En République démocratique du Congo, l’unité nationale est le mot d’ordre des 62 ans de l’Indépendance célébrés ce 30 juin dans le pays. Alors qu’une longue séquence d’examen de son passé colonial avec la Belgique a ponctué tout ce mois de juin, le Congo est en quête d’unité face à l’aggravation de l’insécurité dans l’Est de son territoire.
Assumer l’héritage de Lumumba
Sur les réseaux sociaux, c’est la mémoire de Patrice Lumumba qui est convoquée alors que l’insécurité fait rage dans la province du Nord-Kivu. Dans ce territoire de l’Est, en plus de l’activité de l’ADF (1) (ou État Islamique en Afrique Centrale), la RDC doit faire face depuis deux mois à la résurgence d’une ancienne rébellion accusée par le gouvernement congolais de bénéficier du soutien de son voisin rwandais : le M23 (2). Face à l’agression, les activistes de la Lucha (Lutte pour le Changement) multiplient les références à Patrice Lumumba, héros de l’Indépendance congolaise. « Le Congo est grand et exige de nous la grandeur », poste ainsi le compte du mouvement sur Twitter, ciblant l’absence d’interventionnisme du Président Tshisekedi dans le conflit.
Tué en 1961 dans la province du Katanga par des mercenaires belges, le corps de Patrice Lumumba n’a jamais été retrouvé. Seul reste de l’ancien Premier ministre du Congo fraîchement indépendant, une dent, arrachée par l’un de ses bourreaux, a été restituée la semaine dernière par le gouvernement belge. Après un passage par Kisangani et avant d’arriver à Kinshasa, cette « relique » du héros national était ce 27 juin au village de Shilatembo, sur les lieux mêmes de l’assassinat de Lumumba, où un hommage lui a été rendu en présence de sa famille ainsi que du Premier ministre Sama Lukonde. Lors de sa prise de parole, François Lumumba, fils de la figure historique congolaise, a lancé un appel en souhaitant que le rapatriement des restes de son père soit un outil de consolidation de l’unité nationale. « Avec les évènements de l’est du pays, nous constatons que le pays peut se retrouver à tout moment dans une situation extrêmement grave. C’est pour cela que l’unité nationale est importante. Sans l’unité nationale, on ne peut pas aller plus loin. Ce qui demande, non seulement de la volonté, mais aussi du courage pour réaliser le rêve de Patrice Emery Lumumba », a-t-il ainsi déclaré. « Dans sa dernière lettre envoyée à notre maman, il parle de Pauline, du Congo, et quand il parle des enfants, il parlait de tous les Congolais. D’où c’est le devoir de nous tous d’être ensemble pour aller en avant, surtout ce dernier temps où nous avons constaté la balkanisation du Congo qui commence à prendre une certaine forme. Nous devons être vigilants pour casser ces ambitions car les ennemis du Congo sont dans l’autre frontière ».
Belgique : Le rendez-vous manqué avec l’Histoire
Ces hommages qui se sont succédé suite au retour au pays de la dent de Patrice Lumumba sont donc intervenus après la première visite du Roi Philippe de Belgique en République démocratique du Congo. En séjour dans le pays du 7 au 12 juin, le roi de l’ancienne puissance coloniale avait l’occasion de tourner la sinistre page du passé belge dans le pays. Alors que de nombreux Congolais attendaient une reconnaissance claire des crimes commis par le roi Léopold II au Congo entre 1885 et 1905 (3), son descendant s’est contenté de réitérer ses « regrets » pour les « blessures » de la colonisation. Autre dossier qui aurait donné une symbolique plus éclatante à cette fête de l’Indépendance du Congo, celui des réparations coloniales. Sur cette question, de nombreux Congolais ont fustigé l’attitude de la Belgique, accusée de perpétrer une domination néocoloniale.
« Pour nous Congolais, nous continuons à exiger des excuses et des réparations. Bien sûr, celles-ci ne remplaceront jamais nos morts et nos martyrs de l’indépendance. Mais on aurait aimé voir un roi Philippe beaucoup plus sincère. Surtout qu’il a lui-même reconnu les crimes coloniaux belges au Congo », déplorait ainsi le bloggeur Nsenga Kola (4). « Trop de sang congolais avait coulé pendant la colonisation. Des corvées inimaginables, des tortures, des animalisations, des atrocités, mais aussi des pillages de ressources naturelles et d’œuvres d’art. Bref, des crimes contre l’humanité pour lesquels de simples regrets ne suffisent pas ».
C’est ce rendez-vous manqué avec l’Histoire de la colonisation belge au Congo, accentué par la persistance de l’insécurité dans le Nord-Kivu, qui verront probablement les discours officiels se rabattre sur la mémoire de Patrice Emery Lumumba pour prôner l’unité nationale en cette 62ème fête de l’Indépendance du Congo. La résurgence du M23, sûrement du fait du lien systématique établi entre le groupe armé et le Rwanda, a remobilisé l’ensemble d’un pays jusque-là rythmé par les attaques de l’ADF en territoire de Beni.
Félix Tshisekedi convoquera immanquablement le combat de Lumumba pour se réapproprier une situation sécuritaire qui lui coûte aujourd’hui de nombreuses critiques dans le pays. Rassembler, mobiliser, tout en fixant un cap clair à sa population, mais aussi à ses forces armées, lui permettraient d’acquérir enfin la stature de sa fonction à un moment critique de son quinquennat.
(1) L’Allied Democratic Forces est un groupe islamiste d’origine ougandaise actif en territoire de Beni (Est de la RDC) depuis les années 2000.
(2) Le M23 ou « Mouvement du 23 mars » est une ancienne rébellion congolaise, vaincue en 2013 par l’armée congolaise et les forces de l’ONU.
(3) Période de l’Etat Indépendant du Congo : Le roi Léopold II fit alors du Congo sa propriété personnelle avant de la céder à la couronne de Belgique en 1908 ; le pays devint alors le Congo-Belge jusqu’en 1960.
(4) https://blogging.africa/fr/diplomatie/crimes-coloniaux-belges-au-congo-le-roi-philippe-refuse-de-parler-de-reparations/
Source: Andalou Agency