Mali: «La Cédéao a voulu frapper très fort», indique Paul-Simon Handy

Le Mali sous sanctions… La Cédéao a donc mis en marche la manière forte pour contraindre la junte au pouvoir à Bamako, pour réduire notamment au maximum la durée de la transition. Blocus géographique avec la fermeture des frontières des pays de la Cédéao, blocus financier avec la mise sous tutelle du pays au niveau de la Banque centrale, la BCEAO. Analyse de ces sanctions, du rôle de la Cédéao pour poursuivre les négociations avec les autorités de transition, avec notre invité aujourd’hui : Paul-Simon Handy, conseiller régional principal à l’Institut d’études et de sécurité de Dakar. Il répond aux questions de Guillaume Thibault.

 

Paul-Simon Handy : La Cédéao a voulu frapper très fort. La sévérité était certainement attendue, je pense que les autorités maliennes ne sont pas surprises. Il était clair que les chefs d’État avaient été très irrités par la démarche, notamment le nouveau chronogramme de la transition. Cette irritation a conduit à des sanctions très lourdes comme le reflète le communiqué final de la réunion des chefs d’État.

Concrètement, quelles sont ces sanctions ?

Il faut dire que le Mali est déjà sous sanctions. Là, ce que les chefs d’État de l’Afrique de l’Ouest ont fait, c’est qu’ils ont décidé de monter d’un cran. Et notamment les sanctions les plus graves, je pense, ce sont les sanctions économiques, notamment la fermeture des frontières des pays de la Cédéao, voisins du Mali et des sanctions financières. On a vu que le sommet de la Cédéao était précédé d’un sommet de l’UEMOA [Union économique et monétaire ouest-africaine] qui elle a pris la décision de sanctionner très sévèrement financièrement le Mali.

Ce gel des avoirs du Mali au niveau de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), concrètement, quel impact a cette décision économique ?

C’est une décision économique très forte dans ses effets, mais aussi au niveau du symbole. Payer les salaires des fonctionnaires va devenir extrêmement difficile pour le gouvernement de transition. Toutes les transactions économiques vont être difficiles, mais même décaisser les avoirs du pays dans les pays de la Cédéao va devenir pratiquement impossible. Donc, c’est la marge de manœuvre financière de tout le gouvernement qui va être réduite, sinon anéantie, réduisant ainsi la capacité du gouvernement de transition en fait à gouverner.

Quel est le but du jeu justement d’après vous ? Faire partir les putschistes ?

Très certainement. Je pense que les chefs d’État veulent aboutir à une fin très rapide de la transition de manière à ne pas créer d’exemple afin de ne pas donner d’idée à d’autres candidats. Si les militaires ont un programme de gouvernement, on pourrait leur suggérer de se présenter aux élections. D’où justement la volonté de la Cédéao de leur barrer la voie.

Le Mali est déjà en crise. La Cédéao ne condamne-t-elle pas encore un peu plus le pays ?

La Cédéao certes condamne le pays, car au-delà de la dureté des sanctions, il faudrait quand même garder les institutions maliennes en vie. Il ne faudrait pas contribuer à enfoncer un peu plus le Mali, ce qui serait un échec de la Cédéao. D’ailleurs, on peut se demander si cette multiplication des sanctions ne constitue pas non plus un échec. L’utilisation de la sanction est toujours révélatrice de l’échec de la capacité de l’organisation à maintenir une norme, une norme commune. C’est toujours le signe d’un dysfonctionnement.

Qui doit aujourd’hui faire le premier pas ? Est-ce que cette crise entre la Cédéao et les autorités de transition malienne peut se résoudre assez rapidement ?

Je pense qu’elle peut se résoudre assez rapidement et la Cédéao devrait à mon avis faire le premier pas. Pour le moment, la Cédéao s’est plutôt comportée en Père fouettard. La Cédéao devrait maintenant user de la carotte, faire le premier pas vers les autorités maliennes, présenter clairement aussi aux autorités maliennes en quoi elle peut être utile pour sortir de ce bras de fer, tenir par la main le gouvernement de transition et l’aider à mieux organiser sa sortie par des élections.

Est-ce qu’aujourd’hui, le colonel Assimi Goïta, président de la transition malien, peut faire « sans la Cédéao », notamment au niveau de cet isolement géographique et économique ? Est-ce qu’il a une possibilité pour diriger le Mali différemment ?

Je ne pense pas qu’il soit utile au gouvernement de transition, pour Assimi Goïa, de vouloir contourner la Cédéao. Ce serait suicidaire, ce serait dangereux autant pour la junte que pour la population malienne qui se verrait souffrir pendant une longue période des effets des sanctions économiques et financières de la Cédéao.