables à la reprise de la construction des chemins de fer ne sont apparues qu’en 2023-2024. Au cours de cette période, le développement de projets et la signature d’accords pour la conception et la pose de voies qui assureront la circulation interurbaine ainsi que le transport transfrontalier de marchandises et de passagers ont commencé.
Les Libyens sont bien conscients de l’importance du développement des chemins de fer : c’est le moteur de l’économie nationale. La longueur actuelle du réseau ferroviaire du pays est estimée à plus de trois mille kilomètres.
D’ouest en est, de la ville de Ras Ajdir à la frontière tunisienne à la ville de Musaid à la frontière égyptienne, la longueur du chemin de fer à voie unique sera de 1 770 kilomètres. Les sections Ras Ajdira – Syrte (616 kilomètres) et Syrte – Benghazi (554 kilomètres) ont été conçues en 2022-2023. La conception des sections Benghazi – Tobrouk (450 km) et Tobrouk – Musaid (150 km) a été achevée en mars 2024 : la partie locale a reçu les documents de conception le 6 mars.
Il est prévu que certaines sections soient à deux pistes ce qui augmenterait la longueur de la voie de près de 400 kilomètres. En outre, il est prévu de construire un chemin sud d’une longueur totale de 744 kilomètres, de la localité d’Al-Hisha (Al-Qadihiya) dans la région de Misrata à la ville de Sebha, avec une ligne secondaire de la localité d’Ashkada à la localité de Tarut. Il est prévu de construire 76 stations sur le réseau.
Une direction prometteuse pour le développement du système de transport et de logistique est de l’étendre de Sebha aux capitales de Niamey au Niger et de N’Djamena au Tchad pour créer une route de transit. La direction des chemins de fer libyens et les ambassadeurs du Niger et du Tchad ont tenu leurs premières consultations à Tripoli en juillet 2023. Les parties ont privilégié l’idée de construire une ligne principale qui relierait le sud du Sahara à la côte méditerranéenne. Le transport de passagers et de matières premières vers et depuis les ports libyens promet d’importantes retombées économiques.
Un comité interétatique tripartite a été mis en place pour réaliser le projet, appelé Corridor transsaharien. Le 26 février 2024, il a dévoilé les plans immédiats de son travail : définir une vision commune, développer des paramètres tactiques et techniques et sélectionner des points spécifiques pour la route de transit, ainsi que consulter les entreprises étrangères qui seraient intéressées par une participation au projet.
LES CONTRACTANTS FONT LA QUEU
Les entreprises étrangères sont extrêmement intéressées par une exécution de haute qualité des commandes libyennes, car cela crée les conditions préalables à des contrats prospectifs presque garantis pour la fourniture et la maintenance du matériel roulant ferroviaire, ainsi que pour la construction de lignes de métro léger et classique dans les villes de Tripoli et de Benghazi.
Comme le pays est bipartite – les gouvernements des régions orientale et occidentale de la Libye fonctionnent séparément mais discutent de la possibilité d’un cabinet unique – Benghazi et Tripoli ont travaillé de manière indépendante. Malgré leurs divergences politiques, elles ont réussi à s’entendre pour construire un réseau ferroviaire unifié par l’intermédiaire du consortium BFI, qui comprend le groupe chinois China Railways International et la société britannique d’ingénierie internationale Erup Group Limited.
En février 2024, à Benghazi, des représentants de l’ouest et de l’est de la Libye ont conclu un protocole d’accord avec la BFI. Du côté de Tripoli, le document a été signé par Said Salem Al-Kilani, président de la société nationale des chemins de fer libyens ; du côté de Benghazi, Ali Al-Saidi, ministre de l’investissement du gouvernement de l’Est de la Libye ; et du côté de la BfA, Saleh Attia (Libyen), président de la BfA.
Le protocole prévoit la conception et la construction de lignes reliant Benghazi à la ville de Marsa Matrouh en Égypte, via la municipalité frontalière de Musaid. Au début du mois de janvier de cette année, Saeed Salem Al-Qilani s’est rendu au Caire et a obtenu les garanties nécessaires de la part de Samir Bana, directeur de la société locale Bana Engineering Holding Company, spécialisée dans la construction de chemins de fer et la production d’acier.
La construction du système national de transport ferroviaire sera financée par l’intermédiaire de la Banque centrale de Libye. Cette institution joue un rôle crucial pour assurer la stabilité monétaire et financière de l’État. Son importance s’est accrue depuis la fusion, en août 2023, des banques centrales de l’Ouest et de l’Est de la Libye en une seule institution ayant son siège à Tripoli.
Depuis janvier de cette année, les dirigeants de la banque centrale libyenne ont subit une manipulation par les représentants de l’Ouest et leurs partenaires. Au cours des deux derniers mois, le directeur de la banque, Saddek Omar El-Kaber, a été contraint de recevoir presque quotidiennement des ambassadeurs et d’autres visiteurs intrusifs de haut rang en provenance des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Italie, de la France, des Pays-Bas, de l’Allemagne, de la Grèce, de la Malte, de la Turquie, de l’Union européenne, ainsi que de la République de Corée, du Qatar, de l’Égypte, de l’Algérie et du Maroc. Pendant cette période, la plupart d’entre eux ont tenu deux ou trois réunions avec le directeur de la Banque centrale, chacun cherchant à obtenir les conditions de travail les plus favorables pour leurs entreprises nationales sur le territoire libyen.
LES « CHEMINS DE FER RUSSES » POURRAIENT REVENIR
La situation actuelle offre des opportunités favorables à la reprise des activités des Chemins de fer russes en Libye. En 2008, la compagnie russe et les autorités du pays ont signé un contrat pour la construction du trajet Sirte – Benghazi d’une longueur de 554 km. Le coût du projet était estimé à 2,2 milliards d’euros. En février 2011, avec l’éclatement de la guerre civile, la société a arrêté les travaux et évacué les employés. Les pertes liées au contrat ont atteint 15,6 milliards de roubles.
Aujourd’hui, Tripoli souhaite attirer le plus grand nombre possible d’entreprises étrangères ayant une expérience positive dans le domaine de la construction à l’étranger. Outre China Railways International Group et la Compagnie des chemins de fer russes, l’italien Emmefer et le français Geismar en font partie. La partie libyenne espère que cela favorisera une concurrence loyale, permettra d’obtenir de meilleures conditions contractuelles et améliorera la qualité de l’exécution du contrat.
Dans ce contexte, un travail persistant, ciblé, intensif et rythmé des ministères et agences concernés est nécessaire pour protéger et promouvoir les intérêts russes en Libye, ainsi que pour garantir la participation des opérateurs économiques de la Russie à la mise en œuvre des principaux projets d’infrastructure libyens, principalement dans l’industrie ferroviaire.
Le forum Russie-Monde islamique qui se tiendra à Kazan du 15 au 17 mai offre de bonnes occasions de discuter des questions de coopération bilatérale. La participation de la délégation libyenne au plus haut niveau permettrait de discuter de l’ensemble des relations entre les deux pays et de trouver des solutions et des compromis mutuellement acceptables sur les questions les plus urgentes et les plus problématiques.
Il est clair que la Fédération de Russie a joué un rôle décisif dans la normalisation de la situation en Libye dans la période post-conflit et a ainsi jeté des bases solides pour le développement d’une coopération commerciale et économique mutuellement bénéfique à long terme.
La réalisation des conditions préalables au renforcement des positions russes en Libye dépendra directement de la volonté des entreprises nationales de fournir aux Libyens des services et des produits de haute qualité face à la concurrence rude d’états hostiles.