Russie: avec la mobilisation partielle, les équipements militaires s’arrachent à Moscou

Le marché de Sadovod dans l'est de la capitale russe Moscou est arpenté par de nombreuses personnes cherchant à s'équiper ou équiper des proches mobilisés dans l'armée, en octobre 2022

Pour la première fois dans l’histoire du pays, ils sont nombreux à vouloir s’équiper eux-mêmes avant de partir. Cela alors que ce marché est déjà en tension depuis mars. De nombreux soldats déjà sur le terrain depuis des mois lancent aussi des campagnes de financement pour obtenir du matériel et des vêtements.

Nikolaï (son prénom a été modifié), mobilisé très vite fin septembre et fier de l’être, s’entraîne quelque part en Russie dans une unité d’élite : des parachutistes. Officier de réserve après avoir passé six ans dans l’armée, ce trentenaire partage son quotidien sur sa chaîne Telegram. Les premiers jours, il s’agaçait de certains mobilisés qui se comportaient « comme des conscrits ». Comprendre : des appelés peu motivés.

Depuis, tout est rentré dans l’ordre, semble-t-il, et Nikolaï s’est désormais investi dans une collecte de fonds pour du matériel de secours de première urgence pour son unité. Il cherche 4 millions de roubles (environ 65 700 euros au cours actuel) et il en a recueilli pour l’instant la moitié. Sur Telegram, Nikolaï photographie et envoie aux donateurs les images des premiers achats. Des collectes similaires d’argent et de fournitures sont organisées dans tout le pays. On se regroupe par affinité ou via les réseaux sociaux, le plus souvent sur des chaînes Telegram à plusieurs milliers d’abonnés.

Membre de l’une d’elles, un trio de femmes vient de terminer ses emplettes au marché de Sadovod, au sud de la capitale russe, à une heure du centre. Ici, les plus modestes viennent notamment acheter des vêtements et les prix pour les fournitures militaires y sont plus bas qu’ailleurs. En pleine pause cigarette, l’une d’entre elles explique : « On a commencé dès le début de l’opération spéciale, notre premier transfert était le 8 mars. On avait juste envoyé des chaussettes et des sous-vêtements, se souvient-elle. On a continué ensuite avec de la nourriture, des caméras thermiques. On a même acheté deux véhicules. » Tout ce qu’elles rassemblent est depuis le début envoyé à Belgorod, cette ville frontalière de l’Ukraine de plus en plus souvent visée par des frappes du camp d’en face. Samedi, le trio avait presque tout trouvé, sauf des chaussures pour les démineurs.

D’autres femmes viennent pour leur mari ou leur compagnon, déjà mobilisés. Elles se renseignent entre elles, comparent la marchandise et les prix. On croise aussi dans ces allées à forte affluence depuis trois semaines, des hommes souvent seuls, parfois en couple, anticipant l’appel avec en main une liste de courses. « Il faut un sac à dos, un sac de couchage, des chaussettes, des semelles. Ici, on ne trouve pas de lunettes spéciales. En revanche, il y a des genouillères, raconte l’un d’entre eux. Nous devons être prêts, être prêts pour tout, en bien et en mal. »

La demande est telle que certains magasins affichent les fournitures en rupture de stock en devanture. Parmi celles-ci figure le plus souvent la pharmacie d’urgence.

Des difficultés d’approvisionnement

Littéralement dévalisé, un des vendeurs avoue avoir du mal à faire venir la marchandise. « Ils achètent tout : sacs à dos, couteaux multiples, cuillères, fourchettes, surtout les sacs à dos. » Les sanctions sur les exportations de matériel militaire de tous types sont passées par là. « On ne peut rien faire venir de Chine directement, c’est saisi immédiatement, explique-t-il. La Turquie, elle, interdit tout ce qui est militaire. Les vestes noires, ça passe, mais ces vertes que vous voyez sur ce rayon là-haut, ça n’est plus possible d’en avoir directement. »

La technique pour contourner les sanctions est la même que pour tous les autres produits mis à l’index par les Occidentaux : faire passer la marchandise parfois jusqu’à trois pays – étape finale souvent, la Biélorussie – multipliant d’autant les prix. Parfois, la marchandise à peine exposée est déjà achetée et emballée. Les avenues de ce vaste marché sont pleines d’immenses ballots en plastique ayant pour destination Rostov-sur-le-Don au sud de la Russie, une des routes pour rejoindre le Donbass et la ligne de front.

RFi