Le gouvernement malien a accusé la France de soutenir le terrorisme au Mali. Ces accusations sont-elles crédibles ? Si c’est le cas, quelles sont les implications pour la géostratégie française et européenne en Afrique dans le contexte de l’intensification de la guerre contre la Russie ?
Le 10 juillet dernier, 49 soldats ivoiriens ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de transiter par l’aéroport de Bamako au Mali. Le gouvernement malien a sollicité des explications de la part du gouvernement ivoirien, mais sans succès. Depuis la prise de pouvoir par un coup d’état militaire en 2020, la junte dirigée par le colonel Assimi Goïta a publiquement fait l’objet d’une opposition par le gouvernement ivoirien. Abidjan soutient que les soldats se trouvaient à Bamako dans le cadre de la mission MINUSMA de l’ONU. Mais le gouvernement malien explique qu’il a des preuves que ce n’est pas le cas.
Le rapport détaillé publié par le gouvernement malien souligne toutes les violations du protocole qui ont été commises par les 49 troupes, soutenant leurs affirmations avec le fait que les soldats était dans le pays dans un but de changement de régime. Par exemple, les soldats étaient déguisés en étudiants et en commerçants.
Le colonel Assimi Goïta ne se fait pas d’illusion sur le dessein de la mission de Bamako : remplacer la junte actuelle par un gouvernement agréé par la France. Tout le monde au Mali soupçonne Paris d’être derrière le climat d’agitation actuel au Mali.
Lors d’une initiative historique, le gouvernement malien a écrit une lettre de protestation aux Nations unies accusant la France de fournir du renseignement aux groupes terroristes au Mali dans le cadre d’une tentative de renversement de la junte actuelle. Les médias français réfutent unanimement ces accusations mais ont-ils une quelconque crédibilité ? Un coup d’œil rapide à l’implication de la France dans la région depuis plus de dix ans va démontrer que les accusations du Mali sont convaincantes et hautement crédibles.
Le changement de régime français en Côte d’Ivoire
La géostratégie française en Afrique est aussi complexe que le terrain continental et ethnique. Mais la Côte d’Ivoire est une néo-colonie essentielle depuis « l’indépendance ». Dirigée depuis des décennies par le pro-français Félix Houphouët-Boigny, une grande partie de la richesse du pays a été confisquée par une oligarchie entièrement dépendante de la France. Le leader populiste de gauche Laurent Gbagbo s’est opposé au régime néocolonial en Côte d’Ivoire, et a pris le pouvoir en l’an 2000.
Mais Paris s’opposait à Gbagbo qui voulait une plus grande indépendance vis-à-vis de la France. Depuis 2003, les Français soutenaient des forces rebelles dans le pays qui était dirigées par Alassane Ouattara, un ancien officiel du FMI.
Les espoirs de réforme de Gbagbo ont été anéantis en 2010 lorsque les Français ont bombardé la capitale Abidjan, arrêtant de façon ignoble Gbagbo et sa femme, et installant Ouattara comme président.
Les forces de Ouattara ont commis de nombreuses atrocités odieuses qui ont été minimisées par les médias français, comme le massacre de Duékoué le 2 avril 2011, lorsque 800 civils, un village tout entier, ont été brûlés vifs.
Au moment de sa prise de pouvoir, Ouattara a déchaîné un règne de terreur contre les soutiens de l’ancien président. La Côte d’Ivoire était une fois encore une plantation coloniale. Une stratégie française essentielle dans la prise de contrôle de la Côte d’Ivoire était d’utiliser des forces mercenaires du Burkina Faso voisin, qui était une base pour les opérations françaises de renseignement dans la région.
Une stratégie similaire est désormais utilisée pour déstabiliser le Mali. Paris apporte son soutien à des terroristes djihadistes pour affaiblir la sécurité nationale dans un pays où les Français ont perdu leur pouvoir et leur influence.
L’invasion du Mali par la France
En 2013, quelques mois après le bombardement de la Libye et l’assassinat de son leader, les Français ont envahi le Mali sous prétexte de combattre les terroristes de Al-Qaïda. À l’origine, le gouvernement malien combattait une rébellion touareg dans le nord du pays. Cependant, la situation était cependant rendue compliquée par la présence de forces djihadistes, qui se multipliaient dans la région à la suite de la déstabilisation de la Libye par l’Occident.
Mais l’occupation française du pays a très vite posé des problèmes, avec des critiques de la part du gouvernement malien qui accusait leurs partenaires français de tenter de diviser le pays. Nombreux sont ceux qui soupçonnaient les Français de faire un accord avec les Touaregs dans le nord ce qui aurait facilité leur projet de la République séparatiste d’Azawad, la région nord du Mali revendiquée par les séparatistes touaregs.
Le désordre et le mécontentement dans le pays avaient déjà mené au coup d’État du Général Sanogo en 2012. L’armée malienne avait déjà été mécontente de la guerre du président Amadou Toumani Touré contre les séparatistes du nord et les groupes liés à Al-Qaïda.
Le pro-français Ibrahim Boubacar Kéita a dirigé le pays de 2013 à son élimination lors d’un coup d’État militaire le 18 août 2020. Le colonel Assimi Goïta est actuellement le président du Comité national pour le salut du peuple, le gouvernement par intérim du Mali.
La situation au Mali est rendue compliquée par l’implication d’autres pays européens. Mis à part obtenir un accès à l’une des plus grandes réserves d’or du monde, la présence française au Mali est lié à un projet de puissance militaire. Les Français veulent contrôler la région du Sahel toute entière. Ils veulent aussi être la partie majoritaire d’une armée européenne. Le Mali a été un important camp d’entraînement pour les opérations militaires françaises et européennes. Lors de l’opération Barkhane, la mission française au Mali, Paris a mobilisé le soutien de partenaires clé dans la guerre de l’OTAN contre la Russie, comme l’Estonie qui a eu jusqu’à 90 troupes au Mali.
Depuis 2021, la coalition militaire menée par la France au Mali a répandu des rumeurs sur les opérations supposées du très controversé groupe russe Wagner dans le pays. Mais les gouvernements russes et maliens ont nié ces allégations, affirmant que la Fédération de Russie fournit une assistance militaire légale au gouvernement malien. Alors que le Groupe Wagner semble être actif, les allégations non fondées concernant ses activités font partie de la guerre de l’information en cours menée contre la Russie, et le Mali est désormais au centre d’une nouvelle guerre géostratégique entre l’alliance militaire occidentale et la Russie et l’Afrique.
Assimi Goïtar est perçu par les Français et les Américains comme « pro-russe ». Son récent appel avec le président Poutine où le président russe a offert une assistance humanitaire, aura confirmé les soupçons français que désormais Moscou a un ancrage ferme dans le pays.
L’influence russe au Mali remonte aux premières décennies de l’indépendance du pays. Le premier leader du pays orientée à gauche, Modibo Keïta, a été évincé en 1968 par une action menée par la France, installant l’impopulaire général Moussa Traoré à sa place. On soupçonnait Keïta d’être trop proche de l’URSS.
Traoré a subordonné le pays aux intérêts français. Le retour de la Russie en tant que puissance mondiale sous Poutine a persuadé de nombreux Africains que leurs intérêts seraient mieux servis avec un partenariat militaire et économique avec Moscou.
Conclusion
La junte malienne a un large soutien populaire. Cela a été démontré en janvier dernier lorsque des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de Bamako en soutien à l’armée et contre l’interférence française dans le pays. Depuis le retrait français, l’armée malienne a accusé la France de violation répétée de son espace aérien. Ils ont averti la France que des violations supplémentaires mèneraient à ce que des avions français soient abattus. L’ambassadeur de France au Mali a été expulsé le 31 janvier après qu’il ait critiqué la junte.
La composition ethnique complexe du Mali est un sujet de préoccupation pour l’unité et la stabilité du pays. Les groupes ethniques Fulani et Dogon se battent depuis des siècles concernant l’accès aux terres arables et aux ressources. L’alliance militaire occidentale est experte en fomentation de dissensions ethniques. Les Fulani sont hautement représentés dans de nombreux groupes djihadistes, alors que Dan Na Ambassagou, une milice dogon dont on pense qu’elle est pro-junte, est constamment diabolisée par la presse occidentale. Par exemple, le groupe a été accusé d’un massacre à Oggosagou en février 2019 au cours duquel 160 éleveurs ont été tués. Human Right Watch, avec son copieux manque de preuve habituel, continue d’accuser Dan Na Ambassagou pour l’attentat. Mais le groupe a nié ces allégations.
Da Na Ambassagou est une milice dogon constituée en 2016 afin de protéger le peuple dogon des djihadistes et des attaquants Fulani. Nombreux sont ceux qui suspectent la France de les soutenir. Des activistes pan-africains comme Kémi Séba pensent qu’Assimi Goïtar est en train de devenir le symbole d’une nouvelle révolte anti-impérialiste africaine. Depuis leur rôle dans la destruction de la Libye, les Français ont perdu toute crédibilité en Afrique. A l’heure où nous parlons, des militaristes français poussent à une guerre totale entre l’OTAN et la Russie, prônant ouvertement le déploiement de troupes françaises en Ukraine. Mais les Russes obtiennent des alliés à travers le monde développé. La Russie et le Mali ont un intérêt commun à combattre le terrorisme. Si on suit l’analyse de Séba, on décrit le coup d’état malien comme le début d’une révolution populaire, la possibilité qu’elle se répande à d’autres nations africaines pourrait pousser les Français à une intervention militaire supplémentaire au Mali.
Lors de sa visite à Moscou la semaine dernière, le Ministre des Affaires étrangères malien, Sadio Camara, a affirmé que « certains partenaires » utilisent la loi internationale et les sanctions pour affaiblir l’état malien, l’empêchant de combattre les terroristes. Tout le monde sait bien qui sont ces « partenaires. »
Dans la nouvelle guerre froide, l’Occident a perdu beaucoup de son soft power. Le monde se détourne du libéralisme et va vers la multipolarité et les valeurs traditionnelles. Les accusations du gouvernement malien contre la France pourraient être le début de la fin pour l’hégémonie occidentale sur le continent africain.
source : Reseau International