Les sanctions de la Cédéao constituent « une impasse pour le Mali comme pour ses voisins »

Depuis le 9 janvier, le Mali est soumis à un embargo économique qui limite les échanges commerciaux avec ses partenaires de la Cédéao aux seuls biens de première nécessité. Une situation qui affecte lourdement l’économie du pays, mais également celle de ses plus proches partenaires.

 

Engagée dans un bras de fer avec la junte malienne depuis son accession au pouvoir lors du coup d’État d’août 2020, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a franchi, le 9 janvier, une nouvelle étape.

Reprochant aux autorités de transition de ne pas avoir tenu leurs engagements quant à l’organisation d’élections, la Cédéao a décrété la fermeture des frontières du Mali avec ses États membres ainsi qu’un embargo économique et financier.

La Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a également suspendu ses aides financières au Mali et gelé ses avoirs, réduisant drastiquement les capacités d’investissement de l’État.

Pour mieux comprendre les implications de ces sanctions pour le Mali et pour la sous-région, France 24 s’est entretenu avec Thierno Thioune, économiste et enseignant à l’UCAD, l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.
France 24 : ces sanctions sont les plus lourdes imposées par la Cédéao contre la junte depuis l’accession des militaires au pouvoir. Quels effets concrets ont-elles aujourd’hui au Mali ?

Thierno Thioune : le Mali est un pays immense, enclavé, sans frontière maritime, qui dépend en grande partie des importations. Celles-ci transitent par ses cinq frontières et notamment par les deux grands ports de la région que sont Dakar et Abidjan.

L’application immédiate de ces sanctions, dès le 9 janvier, a eu un fort impact dans le domaine des transports car de nombreuses commandes en cours d’acheminement se sont retrouvées bloquées. Plusieurs centaines de camions circulent quotidiennement sur l’axe Dakar-Bamako, l’une des principales routes d’approvisionnement du Mali.

Si les biens de première nécessité tels que la nourriture, le carburant ou les médicaments, qui représentent près de la moitié des importations, sont toujours autorisés à circuler, de nombreux produits essentiels à l’économie malienne, comme le ciment et le fer, les voitures d’occasion importées depuis l’Europe par les ports, le matériel informatique ou bien les équipements de transport sont eux totalement bloqués.

On observe déjà une ruée sur certains biens qui pourrait conduire à une forte inflation si la situation perdure. Le gel des avoirs de l’État ainsi que des financements de la banque centrale vers le Mali risque, par ailleurs, d’entraîner une pénurie de liquidités et une situation de défaut de paiement.

Quels partenaires commerciaux sont les plus concernés par ces sanctions ? D’autres acteurs régionaux peuvent-ils compenser ces pertes économiques pour le Mali ?

Les deux partenaires du Mali qui souffrent le plus de ces sanctions sont le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Plus de 20 % des importations maliennes proviennent du Sénégal et 80 % de son fret passe par Dakar. C’est son premier fournisseur international, devant la Chine, puis la Côte d’Ivoire (environ 10 %).

L’embargo, pourtant soutenu par ces deux pays, représente une perte importante pour leurs économies, d’autant plus qu’il les prive également des exportations maliennes, notamment de coton, d’or ou de bétail, qui, contrairement à la viande, n’est pas considéré comme une denrée de première nécessité.

Du côté du Mali, l’effet de l’embargo est difficilement contournable. Trois pays frontaliers ont maintenu leurs frontières ouvertes, la Mauritanie, l’Algérie et la Guinée.

Le premier souhaite intégrer la Cédéao et, à ce titre, peut difficilement se permettre d’afficher un soutien trop appuyé au gouvernement malien. Par ailleurs, le développement de voies commerciales au nord est impossible car cette zone échappe au contrôle de l’État.

Enfin, la Guinée, elle aussi dirigée par des militaires et soumise à des sanctions de la Cédéao, veut jouer la carte de la solidarité, mais n’en a pas réellement les moyens. Ses capacités portuaires limitées ne peuvent se substituer aux ports de Dakar et d’Abidjan, bien plus importants et compétitifs.
Le gouvernement juge ces mesures illégales et affirme avoir engagé des mesures judiciaires devant les institutions habilitées sous-régionales, africaines et internationales. Peuvent-elles aboutir ?

Il n’est pas surprenant que les autorités maliennes, farouchement opposées à ces mesures, portent plainte. Ces dernières considèrent avoir fait une offre raisonnable auprès de la Cédéao, qui juge, quant à elle, le délai de transition maximum de cinq ans totalement inacceptable.

Un certain nombre de recours sont possibles et il est parfaitement compréhensible que le Mali, acculé par les sanctions, en fasse usage. Pour autant, si ce levier peut servir d’outil dans le cadre du bras de fer diplomatique qui l’oppose à la Cédéao, il est peu probable qu’il aboutisse à un résultat concret.

Une plainte déposée auprès de la Cour de justice de la Cédéao n’aurait qu’une portée symbolique, le Mali étant déjà exclu des instances de l’organisation africaine. L’Union africaine, dont le président sénégalais, Macky Sall, doit assumer la présidence en 2022, pourrait se montrer plus réceptive.

Mais c’est avant tout le dialogue qui peut permettre de sortir de cette situation. Car ces sanctions constituent une impasse pour le Mali comme pour ses voisins. Ils n’ont aucun intérêt à ce que cette situation perdure : le Mali et ses partenaires doivent tout mettre en œuvre pour trouver une issue rapide à cette crise.

 Source : France24