Vie politique au Burkina Faso: « Ce qui est annoncé à besoin d’être relativisé et recadré »

La junte militaire au pouvoir a rappelé aux partis politiques le communiqué numéro 3 du 30 Septembre 2022 du MPSR suspendant les activités des partis politiques. Dans un communiqué, adressé à l’UPC et au CDP, le ministre en charge de l’administration territoriale a tenu a précisé aux respects de cette décision. Dans cette interview, Herman Yaméogo président de l’union nationale pour la démocratie et le développement nous livre sa lecture personnelle de la situation au Burkina.

Herman YAMEOGO Président de l'union nationale pour la démocratie et le développement

AFRIQUE MEDIA: Hermann Yaméogo, vous êtes le Président de l’union nationale pour la démocratie et le développement, quelle lecture faites-vous en tant que citoyen libre de la gestion du pouvoir par la junte militaire au pouvoir ?

 

HY: il me faut au paravent restituer les choses dans leur contexte. L’avènement de la junte actuelle par les moyens que l’on sait avec le capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir, m’a spontanément paru incongru. C’est vrai que beaucoup tirant argument des lenteurs, tergiversations et quelques ratées de son prédécesseur dans la gouvernance et alléguant les urgentes décisions à prendre toujours en souffrance, avaient fini par adhérer à l’idée d’une alternance dans le mécanisme de la transition du MPSR.

Je n’étais pas personnellement de ceux-là. Certes les retards, hésitations et gaffes évoquées notamment dans la conduite de la réconciliation (comme la venue du président Compaoré sans le préalable de la grâce), étaient manifestes mais je croyais qu’en les dénonçant publiquement on pourrait corriger le tir.

Mes déclarations dénonciatrices et suggestives comme celles de bien d’autres, n’ont rien changé à l’affaire.

Ce qui devait arriver arriva. Mais je reste persuadé que la prévalence de l’intérêt supérieur de la nation aurait dû conduire nos éléments du MPSR à serrer les dents et à rougir les yeux pour trouver entre eux à huis clos, une autre méthode de rectification, que celle violente que nous avons vécue. Mais le mal est fait il faut en prendre acte en évitant de rééditer la même erreur, en raison de ce que la gestion du capitaine Traoré nous semblerait catastrophique. Il faut se montrer plus responsable, plus soucieux du crédit de l’armée comme des souffrances du peuple et des avantages ainsi concédés aux terroristes, en arrachant la négociation, les réformes plutôt que le coup de force.

 

On peut par ce canal promouvoir plus de soutien dans la conduite des affaires nationales et internationales, comme dans celles en particulier qui concernent la guerre.

C’est pour cela que je n’ai de cesse en bravant médisances, menaces et insultes, d’avancer des critiques assorties de propositions, de demander une mobilisation générale dans le cadre d’une réglementation appliquant l’état d’urgence national et les pouvoirs exceptionnels prévus respectivement aux articles 58 et 59 de la constitution. Pour moi de telles mesures alliées à celles relatives à une véritable économie de guerre aideraient à mieux affronter nos difficultés.

 

Évidemment comme vous le savez je n’arrête pas de condamner les lenteurs constatées dans la mise en œuvre de la réconciliation en dépit des engagements pris en ce sens dans le cadre du compromis, qui a présidé sous les auspices de la faîtière des communautés religieuses et coutumières au règlement de la crise de renversement du président Damiba.

En un mot comme en cent cette gestion souffre de la méconnaissance de trois exigences. D’abord du préalable de la réconciliation nationale, de l’évaluation réaliste des impératifs de solidarités avec les pays voisins, ceux africains en général comme avec ceux de l’espace extra continental, enfin de la proclamation de l’économie de guerre autocontrôlée. De nos jours une guerre ne peut se mener sérieusement même par une grande puissance mondiale en minimisant ces trois obligations.

 

AFRIQUE MEDIA: Les activités des partis politiques sont suspendues. Des reformes mêmes sont annoncées pour limiter le nombre de partis politiques au Burkina Faso. Qu’avez-vous à dire à ce sujet en tant que démocrate ?

 

HY : vous savez je suis au Burkina Faso le promoteur du droit des partis politiques formalisé notamment dans la charte des partis politiques et de la refondation. J’ai toujours pensé après avoir concouru à la restauration de la démocratie concurrentielle sous la IV république, que malgré les apparences notre mode de gouvernance depuis le processus démocratique des années 90 pourrait connaître des revers de fortune. Cette refondation que j’ai lancée de façon préventive fait partie depuis près de 20 ans de nos plateformes revendicatives.

Aujourd’hui encore je demande régulièrement depuis le MPSR I, une refondation de l’Etat qui implique nécessairement sa gouvernance politique pour corriger les nombreuses erreurs commises notamment par les partis politiques dans la mise en œuvre de la démocratie électorale.

 

Si dans ce cadre j’ai toujours naturellement demandé cette suspension, pour moi le processus devrait surtout viser une réappropriation du pouvoir démocratique (confisqué par des pouvoirs politiques économiques et militaires), par la victime première en l’occurrence le peuple lui-même. Ce qui est annoncé péremptoirement en ce moment a donc besoin d’être relativisé recadré, en tenant compte de nos législations nationales (constitution, lois …) et internationales (Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance).

À n’y prendre garde nous courrons le risque en écartant des règles de gouvernances démocratiques, sans alternatives compatibles avec les lois de la démocratie incorporées dans notre législation nationale, de finalement verser dans la pire des tyrannies.

 

AFRIQUE MEDIA: La junte demande aux partis de s’unifier pour élaborer un seul programme de développement. Quelle analyse faite vous d’une telle déclaration en tant que citoyen ?

 

HY: Dans un certain sens ce n’est que logique et sagesse pures. (C’est bien pour cette raison que je demande invariablement l’union sacrée pour nous rendre plus fort face à l’ennemi terroriste). Mais dans le cas d’espèce, ça ne peut qu’être un souhait et non une obligation. Appliquée à la lettre cette déclaration jurerait avec les législations nationales et internationales ci-dessus évoquées. Notre pays a connu le tripartisme constitutionnel sous la III république, mais depuis les partis qui sont devenus des instruments de droits constitutionnels se créent librement sans limitation.

S’ils décident de collaborer et même de fusionner, c’est librement comme prévu par la

LOI N°032-2001/AN AN du 29 novembre 2001(JON°01 2002)

Portant charte des partis et formations politiques au Burkina Faso.

Article 22 : La fusion, l’union, l’alliance ou la dissolution statutaire de partis et/ou formations politiques légalement constitués est libre.

 

AFRIQUE MEDIA: La limitation du nombre de partis tout comme la suspension des activités politiques est donc une atteinte à la démocratie et à l’expression plurielle?

 

HY: Attention votre question a besoin d’être nuancés.

Oui, La limitation du nombre des partis est contraire à la constitution Article 13 alinéa 1 « Les partis et formations politiques se créent librement ».

Non, La suspension par contre est possible et peut se justifier par des mesures constitutionnelles instituant une dictature temporaire comme déjà relevé. (État d’urgence, plein pouvoirs, loi martiale..).Suspendre sans activer aucun de ces principes m, c’est agir sans base légale.

 

AFRIQUE MEDIA: Est-ce qu’on peut parler ici d’un plan de marginalisation et de stigmatisation de la classe politique ?

 

HY: Ce qui en tout cas devrait être à l’ordre du jour c’est une volonté légitime d’assainissement du cadre d’expression politique et des règles de la démocratie électorale. Mais cette volonté non seulement n’est pas exprimée de la meilleure manière, mais surtout elle est partiale et incomplète.

Comme je n’ai de cesse de le dire, la crise de notre gouvernance ne peut bien s’appréhender dans l’ignorance de tous ses facteurs contributifs.

Si le rôle négatif des partis politiques qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition est bien clair et indiscutable, ceux des militaires et des hommes d’affaires restent évoqués de façon marginale, elliptique et peureuse quand bien même ils tendraient par moments à dépasser celui des partis politiques.

Il y’a encore plus ignorée et même plutôt masquée, c’est l’influence de certains partenaires bilatéraux et multilatéraux qui en sont arrivés à une forme de « sacralisation », des élections et ce sans vraiment tenir compte des réalités qui marquent le territoire électoral, le corps électoral, les conditions de la transparence et de l’honnêteté des scrutins et plus grave la sécurité même des électeurs. La démocratie électorale en fin de compte est considérée pour l’Afrique plus qu’un pis-aller, comme un moyen de geler par intermittences ses nombreuses contradictions nationales qui insécurisent les relations économiques. Les élections sont alors entrevues comme une technique qui permet de convertir, de déverser dans ces joutes électorales, les diverses agressivités sociales. L’élection devient un exutoire régulier au trop plein de violences.

En réalité cette façon de voir qui est loin de particulariser les démocraties matures, ne fait que différer le règlement de nos problèmes cumulatifs, ce qui conduit souvent au pire comme c’est le cas actuellement chez nous.

Mais malheureusement on trouvera toujours des politiques pour soutenir cette vision car ils y voient surtout une protection contre leurs tripatouillages et malversations dans la gouvernance qui les exposent à des poursuites.