L’ÉPICENTRE DES VIOLENCES DANS L’EST DE RDC : À QUI PROFITE LE SOUTIEN DE L’INSTABILITÉ DANS LE PAYS ?

« Le Nord-Kivu est une bande de Gaza oubliée », écrivent des journalistes congolais pour attirer l’attention du monde sur la situation en République démocratique du Congo (RDC). Le conflit tue des civils dans les régions de l’Est, tandis que le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays a atteint le chiffre record de 6,9 millions selon l’ONU. Selon l’UNICEF, le nombre de meurtres, de kidnapping et de cas de violence dans le pays a fortement augmenté depuis 2023. Les autorités, les habitants et les médias congolais font tout leur possible pour faire comprendre à la communauté internationale que la situation en RDC nécessite la même attention que les événements en Palestine et en Ukraine.

Le 14 février 2024 le ministère du Genre, Famille et Enfant de la RDC  a organisé une marche de solidarité et de paix à Kinshasa. Des citoyens, des représentants d’entreprises publiques et privées et de l’administration publique, tous habillé en noir symbolisant le deuil, sont partis de la Gare centrale avec les slogans « Les femmes disent « Non » à la souffrance des compatriotes et dénoncent le silence du monde face au génocide en RDC ». Selon la ministre Mireille Masangu cette action vise à montrer au monde que la guerre dans l’est de la RDC est un obstacle à l’autonomisation des femmes et à la stabilité des familles.

Des femmes congolaises manifestent pour la paix dans la rue devant l’église Katinde Nazareen à Goma avec un drapeau national à la suite d’un service œcuménique pour la paix dans l’est de la République démocratique du Congo le 1er août 2012. La société civile et les chefs d’église ont appelé les gens à se rassembler aujourd’hui, lors d’un jour férié congolais célébrant les parents, pour prier pour la paix, affirmant que leur foi est plus forte que la guerre. La province du Nord-Kivu a été ravagée par un conflit ces derniers mois, les rebelles du M23 s’opposant à l’armée congolaise. « Nous prierons jusqu’à ce que tout cela soit terminé », a déclaré un membre de la congrégation. AFP PHOTO/PHIL MOORE

Des manifestations à Kinshasa ont également eu lieu près des ambassades des Etats-Unis, de la Chine, du Portugal, de la France et du Royaume-Uni, ainsi que du siège de la mission de l’ONU. Les manifestants expriment leur mécontentement au regard de l’Occident et de l’ONU face à l’agression des combattans du M23 qui sont probablement soutenus par le Rwanda.

EXPANSION INNATTANDUE DE L’EST

En novembre 2021, après près d’une décennie de calme, le groupe armé congolais M23 a repris ses activités dans la province du Nord-Kivu (RDC), à la frontière avec le Rwanda et l’Ouganda. En même temps, l’Ouganda a déplacé ses troupes dans la province pour harceler les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe des rebelles ougandais également actif au Nord-Kivu et dans la province congolaise voisine de l’Ituri.

Aves l’équipement moderne, les rebelles ont pu atteindre le pied du volcan Nyiragongo en quelques semaines, à moins de 30 kilomètres de Goma, la capitale du Nord-Kivu, située à la frontière avec le Rwanda. En mai 2022, ils atteignent presque la ville rwandaise de Gisenyi qui se situe de l’autre côté de la frontière. À la mi-2022, le M23 s’est emparé d’avant-postes clés dans le Nord-Kivu, perturbant ainsi l’approvisionnement alimentaires de Goma. L’avancée du M23 était si rapide que le président de la RDC Felix Tshisekedi a appelé les Congolais à se regrouper en groupes d’autodéfense pour soutenir les forces armées.

En juin 2022, la Communauté d’Afrique de l’Est, organisation intergouvernementale de huit pays, a déployé une force régionale dirigée par le Kenya pour rétablir la stabilité. Toutefois, à l’approche des élections en RDC en décembre 2023, les violences se sont intensifiées et les forces de maintien de la paix n’ont pas réussi à désescalader la situation. Kinshasa a refusé de renouveler leur mandat et la mission a commencé à se retirer début décembre. Les tâches des soldats de la paix ont été reprises par la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), une organisation commerciale et économique, qui a annoncé le déploiement de troupes dans l’est de la RDC. Des militaires d’Afrique du Sud, de Tanzanie et du Malawi commenceront à remplacer les forces de l’ONU présentes au Congo depuis 25 ans.

En 2024, la situation devient plus complexe. En janvier 2024 M23 a désigné sa propre administration sur les territoires qu’ils contrôlent au Nord-Kivu. 13 février 2024, l’armée de la RDC bombarde les positions des rebelles dans la ville de Sake, ce qui stoppe l’avancée du M23. Le même jour, les médias congolais rapportent l’arrestation du chef de l’Agence nationale de renseignements, de deux de ses adjoints et d’un représentant civil du gouverneur du Nord-Kivu pour complicité dans la mutinerie du M23. Le lendemain, 14 février 2024, Mediacongo rapporte que l’armée ougandaise a franchit la frontière congolaise pour renforcer le M23.

Il semble que le M23 est apparu de nulle part. Bien que les militants aient continué à attaquer les habitants du Kivu de manière inerte ces dernières années, ils ne donnaient pas l’impression d’une menace existentielle. Maya Nikolskaya, chercheuse au Centre d’études sur le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Institut des Recherches Internationales de MGIMO, indique deux événements survenus en 2021 qui ont incité le groupe M23 à passer à l’action.

« Tout d’abord, Felix Tshisekedi a annoncé qu’il allait renforcer la réglementation de l’exploitation minière. Cela a semé la panique parmi tous les acteurs intéressés par la contrebande de coltan (un alliage naturel de niobium et de tantale) et d’autres ressources du territoire de la RDC, y compris les formations rwandaises et leurs homologues étrangers ». – explique l’expert.  Deuxièmement , au cours de la même période, le projet de loi dit « Congolité » a été soumis au parlement congolais pour discussion. Selon ce document, seules les personnes dont les deux parents sont congolais peuvent se présenter à la présidence de la RDC et à d’autres postes de haut niveau. Les auteurs ont donc exclu les Banyamulenge ou Banyarwanda, une minorité de langue kinyarwanda vivant dans l’est du pays, de la liste des candidats possibles. La loi n’a pas été adoptée, mais toutes ces années des personnes ont été victimes de harcèlement, d’intimidation et de violence. On leur confisque leurs documents et on les frappe dans la rue. La haine pour le Rwanda est intensifiée dans les réseaux sociaux, et les Banyamulenge ordinaires en sont les victimes ».

Les Banyamulenge sont des réfugiés du Rwanda qui ont migré vers la RDC en plusieurs vagues depuis le XIXe siècle. Certains d’entre eux se sont déjà partiellement assimilés et considèrent la RDC comme leur patrie, mais ces dernières années ils n’y sont plus les bienvenus.

LES RACINES DU M23

Le M23, ou Mouvement du 23 mars, est apparu en 2012. Il opère dans la province du Nord-Kivu avec le soutien supposé du gouvernement rwandais. Le conflit actuel trouve son origine dans le génocide de 1994 au Rwanda, au cours duquel 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont été tués. Après le génocide, un nouveau gouvernement tutsi a été établi dans le pays et plus de deux millions de Hutus se sont réfugiés dans la République du Zaïre (nom de la RDC jusqu’en 1997). Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estime que seuls 7 % de ces Hutus étaient responsables du génocide

En 1996, le Rwanda et l’Ouganda ont soutenu le chef de l’opposition congolaise, Laurent-Désiré Kabila et ont envahi la RDC pour renverser le président de l’époque, Mobutu Sese Seko. Mais lorsque Kabila s’est querellé avec l’Ouganda et le Rwanda, ces pays ont parrainé une nouvelle rébellion en RDC. Le Rwanda a justifié ses actions par le fait que « les groupes hutus de l’est de la RDC continuent de représenter une menace pour les Tutsis ». Au fil du temps, l’Ouganda et le Rwanda se sont disputés et ont commencé à soutenir des forces fantoches l’un contre l’autre.

La RDC ensuite connu deux guerres majeures, en 1996-1997 et 1998-2003. Ces deux ont commencé dans l’est du pays : c’est dans cette région que se concentre la grande majorité des soixante-dix groupes armés du pays. Beaucoup d’entre eux comptent moins de 200 combattants, mais le chaos qu’ils ont créé pendant des décennies dans le Nord et le Sud-Kivu a fait de l’est de la RDC un épicentre de la violence et des crises humanitaires. La région du Kivu, qui borde le Burundi, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda, est un foyer de sentiments antigouvernementaux.

Entre 2002 et 2003 le Rwanda, l’Ouganda et la RDC ont commencé à mettre en œuvre une série d’accords de paix qui ont autorisé la mise en place d’un gouvernement de transition à Kinshasa, dirigé par Joseph Kabila, fils de Laurent Kabila. Mais malgré ces accords, ainsi que les efforts des commissions de vérité et de réconciliation et la présence d’une force de maintien de la paix des Nations unies renouvelée, les troubles et les affrontements se sont poursuivis dans l’est de la RDC, entraînant un énorme flux de réfugiés.

À la suite d’une relative réconciliation des parties belligérantes, les groupes d’opposition armés se sont transformés en partis politiques de premier plan et sont entrés dans les structures de pouvoir de la transition. Des élections présidentielles et législatives ont ensuite eu lieu en 2006 et 2011. La filière hiérarchique et les structures de base de l’État ont été mises en place. Néanmoins, la crise militaire et politique s’est poursuivie. En 2012, la situation dans l’est de la RDC s’est aggravée et a obligé les politiciens congolais et internationaux à se mobiliser.

De nombreux militants sont restés au Nord-Kivu pour former le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), dirigé par l’ancien militant du Front patriotique rwandais (FPR) Laurent Nkunda. Les membres du CNDP prétendaient défendre les Tutsis congolais avec le soutien du Rwanda. Le nom du groupe M23 provient d’une négociation échouée entre le CNDP et le gouvernement congolais le 23 mars 2009.

Les rebelles ont rapidement pris le contrôle de la province, y compris la capitale Goma. Entre 2012 et 2013 ils ont été impliqués dans plus de 20 % de tous les épisodes de violence politique en RDC enregistrés par la base de données ACLED (Armed Conflict Localisation and Events Database). Pendant cette période, le M23 est devenu le groupe armé illégal le plus actif du pays. Une puissante offensive des forces armées de la RDC et des forces de maintien de la paix de l’ONU en novembre 2013 a entraîné de lourdes pertes parmi le M23. La plupart des combattants se sont retirés au Rwanda et en Ouganda. Les autres se sont volontairement démobilisés ou ont rejoint les forces armées de la RDC.

En 2016, une crise a éclaté en RDC en raison de désaccords au sein de l’élite sur de nouvelles élections présidentielles et sur l’avenir politique du dirigeant de l’époque, Joseph Kabila. Malgré l’élection présidentielle prévue par la Constitution, les dirigeants de l’État ont pris toutes les mesures possibles pour retarder le processus afin de prolonger le mandat du président. Début 2017, plusieurs centaines de combattants de la branche ougandaise du M23 sont entrés dans le pays. Des affrontements avec les forces armées congolaises ont eu lieu à ce moment-là, mais ils ne semblaient pas dangereux pour les autorités. Néanmoins, la RDC, suivie par les experts de l’ONU, a accusé le Rwanda et l’Ouganda de soutenir le M23 financièrement, politiquement et militairement.

LES FORCES PAR PROCURATION DU RWANDA ?

En juillet 2023, les experts de l’ONU notent la diversité des équipements militaires du M23, dont certains sont très modernes. Cela suggère non seulement la puissance de feu considérable du groupe, mais aussi que l’armement a été acquis récemment. Selon les allégations de l’ONU, il pourrait avoir été fourni par les forces de défense rwandaises.

Ces allégations ont mené le président de la RDC, Felix Tshisekedi, à ne pas exclure une guerre avec le Rwanda en novembre 2023. Le département d’État américain a également condamné le soutien du Rwanda au M23 et a appelé le Rwanda à retirer ses troupes de la partie orientale du pays et a déclaré que ces actions mettaient en danger des millions de personnes qui sont déjà en souffrance. Le ministère rwandais des affaires étrangères a toutefois rejeté ces appels et a déclaré que divers groupes en RDC constituaient une menace pour la sécurité nationale.

De son côté, le Rwanda est un allié de longue date, un « confident » et un promoteur des intérêts britanniques dans la région, de sorte que le scandale entache la réputation de Londres. En juin 2022, le journaliste britannique Mikela Wrong a accusé les gouvernements rwandais et britannique d’hypocrisie : « D’un côté, le Rwanda ouvre les bras aux réfugiés, le ministre de l’intérieur britannique Priti Patel et le premier ministre Boris Johnson le présentant comme un havre de paix. D’autre part, un groupe rebelle, toujours considéré comme un larbin du Rwanda, passe à l’offensive et force des dizaines de milliers de villageois à fuir vers le Congo et l’Ouganda en l’espace de quelques semaines. C’est bouleversant ».

Le rôle de Paul Kagame qui a dirigé le Rwanda pendant près de 30 ans depuis le génocide mérite une attention particulière. Il existe des liens de longue date entre le président rwandais et le M23. Certains des principaux commandants du groupe étaient autrefois membres de l’organisation politico-militaire du Front patriotique rwandais (FPR). Les dirigeants du FPR, y compris son chef Kagame, ont servi dans l’armée ougandaise. Ils ont depuis occupé des postes de premier plan dans l’armée et le gouvernement rwandais.

Kagame poursuit une politique d’ »exportation de sécurité » qui permet à Kigali d’intervenir unilatéralement dans les conflits d’autres États. S’adressant au parlement en février 2022, il a averti que les menaces émanant du Nord-Kivu étaient suffisamment sérieuses pour justifier le déploiement de troupes rwandaises dans l’est de la RDC sans l’approbation de Kinshasa : « Nous faisons ce que nous avons à faire, avec ou sans le consentement des autres », a-t-il déclaré.

« Il est certes difficile d’imaginer le groupe M23 opérant de manière autonome, littéralement dans un vacuum. Mais même si nous ignorons les nombreux rapports et enquêtes de l’ONU incriminant cette histoire contre le Rwanda, il faut bien que quelqu’un fournisse de l’argent et des armes aux militants – et ils en ont, et des ultra-modernes de surcroît. Mais il faut comprendre que le M23 et ses sponsors ne sont pas seulement motivés par le désir de s’emparer des ressources congolaises, mais aussi de protéger leurs anciens compatriotes de l’autre côté de la frontière », affirme Maya Nikolskaya.

Le Rwanda est le quatrième contributeur de troupes aux opérations de maintien de la paix des Nations unies. 4 585 Rwandais participent aux opérations de l’ONU au Sud-Soudan (UNMISS) et en République centrafricaine (MINUSCA). Dans le même temps, l’armée de ce pays de 13 millions d’habitants compte 33 000 soldats. Les contributions aux opérations multilatérales autorisées par l’ONU et l’Union africaine (UA) ont atténué les critiques à l’encontre du régime autoritaire de Kagame et des actions du Rwanda en RDC. En octobre 2023, Modern Diplomacy a publié un article affirmant que « le Rwanda peut être une alternative au groupe Wagner en Afrique » et présenter des solutions africaines aux problèmes africains, notamment face à la concurrence occidentale et russe.

Dans le même temps, le régime allié à l’Occident est loin des idéaux démocratiques déclarés. Le rapport de Human Rights Watch décrit la campagne extraterritoriale menée par le Rwanda pour intimider les opposants au gouvernement actuel. Elle comprend plus d’une douzaine de meurtres, d’enlèvements ou de tentatives du kidnapping et d’attaques violentes contre des Rwandais vivant à l’étranger depuis 2017. Selon un rapport du Congo Research Group et du Center on International Cooperation, l’Ouganda et le Rwanda se sont lancés dans une guerre par procuration en RDC en utilisant le groupe M23.

Galina Sidorova, professeur à l’Académie diplomatique du ministère russe des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, docteur en sciences politiques souligne dans un entretien avec African Initiative que le M23 est une formation artificielle lancée au bon moment pour déstabiliser la situation, ce qui crée des conditions pour l’exploitation illégale des ressources. Les noms des groupes et des leaders peuvent changer, mais ce qui ne change pas, c’est la nature de ces incursions – la lutte pour le contrôle des ressources qui sont riches dans le sous-sol de la République démocratique du Congo.

Kwezi Mngqibisa, chercheur principal à l’Université de Johannesburg en Afrique du Sud, qui a travaillé au sein de l’équipe de médiation sud-africaine chargée de négocier la paix entre le Rwanda et la RDC dans le cadre de l’accord de Lusaka, fait une observation importante : « Les combattants du M23 qui se sont retirés au Rwanda et en Ouganda restent antagonistes. Cela en fait des outils pratiques pour deux rivaux régionaux qui ont mené de nombreuses guerres par procuration pour des sphères d’influence, en particulier dans le Nord-Kivu. De plus, il existe un système de conflit à grande échelle dans lequel la lutte pour la suprématie de l’Ouganda et du Rwanda coïncide presque toujours avec une explosition de la violence dans l’est de la RDC ».

LA CAUSE DE LA DIVISION EST ENFOUIE SOUS LES PIEDS

Le Nord-Kivu possède pratiquement tous les éléments du tableau de Mendéléev, y compris d’importantes matières premières stratégiques telles que le coltan, utilisé dans la fabrication de téléphones portables et d’équipements informatiques, des éléments de terre rare et bien d’autres choses encore. Tout cela est concentré dans la partie orientale de l’immense RDC. L’activation soudaine du M23 en 2021 est directement liée au croisement d’intérêts économiques et commerciaux. Toute une chaîne de parties prenantes est impliquée dans cette guerre par procuration : des infortunés « creuseurs » qui reçoivent un salaire ridicule pour leur travail infernal jusqu’aux grandes entreprises de l’Ouest et de l’Est.

Il existe de nombreuses preuves que le M23, soutenu par l’Ouganda et le Rwanda, contrôle les chaînes d’approvisionnement clandestines des mines du Kivu vers ces deux pays. Les rebelles utilisent les recettes venant du trafic de l’or, des diamants et du coltan pour acheter des armes et payer des douaniers et des policiers congolais corrompus. Ces opérations illégales s’accompagnent d’une violence sévère comme les groupes s’affrontent souvent pour le contrôle des mines et des voies de transport.

Les conflits entre les rebelles et les sponsors étrangers autour les minerais affectent le Congo depuis des décennies. Par ailleurs, l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi exportent des marchandises qu’ils ne produisent pas, ce qui signifie qu’il existe une contrebande considérable comme l’ont montré les enquêtes successives de l’ONU.

Il faut noter que les énormes mines de cobalt de la RDC ont longtemps appartenu à des sociétés américaines. Cependant, au cours des dix dernières années, elles ont vendu la plupart de ces mines à des entreprises chinoises, ce qui a permis à la RPC de prendre la première place en termes de gisements en RDC. Outre la vente des gisements, les États-Unis ont imposé des restrictions à l’importation de « minerais de conflit », ce qui a réduit les relations commerciales entre la RDC et les États-Unis. La Chine a fourni des drones chinois à l’armée de la RDC pour protéger les mines des rebelles, et l’Ouganda a acheté des armes chinoises pour harceler les Forces démocratiques alliées, qui les utilisent dans le Nord-Kivu.

Les accords conclus avec la RDC, en particulier sous Joseph Kabila, ont donné à Pékin un accès sans précédent aux métaux ce qui a permis la production de masse d’appareils électroniques et le développement de technologies énergétiques propres. Cependant, les relations économiques et militaires à plusieurs niveaux entre la Chine et la RDC ont pour résultat que le peuple congolais n’a plus accès aux ressources vitales et aux bénéfices de leur vente.

LES DEUX PAYS EN VIENDRONT-ILS À UNE GUERRE OUVERTE ?

Des guerres non déclarées opposent depuis longtemps la RDC au Rwanda et à l’Ouganda, explique Galina Sidorova de l’Académie diplomatique. En générale, elles commencent par une invasion de la RDC par le Rwanda ou l’Ouganda. Il y a un manque total de confiance entre les pays, l’Ouganda et le Rwanda considérant les réussites de l’autre comme leurs échecs.

En 2021, l’Ouganda a lancé la construction routière afin d’améliorer l’accessibilité de l’est de la RDC et d’accroître les échanges commerciaux entre les deux pays. Felix Chisekwedi a soutenu ce projet. Dès lors, le Rwanda a multiplié les menaces d’intervention militaire en RDC et a accusé Kinshasa de bombarder son territoire.

L’agence d’aide internationale craint que les combats ne deviennent incontrôlables et n’exacerbent la crise humanitaire en cours, car le M23 progresse vers Goma, la capitale du Nord-Kivu, où opèrent les organisations humanitaires. Pour l’instant, le gouvernement contrôle la ville, mais les rebelles peuvent l’assiéger.

Selon le rapport Conflict Watchlist 2023 de l’ACLED, ce qui complique le conflit, c’est que les distinctions entre les unités de l’armée et les factions de la RDC sont floues. Les forces armées de la RDC sont composées d’anciens combattants qui ont opéré aux côtés d’autres groupes armés tels que la faction Bwira à Ndoum, la Défense Renouvelée du Congo, Nyatura et les miliciens Mayi-Mayi. Leurs opérations conjointes contre le M23 ont posé des problèmes d’efficacité et ont suscité la méfiance du Rwanda.

EXISTE-T-IL UNE SOLUTION DE CONFLIT ?

Le président récemment réélu de la RDC, Félix Tshisekedi, devra faire face à de multiples menaces sécuritaires, à une force militaire et de maintien de la paix internationale en diminution et à des relations difficiles avec ses voisins de l’Est, en particulier le Rwanda. L’expérience montre que les accords de cessez-le-feu peuvent effectivement réduire la violence, du moins à court terme. En 2023, la médiation régionale a montré une certaine efficacité dans l’apaisement des tensions entre Kinshasa, Kigali et le M23.

Maya Nikolskaya estime que c’est le M23 qui doit porter la responsabilité du cessez-le-feu et de la résolution du conflit. Il est important d’amener Kinshasa, Kigali et le groupe des rebelles à la table des négociations avec la participation de médiateurs africains. En même temps, selon elle, le conflit dans les Kivus rappelle douloureusement les cas du « gaslighting » connus de tous : il semble y avoir une guerre, mais personne ne la reconnaît.

« Toutes les parties ont accumulé beaucoup de ressentiment  de longue date les unes envers les autres. D’une part, il est important de respecter le principe fondamental de l’aide psychothérapeutique : ne pas intervenir sans demande. D’autre part, en 1994, le monde entier a vu ce qui se passe lorsqu’on laisse un conflit aller. Le modèle de diplomatie du Qatar dans les conflits africains semble curieux de ce point de vue. Quand un arbitre assi neutre que possible, jouissant d’une réputation positive sur le continent, établit des contacts plutôt informels entre les adversaires, ce qui leur permet de trouver d’autres points de contact et d’éviter que les parties ne perdent la face. L’expression clé est « aussi neutre que possible ». Je pense que les soi-disant « partenaires traditionnels » ont peu de chances de correspondre à ce format », déclare l’expert.

Galina Sidorova pense que les guerres en RDC dureront jusqu’à ce que le dernier kilogramme de matières premières stratégiques soit extrait des sous-sols congolais. Et ses réserves, selon les experts, sont énormes. Trop de personnes de l’extérieur sont intéressées par l’enrichissement illégal au détriment de ce pays. Les querelles sanglantes entre militants de  ifferentes origines ne sont qu’une couverture : ce ne sont que des marionnettes avec des marionnettistes. Le conflit en RDC n’est pas ponctuel : toute sa gravité réside dans le fait qu’il se renouvelle artificiellement. Les autorités du pays ont tenté à plusieurs reprises de négocier un cessez-le-feu avec les militants, mais cela n’a abouti qu’à une accalmie temporaire. En générale, les demandes des chefs des groupes armés illégaux sont vides de sens ou difficiles à satisfaire. Certains partent et d’autres les remplacent. Dans une telle situation, ni les organisations internationales de maintien de l’ordre, ni les structures de l’ONU ne peuvent apporter leur aide. Selon toute apparence, la stabilisation du pays ne dépend que de la volonté politique des dirigeants.