Du 13 au 17 juin, le salon international de Défense et de Sécurité terrestres et aéroterrestres Eurosatory a ouvert ses portes à Paris où Emmanuel Macron s’est exprimé à son ouverture. Dans la déclaration du président français, il convient de souligner le choix de ses mots prononcés dans le contexte d’une situation internationale radicalement modifiée. Il martèle que la France est entrée dans une «économie de guerre», nécessitant des dépenses de défense supplémentaires et une coopération encore plus étroite au niveau de l’UE.
Ce discours devrait constituer la base de toutes les décisions ultérieures, ouvrant une nouvelle étape dans l’évolution de la politique militaire de la Ve République. Le maintien du statut de la France en tant que puissance militaire majeure et son implication dans le conflit ukrainien nous obligent à regarder l’industrie de la défense française d’une manière générale et à établir quels objectifs sont à l’ordre du jour, comme savoir comment les dirigeants français envisagent de les résoudre et ce que cela peut offrir à ses propres partenaires étrangers.
Nouvelle augmentation du budget. Il convient de préciser que le concept d’ «économie de guerre», malgré sa complexité, dans la présentation d’Emmanuel Macron a un sens assez étroit. Ainsi, il n’est nullement prévu de transférer toute l’économie nationale sur une base militaire par la reconversion d’entreprises civiles et la mobilisation massive de réserves de main-d’œuvre. Il est question, ici, de soutenir le complexe militaro-industriel déjà établi à travers des entreprises engagées dans l’industrie et fournissant des emplois hautement qualifiés.
Le principal objectif fixé par les autorités françaises à cet égard est de mettre à jour la loi de programmation militaire (LPM), promulguée en 2018 et calculée jusqu’en 2025 qui prévoit un effort financier de 295 milliards d’euros pour réparer et moderniser les armées.
Au moment de son adoption, la LPM différait des documents similaires antérieurs sur un certain nombre de détails en indiquant que l’intention des dirigeants de la République française de renforcer les forces armées ne se présentait pas aujourd’hui. C’est notamment en 2018 qu’une augmentation conséquente des dépenses militaires de 34,2 à 50 milliards d’euros (par paliers de 1,5 milliard d’euros d’abord, puis de 3 milliards d’euros annuels) a été prévue, ce qui permettrait à terme de respecter la norme Otan à 2% du PIB pour la défense. Pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, le secteur de la défense a prévu de créer 6 000 emplois après plus d’un quart de siècle de réduction de l’effort de dépense et du format des armées.
Il est promis que l’accent sera mis sur les aspects sociaux de l’armée de métier par l’ augmentation des indemnités pécuniaires, de l’amélioration des conditions de vie et de l’aide à l’organisation des familles des soldats et des officiers. La PLM devait poursuivre la modernisation de l’armée dans tous les sens, notamment en livrant de nouveaux véhicules blindés (nouveaux véhicules Griffon, Jaguar et Serval dans le cadre du programme Scorpion qui vise à renouveler et moderniser les capacités de combat «Au contact» de l’armée de Terre autour de nouvelles plateformes et d’un système d’information du combat unique, sans oublier les avions de chasse (Rafale en version F4) et de navires (FREMM, frégates FDI et sous-marins nucléaires Barracuda), ainsi que la rénovation de l’arsenal nucléaire.
Il était prévu d’accorder une attention particulière aux domaines qui touchent l’espace et la cybersécurité. Cela signifie le déploiement de structures d’état-major spécialisées, la création de secteurs innovants, le lancement de nouveaux dispositifs satellitaires, tout comme la dissuasion stratégique à l’opérationnel pour l’intervention tactique à l’étranger.
Après l’expiration de la première moitié du mandat de la LPM, il convient de noter que, d’une manière générale, le gouvernement a, jusqu’à présent, réussi à atteindre les objectifs fixés malgré la situation économique défavorable. Ainsi, dans le rapport de la Chambre des comptes de mai 2022, il était souligné que l’augmentation des dépenses de défense avait été soutenue avec succès. Le ministère des Armées a fait état de divers succès, citant le lancement de la production en série de Griffon (de 0 véhicule en 2018 à 339 d’ici fin 2021 pour atteindre 1872 véhicules blindés Griffon d’ici 2033), les frégates FDI étant en avance sur le calendrier (3 au lieu de 2), sans oublier de citer une augmentation des fonds alloués à l’Agence de l’innovation de défense (de 725 millions d’euros à 1 milliard d’euros par an). Fin 2020, le ministère des Armées a déclaré employer 269 000 personnes, dont 63 000 agents civils ce qui est déjà proche de l’objectif intermédiaire de 272 000 fixé par la loi d’ici 2023.
Selon Emmanuel Macron, la mise en œuvre cohérente de la LPM a permis à la France de «combler les lacunes en matériel, en munitions, en capacités opérationnelles, à relancer le dialogue entre l’Etat et l’industrie d’armement», contrairement aux politiques chroniques de sous-financement de la défense menées par les gouvernements précédents. Le président français a indiqué avoir demandé au ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, et au chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, de pouvoir mener dans les semaines qui viennent, une réévaluation à l’aune du nouveau contexte géopolitique, de cette loi de programmation.
Des points négatifs. Des experts de l’IFRI, ont signalé un problème aigu concernant des stocks importants de pièces de rechange et de munitions dans l’armée française: «Nous n’avons pas la quantité qui nous permettrait de soutenir un conflit de longue durée». Un groupe de sénateurs français a indiqué que les forces aérospatiales disposeront de moins de chasseurs Rafale que prévu et que cela entraîne une «remise en question de l’objectif capacitaire fixé à 129 Rafale pour l’armée de l’air et de l’espace en fin de LPM», en raison du transfert d’un certain nombre d’avions déjà en service au profit de la Croatie et de la Grèce.
A en juger par le ton de la déclaration d’Emmanuel Macron sur la transition vers une «économie de guerre», la décision d’augmenter les dépenses de la défense devrait être annoncée dans un avenir proche. Le nouveau ministre des Armées, Sébastien Lecornu et chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, ont déjà été chargés de réévaluer les principaux indicateurs de la LPM dans les semaines à venir. S’exprimant en juillet lors d’une réunion de la commission de la Défense au Sénat, Sébastien Lecornu a expliqué que lors de l’élaboration d’une nouvelle version de la loi, les spécificités du conflit ukrainien du point de vue de la science militaire seront prises en compte concernant le rôle accru de l’artillerie et de la technologie des fusées, les spécificités de l’utilisation des drones, le rôle des technologies numériques et satellitaires.
Le moment exact de la préparation de la version mise à jour de la LPM est encore inconnu (très probablement pas avant l’automne), mais les modifications nécessiteront dans tous les cas l’approbation du Parlement. Après la perte récente de la majorité absolue par le parti au pouvoir, ce sera une procédure plus difficile, puisque le contrôle de la commission des Finances a été repris par l’opposition populiste de gauche, majoritairement sur des positions pacifistes (le parti La France insoumise) . Le gouvernement devra recourir à l’aide du flanc droit où des soutiens sont susceptibles de se trouver parmi les Républicains ou encore le RN de Marine Le Pen, traditionnellement favorable au renforcement des forces armées.
Philippe Rosenthal-Observateur Continental