La France se retire militairement du Mali après neuf ans d’engagement, l’UE s’interroge

Poussés dehors par la junte malienne, la France et ses partenaires européens ont officialisé jeudi leur retrait militaire du Mali après neuf ans de lutte antijihadiste menée par Paris, conduisant les autres acteurs étrangers présents dans le pays à s’interroger ouvertement sur leur engagement.

Paris et ses partenaires souhaitent toutefois « rester engagés dans la région » sahélienne et « étendre leur soutien aux pays voisins du Golfe de Guinée et d’Afrique de l’Ouest », où les jihadistes menacent de se disséminer, selon une déclaration conjointe signée par 25 pays européens, africains et le Canada.

« En raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes » issues de deux coups d’Etats successifs, la France et les Etats européens membres du groupement de forces spéciales Takuba « ont décidé d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires », soulignent-ils.

« Nous ne pouvons pas rester engagés militairement aux côtés d’autorités de fait dont nous ne partageons ni la stratégie ni les objectifs cachés », et qui ont recours à « des mercenaires de la société (russe) Wagner » aux « ambitions prédatrices », a estimé le président français Emmanuel Macron en conférence de presse. Bamako continue pour sa part de nier la présence de ces paramilitaires au Mali.

L’Union européenne, qui mène deux missions de formation sur place dont l’EUTM, va vérifier si les conditions sont remplies pour la poursuite de ses opérations, a réagi le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell.

Le retrait des forces françaises du Mali aura un « impact » pour la mission de l’ONU dans ce pays, la Minusma, qui fera le nécessaire pour « s’adapter », a affirmé son porte-parole Olivier Salgado.

La Minusma est l’une des missions de paix les plus importantes de l’ONU dans le monde et la plus meurtrière pour ses Casques bleus (154 morts dans des actes hostiles).

La ministre allemande de la défense Christine Lambrecht s’est dite « sceptique » quant à la prolongation de la mission des soldats allemands engagés dans les missions de l’UE et de l’ONU.

Londres a également indiqué qu’une réflexion était ouverte sur le futur de son engagement dans la Minusma, Wagner partageant « le lit de la junte qui dirige maintenant le Mali ».

Pas question pour autant d’abandonner le Sahel et le Golfe de Guinée qui sont des « priorités de la stratégie d’expansion » des organisations jihadistes Al-Qaïda et Etat islamique (EI), a fait valoir le président français.

« La lutte contre le terrorisme au Sahel ne saurait être la seule affaire des pays africains », a commenté pour sa part le président sénégalais Macky Sall, présent à Paris. « Nous sommes heureux que l’engagement ait été renouvelé de rester dans la région et de réarticuler le dispositif », a-t-il ajouté, alors que le départ français risque de créer un vide sécuritaire au Mali.

 – Coopérations régionales renforcées –

La France est militairement présente depuis 2013 au Mali, proie des groupes jihadistes qui sévissent aussi dans d’autres Etats sahéliens.

Elle est intervenue pour enrayer la progression des groupes islamistes radicaux menaçant Bamako et a ensuite mis sur pied une vaste opération régionale, Barkhane, déployant des milliers de soldats pour lutter contre les franchises locales d’Al-Qaïda et de l’EI.

Mais malgré des victoires tactiques, le terrain n’a jamais été véritablement repris par l’Etat malien. Et un double coup d’Etat, en 2020 et en 2021, a consacré une junte qui refuse de rendre le pouvoir aux civils et attise un sentiment antifrançais croissant dans la région.

Le chef de l’Etat français, pressenti pour briguer un second mandat présidentiel en avril, a toutefois « récusé » l’idée d’un échec français.

« Que se serait-il passé en 2013 si la France n’avait pas fait le choix d’intervenir? Vous auriez à coup sûr un effondrement de l’Etat malien », a-t-il assuré, saluant les « nombreux succès » de l’armée dont l’élimination de grands chefs jihadistes.

Quelque 25.000 hommes sont actuellement déployés au Sahel, dont environ 4.300 Français (2.400 au Mali dans le cadre de Barkhane), selon l’Elysée. Le pays accueille aussi 15.000 soldats de l’ONU dans la Minusma.

Concrètement, la fermeture des dernières bases françaises au Mali (Gao, Ménaka et Gossi), qui va demander un effort logistique titanesque, prendra de « 4 à 6 mois », a détaillé Emmanuel Macron, beaucoup plus selon des sources militaires à l’AFP.

Le Mali était au cœur du dispositif antiterroriste français et européen au Sahel. Emmanuel Macron avait déjà décidé d’amorcer à l’été 2021 une réduction des effectifs français au profit d’un dispositif régional moins visible, mais ce départ contraint du pays force Paris à accélérer cette réorganisation.

Des militaires européens participant au groupement Takuba « seront repositionnés aux côtés des forces armées nigériennes », a précisé le président français. Le Niger héberge déjà une base aérienne et 800 militaires français.

En fin de journée, la junte malienne a offert aux pays engagés dans Takuba de coopérer dans un cadre bilatéral à la sécurité du pays. « Tous les partenaires qui veulent travailler avec le Mali pour la sécurisation de son territoire (…) sont les bienvenus », a assuré le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop dans un communiqué.

Au terme de ce retrait du Mali, la France comptera « de 2.500 à 3.000 hommes » au Sahel, selon le porte-parole de l’état-major, le colonel Pascal Ianni, répartis entre le Tchad, le Niger, le Burkina Faso (forces spéciales), et s’appuiera sur ses forces prépositionnées (Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon) pour proposer un appui aux pays de la région.

« Nous définirons dans les semaines et mois qui viennent l’appui que nous apporterons à chacun des pays de la région sur la base des besoins qu’ils auront exprimés », a conclu M. Macron. Depuis 2013, 53 soldats français ont été tués au Sahel, dont 48 au Mali.

Afp