Après les élections locales de septembre 2023
Les élections locales et sénatoriales de septembre 2023 ont rendu leur verdict. Même si toutes les informations y relatives ne sont pas encore disponibles, il semble possible de faire une esquisse de bilan. Le constat le plus plausible est que ces élections ont confirmé la faiblesse de la gouvernance électorale en Côte d’ivoire. Déterminé à en sortir majoritaire à tout prix, le pouvoir en place a usé de tous les moyens possibles : partialité de l’organe électoral, manipulation de la liste électorale (dont la radiation du nom du président Laurent Gbagbo), partis pris de l’administration y compris les forces de l’ordre, etc. pour ne citer que les faits les plus significatifs. Manifestement, ces élections n’ont pas été démocratiques.
De fait, depuis son installation au forceps par la France en 2011 et la mascarade électorale de 2020, consécutive à la désobéissance civile provoquée par la candidature à un troisième mandat illégal de M. Ouattara, son régime peine à démontrer qu’il bénéficie d’une onction populaire. Chaque consultation électorale est pour le régime Ouattara, l’occasion de relever un défi : prouver qu’il est majoritaire dans le pays. Les vieilles recettes sont donc utilisées à cette fin. Il s’y ajoute qu’en cette fin 2023, pour des raisons purement financières, le régime Ouattara veut apparaitre aux yeux de la communauté financière internationale comme étant adossé à un peuple qui le soutient.
Mais ces combines utilisées par le pouvoir pour forcer une majorité populaire, qui ne lui est certainement pas acquise, sont porteuses de très grands risques pour notre pays. En plus d’occasionner des morts et la destruction de biens, les conflits électoraux peuvent exacerber les rivalités ethniques, et freiner la construction de l’unité nationale et la consolidation du processus démocratique. Pis, s’ils ne sont pas gérés de manière constructive, ils constituent une source potentielle de déstabilisation d’un État. La longue résistance du peuple ivoirien à l’accession au pouvoir du régime actuel de 2002 à 2011 vaincue par la coalition franco-rebelle à l’issue d’une crise postélectorale et l’opposition farouche du pays profond à la candidature à un troisième mandat sont encore présentes dans notre esprit pour que la sonnette d’alarme soit tirée afin que des dispositions idoines soient prises pour éviter des troubles à notre pays. Ces antécédents de violence électorale montrent la nécessité de prêter une attention particulière aux signes d’éruption de conflits constatés à l’occasion de ces dernières élections.
Un dispositif électoral consensuel
C’est pour prévenir ces conflits et leurs conséquences dommageables que plusieurs instruments juridiques ont été adoptés en Afrique, principalement au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine (UA). Ces textes s’accordent sur un constat : si le bilan des expériences démocratiques depuis une trentaine d’années comporte des succès indéniables, il présente, incontestablement, des insuffisances. La récurrence des conflits, électoraux notamment, source de violences et de violations graves des droits de l’Homme, la persistance de comportements anti démocratiques, le manque d’indépendance de certaines institutions en sont les signes les plus manifestes. Or, il y a désormais une conception bien établie selon laquelle l’instabilité interne des États représente aussi une menace pour la paix mondiale du fait des effets transnationaux qu’elle est susceptible de provoquer.
C’est pourquoi des principes communs de bonne gouvernance ont été adoptés par les organisations suscitées, en vue d’une régulation juste, transparente et fiable des élections. Des outils de prévention et de gestion des conflits ont été mis en place. Il s’agit pour les États, à travers ces différentes initiatives, d’atteindre la paix et la sécurité par le développement de la démocratie et la bonne gouvernance.
Certaines des dispositions arrêtées apportent justement des solutions aux préoccupations de la Côte d’Ivoire en ce qui concerne l’organe électoral et la liste électorale. Le protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance dispose en son article 3 : «Les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. En cas de nécessité, une concertation nationale appropriée doit déterminer la nature et la forme desdits organes». Quant à son article 5, il prévoit que : «Les listes électorales seront établies de manière transparente et fiable avec la participation des partis politiques et des électeurs qui peuvent les consulter en tant que de besoin».
En Côte d’Ivoire, il est de notoriété que l’organe électoral n’a pas «la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique». De manière répétitive, à l’occasion de différentes interventions, l’opposition significative (PDCI et PPA-CI notamment) a estimé que la Commission électorale Indépendante (CEI) actuelle n’est ni indépendante, ni impartiale, ni neutre, et qu’elle ne peut organiser des élections justes, transparentes et crédibles. Elle regrette sa non-conformité à un arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples ordonnant une modification de la loi sur la CEI, et dénonce le déséquilibre de sa composition au profit du pouvoir et recommande qu’elle dispose de pouvoirs discrétionnaires. Elle reproche au président actuel de la CEI son manque de crédibilité du fait de ses liens très étroits avec le régime.
L’opposition a déclaré que la liste électorale actuelle, confectionnée unilatéralement en 2014 par le régime Ouattara, n’est pas fiable. Elle est «truffée d’irrégularités et d’éléments frauduleux». Les preuves abondent pour indiquer qu’elle comporte des personnes qui ne devraient pas y figurer parce que ne respectant pas les exigences du code électoral, que ce soit du fait de leur âge, état civil ou nationalité. L’opposition a même demandé que cette liste électorale soit auditée et reprise entièrement.
Une concertation sincère
En outre, selon les dispositions précitées, l’instance ouest-africaine exige une méthodologie consensuelle, une concertation nationale avec la participation des acteurs de la vie politique, notamment les partis politiques, la société civile et les électeurs pour établir la liste électorale et déterminer la nature et la forme de l’organe électoral.
Alors si de tels engagements ont été pris par la Côte d’Ivoire, qu’est ce qui peut expliquer la réticence des autorités à s’engager dans une véritable concertation pour en sortir des dispositifs électoraux acceptés par tous ? Que craint un régime qui se dit majoritaire à jouer le jeu de la démocratie vraie et la transparence en faisant arbitrer les consultations électorales par des organes non inféodés au pouvoir, sur la base d’une liste électorale faisant l’objet d’un accord ?
C’est l’occasion de rappeler que, sous le régime du président Laurent Gbagbo, à la suite des accords de sortie de crise, le président de la commission électorale, a toujours appartenu à un parti d’opposition. Pour l’élection présidentielle de 2010, tout le processus électoral avait fait l’objet d’un compromis entre les partis significatifs de l’époque. La liste électorale avait été reprise entièrement selon des modalités consensuelles. Il faut aussi signaler qu’à l’époque de la COSUR (Commission de supervision du référendum) et de la CNE (Commission nationale électorale), sous la présidence de Honoré Guié, membre de la société civile, l’organe électoral, pour rassurer les acteurs politiques, avait, de sa propre initiative, pris contact avec les services d’établissement des cartes nationales d’identité et opéré un croisement de ses fichiers avec celui de la liste électorale. Ainsi, pour sécuriser le bulletin de vote, les cas douteux avaient été isolés sur une liste et un délai accordé pour preuve de nationalité. Cette méthodologie avait été appliquée avec l’assentiment des partis politiques qui avaient suivi toute l’opération. L’expérience a été par la suite étendue à d’autres pays africains.
Il est surprenant de constater que le régime Ouattara, qui est prompt à se proposer d’attaquer militairement d’autres pays de la CEDEAO parce qu’il leur est reproché un changement anti constitutionnel de gouvernement, traîne les pieds quand il s’agit justement de mettre en place les instruments de nature à éviter les dits changements. Ne vaut-il pas mieux anticiper et prévenir une crise plutôt que d’avoir à la gérer ?
Évidemment, il nous sera rétorqué que moult «dialogues politiques» ont été organisés par le pouvoir actuel à cet effet. Mais peut-on raisonnablement penser que ces dialogues étaient crédibles ? Alors même qu’ils n’étaient pas inclusifs, la participation de certains acteurs demeurait problématique. Les résolutions qui en sont sorties ont été diversement interprétées et inappliquées.
Pour l’opposition, ces «dialogues» doivent avoir pour objectif la réconciliation nationale. C’est pourquoi, ils doivent être inclusifs, sans tabou et conçus avec la ferme volonté de ne plus vivre en Côte d’Ivoire la tragédie de 2002 à 2011. Or, le régime ne retient de ces séances communes de concertation, que de simples réajustements techniques de l’existant sans rien toucher à l’architecture générale, celle-ci l’avantageant à l’évidence. Le critère moral de la sincérité ne peut entrer en ligne de compte qu’autant que chacun est au moins d’accord pour reconnaître l’autre comme un interlocuteur fiable et animé des mêmes intentions de cohésion de l’État, de la communauté politique ivoirienne et de sa survie demain comme nation. Il faut donc une concertation franche, dénuée de toute fourberie, précédée de la définition conjointe de termes de référence précis et clairs.
Reseau International