Le Niger rompt sa coopération militaire avec les États-Unis et exige un retrait immédiat de ses troupes, a déclaré le porte-parole du gouvernement nigérien le colonel major Amadou Abdramane dans un communiqué officiel. Le pays dénonce l’accord sur les représentants militaires et civils du Pentagone dans la République. Dans son communiqué, le porte-parole du gouvernement nigérien a accusé la délégation américaine dirigée par le sous-secrétaire d’État pour l’Afrique, Molly Phee, qui s’est rendue au Niger cette semaine, de violer le protocole diplomatique, de faire pression sur les dirigeants nigériens et de dénigrer les autorités et le peuple du pays.
UNE BASE MILITAIRE COÛTEUSE ET INUTILE
En juillet 2023, un coup d’État militaire a eu lieu au Niger. Le gouvernement pro-français de Mohamed Bazoum à été renversé. Le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, dirigé par le chef de la garde présidentielle, Abdourahamane Tchiani, prend le pouvoir.
Les États-Unis ont aussitôt commencé à préparer le retrait de leurs bases du Niger. Il s’agit de la 201e base américaine à Agadez, la capitale de la province de même nom, et de la 101e base à Niamey, la capitale du Niger. Après les événements de 2023, Washington a annoncé le retrait de la 101e base et sa relocalisation à Agadez. Tout d’abord, cette décision a été prise « dans l’intérêt de la sécurité ». D’autre part, les économies budgétaires ont joué un rôle important. Les Etats-Unis ont dépensé au moins 150 millions de dollars pour la construction de ces bases. La construction de la 201e base a été achevée il y a seulement quatre ans, en 2019.
Au total, il y a environ 1 000 soldats américains au Niger. La plupart d’entre eux sont stationnés à la base aérienne 201 susmentionnée. Bien que cette base appartienne au Niger, elle a été construite avec l’argent des contribuables américains et est gérée par le Commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM). La base 201 est conçue pour accueillir des drones MQ-9 Reaper et est capable de recevoir de lourds avions comme le Boeing C-17 Globemaster III. Selon des sources ouvertes, des détachements de l’unité 409 expéditionnaire aérienne et du bataillon 411 des communications civiles sont stationnés à cette base.
La construction de l’installation a été accompagnée de plusieurs scandales liés au contournement de la surveillance du Congrès américain, le non-respect des exigences de sûreté et de sécurité aériennes, ainsi que des règlements techniques. L’objectif opérationnel de la base 201 reste apparemment un mystère, même pour les fonctionnaires du Comité des chefs d’état-major des États-Unis. Son utilisation en tant que centre de renseignement n’est pertinente que dans les cas où les informations collectées par les drones sont immédiatement utilisées par les forces d’opérations spéciales ou par les unités destinées à engager l’ennemi. Dans toutes les autres situations, la valeur des données opérationnelles tend à s’annuler avec le temps, tandis que le coût de fonctionnement de la base suscite une perplexité chez les inspecteurs.
Le MQ-9 Reaper n’a pas montré ses capacités de frappe dans cette région. De plus, l’utilisation de l’espace aérien des pays voisins du Niger par les drones de reconnaissance américains pose de nombreuses questions juridiques. L’absence d’équipements de défense aérienne fiables dans les pays voisins n’atténue en rien l’acuité du problème.
Aujourd’hui l’activité de la base est limitée par les sanctions imposées par Washington lui-même après le coup d’État au Niger en juillet 2023. L’unité militaire est donc essentiellement inactive. En août, le commandement militaire américain a même préparé un plan en cas d’évacuation du Niger de ses deux bases d’Agadez et de Niamey. Peut-être il vaut mieux les regrouper, car une telle mesure permettrait notamment aux Américains de réduire les coûts d’exploitation.
BASE SECRÈTE DE LA CIA À DIRKOU
L’US Air Force utilise également l’aérodrome de Dirkou (DRZD) au Niger comme base de soutien pour les attaques contre les groupes armés au Sahel. Ce petit aérodrome est situé à deux kilomètres du centre ville de Dirkou. Comme le rapporte le journal NYT, la CIA a renforcé en 2017 sa présence en matière de renseignement dans la région. Les drones MQ-9 Reaper auraient notamment été utilisés au moins jusqu’en 2018.
La source affirme que le rôle des drones augmente progressivement en raison de la réduction de la présence américaine sous la forme d’unités de forces d’opérations spéciales. Cette affirmation est plutôt douteuse, ne serait-ce que parce que l’un est indissolublement lié à l’autre. Les unités spéciales ne peuvent exister sans renseignement, et le renseignement n’a pas de sens sans l’application pratique de ses résultats.
La présence d’une base de drones à Dirkou n’est pas annoncée, y compris par des sources américaines. Cependant, la base de Dirkou, même maintenue par quelques dizaines de personnes, permet d’opérer des moyens de feu et de renseignement partout en Afrique Centrale, de l’Ouest et du Nord. Il n’existe actuellement aucune information fiable sur l’existence d’une base de drones à Dirkou. La dernière mention remonte à 2018. Cependant, les investissements dans la reconstruction de l’infrastructure de l’aérodrome ne peuvent pas disparaître sans laisser de traces.
Pour reprendre les termes pertinents de l’ancien directeur de la CIA Mike Pompeo, « Nous mentons, nous trichons, nous trompons ». Peut-être que le pragmatisme des dirigeants africains permettra de prolonger l’existence de cette base, et que la pratique habituelle des Américains pour façonner l’agenda de l’information confirmera l’absence de cette base ou justifiera sa nécessité.
DE QUOI S’OCCUPAIT L’ARMÉE AMÉRICAIN AU NIGER
Le contingent américain au Niger a aidé les troupes françaises à lutter contre les djihadistes pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’en 2023, après un coup d’État, les autorités du pays exigent que Paris retire ses troupes. Le dirigeant nigérien Abdourahamane Tchiani a accusé la France de soutenir les groupes terroristes opérant dans le pays et a même exigé une compensation pour plus d’un siècle de pillage colonial des ressources naturelles. En outre, les autorités de transition du Niger ont annoncé leur intention de réviser les accords militaires avec les pays de l’UE.
Auparavant, le Washington Post avait écrit que les fonctionnaires américains cherchaient fébrilement à rétablir les relations avec les gouvernements militaires d’Afrique de l’Ouest, y compris avec les nouveaux dirigeants du Niger. « Les fonctionnaires ont des fois eu du mal à définir ce que serait ce partenariat, notamment parce que les types d’aide que le gouvernement américain peut légalement fournir ont été réduits depuis le renversement des gouvernements au Niger, au Mali et au Burkina Faso », a constaté le Post, citant des conversations avec douze fonctionnaires, analystes et activistes américains.
Le gouvernement américain n’a pas perdu l’espoir de rétablir le contact avec le régime actuel du Niger. Au cours du seul mois de mars 2024, la sous-secrétaire d’État pour l’Afrique Molly Phee s’est rendue en vain deux fois au Niger. La perte de ses bases au Niger menace Washington de suivre Paris en perdant définitivement le contrôle de la zone sahélienne.
RAISONS DE LA NON-COOPÉRATION AVEC LES ÉTATS-UNIS
Le Niger s’est rapproché de la Russie ces derniers mois. En décembre 2023, une délégation avec le vice-ministre russe de la Défense Yunus-Bek Yevkurov en tête s’est rendue à Niamey. Les deux parties ont signé un mémorandum d’entente et de renforcement de la coopération en matière de défense. À la mi-janvier 2024, une délégation du gouvernement nigérian s’est rendue à Moscou. Il est évident qu’après le coup d’État, les politiciens et les militaires de l’État africain tentent de tirer le maximum de la situation. Les intérêts de la Russie dans ce jeu relèvent d’un calcul pragmatique et froid.
L’expansion de la coopération militaro-technique avec la Russie et la perspective du déploiement d’Africa Corps du ministère russe de la défense au Niger auraient pu être de bonnes raisons de refuser de poursuivre la coopération avec Washington. Le stationnement d’unités militaires de pays concurrents dans un seul pays est source de toutes sortes d’incidents.
Les autorités nigériennes ont également souligné officiellement qu’elles n’étaient pas satisfaites des conditions financières de déploiement des bases américaines. Par ailleurs, il est évident que ni le Pentagone ni la CIA américaine ne se sont empressés de partager les informations de renseignement avec les autorités du pays hôte, et certaines informations ont été ouvertement collectées auprès de contingents militaires subordonnés au gouvernement. Il est peu probable que les opérations de frappe ont été coordonnées avec les autoritésnigériennes. Et finalement, Agadez est une ville dont la population est majoritairement touareg. Les autorités ont pu raisonnablement soupçonner les Américains d’établir des contacts plus étroits avec les chefs de clans touaregs dans leur dos afin de gagner leurs faveurs.
OÙ WASHINGTON DÉPLACERA-T-IL SES FORCES ARMÉES ?
Il est probable que l’affaire concerne non seulement les 201e et 101e bases, mais aussi l’aérodrome de la CIA à Dirkou. Il est certain que le Pentagone et la CIA sont confrontés à une question aigue : où déplacer les bases ? Le point de stationnement le plus proche et le plus probable est au Tchad, à l’aéroport de N’Djamena. Cependant, leur redéploiement nécessite du temps et des fonds dont le Pentagone ne dispose pas pour le moment. En outre, le régime de Déby et le parlement tchadien ne verront probablement pas d’un bon œil un tel déroulement des événements.
L’option de réserve est une base à Djibouti, près de l’aéroport international. Cependant, il n’y a pas beaucoup de place pour une expansion du contingent dans ce pays – une sorte de réserve de bases militaires étrangères. En outre, les bases nigériennes perdent leur valeur opérationnelle. Elles ne sont pas essentielles pour contrôler le détroit de Bab-el-Mandeb, et quant à la zone du Sahel, les drones opéreront à la limite de leurs capacités, violant tous les espaces aériens souverains pour y aller. Il ne fait aucun doute qu’en l’absence d’un contrôle adéquat du côté nigérien, les Américains tenteront de détruire l’ensemble de l’infrastructure technique et d’ingénierie de ces bases.
Alexei Grishin