Burkina Faso: le procès Sankara suspendu après une requête auprès du Conseil constitutionnel

Au procès Sankara, l’heure aurait dû ce jeudi être aux plaidoiries de la défense, mais un avocat de la défense a révélé à la cour avoir déposé une requête auprès du Conseil constitutionnel. Le juge a suspendu les audiences jusqu’au jugement du Conseil constitutionnel.

Dans cette requête auprès du Conseil constitutionnel, l’avocat de la défense a invoqué une « exception de constitutionnalité » en ce qui concerne les charges qui pèsent sur son client, à savoir une atteinte à la sûreté de l’État. Deux autres confrères lui ont immédiatement emboîté le pas et l’audience a été suspendue. Cette requête est donc une surprise pour tout le monde, à commencer par le juge Méda qui n’en était pas informé.

Les avocats de la défense estiment que les événements politiques récents ont modifié la donne du procès. En février, le Conseil constitutionnel a reconnu le lieutenant-colonel Damiba comme président du Burkina Faso, un homme arrivé au pouvoir par la force, ce qui deviendrait donc un mode légal d’accession à la présidence. Ainsi, le coup d’État ne constituerait plus une atteinte à la sûreté de l’État.

Pour Maître Victoria Nébié, il était évident que cette question se pose dans le cadre du procès de l’assassinat de Thomas Sankara. « Quand on connaît l’histoire du Burkina Faso, je ne sais pas combien de présidents ont pu finir leur mandat normalement. Donc cette question soulève beaucoup d’interrogations pour la beauté du droit et puis surtout pour l’histoire de notre pays, estime-t-il. Parce que si prendre le pouvoir de force devient un mode d’accès au pouvoir qui est consacré par le Conseil constitutionnel, ça change beaucoup la donne. »

Une requête qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour le droit burkinabé

Ce retournement a de lourdes conséquences, d’abord sur le procès qui subit un nouveau délai alors qu’il a commencé en octobre. Ensuite, si le Conseil constitutionnel venait à donner raison à la défense, c’est toute une partie de la procédure qu’il faudrait reprendre, notamment les plaidoiries des parties civiles.

Mais les conséquences seraient surtout très lourdes pour le droit burkinabè. Donner raison à cette requête reviendrait à légaliser le coup d’État. « La conséquence, elle est désastreuse pour l’État de droit naturellement, prévient ainsi Maître Prosper Farama, avocat des parties civiles. Ça voudrait dire que pour ce procès, tous ceux qui sont poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’État dans le cadre de l’assassinat du président Sankara ne pourraient pas être condamnés parce qu’ils auraient agi de façon légale. Ils auraient organisé un putsch pour accéder au pouvoir, ce qui serait selon le Conseil constitutionnel un mode d’accès au pouvoir, et non plus une infraction. »

Sur ce point au moins, tous les avocats ce jeudi matin étaient d’accord : compte tenu de l’histoire du Burkina, il est impératif que le Conseil constitutionnel clarifie cette question. Il doit se prononcer dans un délai d’un mois.

rfi