L’instabilité politique place le projet de pipeline Niger-Bénin dans l’incertitude

L’essort économique du Niger grâce à la réalisation du pipeline Niger-Bénin risque fort de pâtir de la situation sur place. Est-ce que la crise née du coup d’Etat au Niger et les sanctions du bloc régional de l’Afrique de l’Ouest impacteront la livraison du pipeline entre le Niger et le Bénin prévue cette fin d’année? Des interrogations subistent au regard de l’isolement économique du Niger.

Remise en question du pipeline entre le Niger et le Bénin. Alors que la fin de cette année devrait marquer l’entrée du Niger, un pays enclavé d’Afrique de l’Ouest, dans le cercle fermé des exportateurs de pétrole, le projet de construction du pipeline, qui permettra de relier les puits pétroliers du gisement d’Agadem au Niger, au port pétrolier en eau profonde de Sèmè-Kpodji au Bénin, d’où sera évacué pour la première fois du pétrole brut nigérien vers l’international, est remis en question à cause des sanctions lancées par les dirigeants du bloc régional de l’Afrique de l’Ouest avec le soutien de l’Occident contre le Niger. Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie (OFNRS) rapportait «que depuis le renouvellement de ses relations avec le Bénin, la Chine poursuit ses engagements à renforcer sa coopération bilatérale avec ce pays d’Afrique de l’Ouest dans le but de l’accompagner dans son développement économique», «en investissant dans plusieurs infrastructures», notamment dans ce pipeline Niger-Bénin.

OFNRS soulignait que le projet, «s’étendant sur un total de 2000 kilomètres du Niger au Bénin, dont il s’agira du plus long pipeline d’Afrique selon le Ministre béninois de l’Eau et des Mines, Samou Seidou Adambi», avait pris du retard avec la pandémie de la Covid-19 et que le «tracé Niger, Tchad Cameroun bien qu’il s’agissait de la solution la moins coûteuse et la plus rapide», avait été abandonné du fait de l’instabilité au Tchad.

Le méga-projet a été confié à l’entreprise chinoise China National Oil and Gas Exploration and Development Company Ltd (CNODC). Cette entreprise à son tour, a créé deux filiales pour la construction et la gestion de l’oléoduc. Il revient ainsi à la West African Oil Pipeline Company (WAPCo, au Niger et au Bénin) de construire, exploiter, entretenir et gérer ce pipeline très attendu au Niger. Cette, fois, donc, avec le coup d’Etat au Niger et la prise du pouvoir politique par ​le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) et des sanctions du bloc régional de l’Afrique de l’Ouest avec le soutien de l’Occident, le projet de livrer du pétrole du Niger à l’international par la mer depuis les puits pétroliers d’Agadem (sud-est du Niger) jusqu’à Sèmè (sur la côte atlantique béninoise) est en train de tomber à l’eau. Les experts se demandent, en effet, si le maître d’ouvrage, la China National Oil and Gas Exploration and Development Company Ltd (CNODC), réussira à rendre le chantier dans les délais, au dernier trimestre de cette année.

Les autorités béninoises se veulent pourtant rassurantes. Le Bénin affirme que le pipeline du Niger n’est pas affecté par les sanctions imposées par le coup d’État. «La situation politique actuelle n’a rien à voir avec l’exécution du projet», a déclaré à Reuters Alassane Kora, chef de cabinet adjoint du ministre béninois des mines et de l’énergie. «Cela signifie qu’à l’heure actuelle, les travaux progressent au Niger et au Bénin. Il se peut qu’il y ait juste un retard dans le calendrier. Sinon, dans des circonstances normales, d’ici octobre ou début novembre, les premières gouttes, les tests initiaux, devraient avoir été effectués», a martelé Alassane Kora. En outre, le porte-parole du gouvernement béninois, Wilfried Leandre Houngbedji, a affirmé en réponse à une question de Reuters que «les fermetures de frontières imposées par le bloc régional de l’Afrique de l’Ouest n’auraient pas d’impact sur les travaux de construction du pipeline». Pour rappel, l’investissement total dans l’oléoduc devrait s’élever à 4 milliards de dollars.

Actuellement, le Niger subit les sanctions économiques censées obliger les militaires au pouvoir à restaurer l’ordre constitutionnel. Outre la fermeture des frontières, ces sanctions comprennent le gel des avoirs du pays à la Banque des États d’Afrique de l’Ouest et la suspension des transactions commerciales. Dans ce contexte, il est difficile de faire parvenir le reste des équipements de l’étranger et même des techniciens spécialisés pour tester le pipeline.

Interrogé par RFI, Amaury de Félingonde, directeur associé d’Okan, un cabinet de conseil en stratégie et en finance dédié à l’Afrique impliqué dans ce projet, redoute un retard dans la mise en service de cet oléoduc. «Il est sûr qu’aujourd’hui, avec le blocus, la finalisation du projet va être probablement compliquée. Pour faire des essais, il faut faire venir des techniciens, ce qui va être probablement compliqué dans les mois à venir», a-t-il expliqué.

Une croissance à deux chiffres. Avant le coup d’Etat militaire du 26 juillet, les autorités nigériennes plaçaient le pétrole au centre de leur stratégie de développement. Pour le premier ministre d’alors, Brigi Rafini, le projet de pipeline est «un grand projet structurant, un projet porteur de beaucoup d’espoir pour les Nigériens et auquel il souhaite plein succès». Selon, ce dernier, «cela va permettre au Niger d’être «pleinement dans son statut de pays producteur de pétrole». Observatoire Français des Nouvelles Routes de la Soie (OFNRS) rappelait que «le Niger, qui produit actuellement environ 20.000 barils de pétrole par jour (bpj), espère augmenter sa production à environ 110.000 bpj, dont environ 90.000 bpj seront exportés par [le pipeline]». Jeune Afrique vantait le succès de l’économie du Niger grâce au pétrole: «Les institutions internationales prévoient, non sans réserve, une croissance économique à deux chiffres pour le pays, grâce à la mise en service, à la fin de 2023, d’un [pipeline] devant permettre de multiplier les exportations de l’or noir par sept».

Si le calendrier prévisionnel des travaux est effectivement respecté, la croissance devrait bondir. «D’après les projections, le pétrole, qui représentait en 2017 4% du PIB, doit atteindre en 2025 et 24% de la richesse nationale, et rapporter environ 45% des recettes fiscales (quelque 400 milliards de FCFA), contre 17% en 2017», calculait Jeune Afrique.

Ce pipeline devait aussi booster le secteur de l’emploi. La Deutsche Welle (DW) planchait en mars dernier sur la création de près de 3.000 emplois au Bénin et au Niger et sur le fait que le Bénin devrait empocher 300 milliards de francs CFA de droits de transit et recettes fiscales pour les vingt premières années. Avec l’emploi, il est question de la construction d’écoles dans les régions traversées par le pipeline. La DW répète que «le port de Cotonou au Bénin sert déjà à exporter l’uranium nigérien». La réalisation de ce pipeline a de quoi transformer radicalement l’environnement socio-économique du Niger, l’un des pays les plus pauvres du monde. ​La valeur de l’indice de développement humain (IDH) du Niger pour 2019 s’établit à 0.394 – ce qui place le pays dans la catégorie «développement humain faible» et au 189e rang parmi 189 pays et territoires.

Mais, cet espoir économiqiue risque d’être compromis par les sanctions économiques qui s’abattent sur le Niger.

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