La femme africaine et l’eau, la lutte continue

En prélude du lancement de rapport Les femmes et les luttes pour la justice de l’eau, une conversation virtuelle en direct sur Twitter a été réalisée le 26 octobre 2021 avec les activistes féministes francophones. Les principales intervenantes étaient Agueh Dossi Sekonnou Gloria du Bénin et Maimouna Astou Yade du Sénégal. La conversation fut modérée par Melizah Memena de l’Urgent Actionf Fund-Africa

En Afrique francophone comme dans d’autres régions du continent, l’accès à l’eau et la gestion des points d’eau sont au cœur d’importants enjeux et constituent des sources de conflits et même de stigmatisation des groupes marginalisés et minoritaires. 

La version française du rapport sera disponible en mars 2022.

Une difficulté d’accès aux ressources, les féministes en parlent

Maimouna Yade a notamment souligné la rareté de l’eau dans la capitale du Sénégal. Les coupures d’eau récurrentes font partie du quotidien des dakarois. La société de la gestion de l’eau ne notifie pas forcement de l’incidence de celles-ci au préalable, ce qui peut entrainer des tensions au sein de la population. L’activiste sénégalaise a aussi mentionné que même dans les régions où les ressources en eau sont abondantes, l’accès n’est pas toujours résolu. Elle a également évoqué la difficulté des femmes à avoir accès à l’eau, ne serait-ce que pour les besoins d’hygiène. Aussi par exemple, les femmes agricultrices voient leur accès à l’eau contraint et restreint et ce, malgré la lutte qu’elles mènent. Face à ces incessantes coupures d’eau leurs droits fondamentaux continuent d’être bafoués., « L’intégration du genre dans la politique nationale de l’eau n’est pas effective au Sénégal », a conclu Maimouna Astou Yade.

Gloria Agueh quant à elle a exprimé sa satisfaction de la gestion de l‘eau au Bénin. Selon cette fondatrice de réseau régionale des Femmes Leaders pour le Développement (RFLD), le peuple béninois jouit d’un accès suffisant à l’eau. Elle a indiqué que l’accès à l’eau est organisé afin que chaque ménage puisse décider de sa source d’eau, qu’il s’agisse de la Société Béninoise de l’Eau, ou de la fondation d’un forage privé. Malgré cette disponibilité de l’eau, Gloria Agueh a rappelé que certaines femmes continuent à ne pas avoir accès à l’eau puisque le prix de l’eau est malgré tout loin d’être abordable comparé au niveau de vie des populations locales. Les femmes vendeuses au marché et/ou dans les poissonneries, insiste-t-elle, ne jouissent pas de l’eau comme il se doit. 

La discussion s’est poursuivie d’une manière à ce que toutes les intervenantes puissent mettre en avant la lutte des femmes pour un accès équitable à l’eau. Le public a également contribué à la discussion pour rendre compte les difficultés d’accès à l’eau potable pour les femmes dans un grand nombre de pays. Selon eux, le manque d’initiative au niveau gouvernemental et au niveau de la société civile contribue également à ces difficultés d’accès à l’eau. En particulier, l’absence ou la faiblesse des cadres juridiques destinés à faciliter l’accès, la pollution, le manque d’installations et la faiblesse de la gouvernance sont autant de freins à un accès équitable à l’eau. Par ailleurs, il est à rappeler que la collecte d’eau, majoritairement réalisée par les femmes et les filles, affecte quotidiennement la vie de millions de femmes dans le monde (les filles et les femmes consacrent en moyenne 3 à 4 heures par jour en Afrique pour la collecte de l’eau). Ceci est un autre exemple très courant d’inégalité femmes/hommes. Selon l’UNICEF, cela participe également au processus de féminisation de la pauvreté puisque 70 % des personnes vivant dans une situation de pauvreté sont des femmes.

Les femmes africaines marginalisées en payent plus le prix le plus fort

En Afrique Subsaharienne, les taux de desserte en eau demeurent faibles. Plus de 40 % de la population n’a pas accès à l’eau potable. En effet, disposer suffisamment de l’eau ne suffit pas pour alimenter les populations en eau. La maitrise et le contrôle de cette ressource sont des facteurs tout aussi importants. L’eau est continuellement au cœur des plus grandes crises de l’humanité telles que la crise climatique, de la crise de la faim et  la crise des conflits armés. L’objectif général du rapport de l’Urgent Action Fund Africa est de mener une campagne d’un an pour la justice de l’eau à l’endroit des femmes africaines. Le rapport souligne la divergence d’opinion sur les causes profondes des problèmes d’eau et sur la manière de les traiter. La vision néolibérale dominante, d’un côté, promue par les économistes traditionnels, les institutions financières internationales telles que la Banque mondiale, les institutions intergouvernementales comme les Nations unies et les organismes donateurs internationaux tels que l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Ceux-ci considèrent la crise de l’eau comme un problème technique causé par l’accélération démographique, le changement climatique et l’incapacité des décideurs nationaux à gérer et à distribuer l’eau efficacement. Les solutions proposées par ces néolibéraux consistent à léguer le contrôle et le gestion de l’eau aux entreprises multinationales. A travers ce concept néolibéral, la commercialisation de l’eau est devenue monnaie courante : l’eau a une valeur économique et doit être reconnue comme un bien économique. Ainsi, les femmes africaines issues des communautés marginalisées les plus pauvres, restent les premières victimes de cette politique néolibérale : l’accès à l’eau devient un luxe au regard des revenus des ménages et de la légitimité des coupures pour ceux qui ne peuvent honorer leurs factures. 

D’un autre côté, une vision radicale et alternative au modèle néolibéral a été développée par des féministes et des organisations écoféministes comme le Collectif écoféministe africain, des mouvements panafricains comme Africans Rising, des mouvements sociaux comme le Forum anti-privatisation et l’Assemblée des femmes rurales, des universitaires progressistes et des organisations non gouvernementales, dont WoMin et Earth Life. Ces organisations réclament des systèmes de gestion commune de l’eau qui rend effective la garantie d’un droit à l’eau potable pour tous. Ces radicaux rejettent donc l’idée de la privatisation de l’eau et de son contrôle par des sociétés multinationales dont l’objectif premier est de générer des profits. Dans son analyse Approche féministe de la justice de l’eau en Afrique , Ndana Bofu-Tawamba démontre que la privatisation de l’eau n’est pas seulement un business très lucratif mais il remet également en cause le sixième Objectif de Développement Durable des Nations unies, qui exige des États qu’ils fournissent aux populations, d’ici 2030, un accès à une eau potable, sûr et abordable, ainsi qu’à des services d’assainissement et d’hygiène adéquats.  

La COVID-19 confirme l’injustice que subissent les femmes en matière de gestion de l’eau

Selon une étude menée par WaterAid, la pandémie COVID-19 a exacerbé les obstacles spécifiques au genre à l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène qui créent des défis uniques en matière de gestion de l’hygiène menstruelle pour les femmes et les filles au quotidien. Parallèlement à cela, les taches relatives à la collecte de l’eau exposent les femmes et les filles à des risques d’agressions sexuelles. C’est pour cette raison que la problématique de l’accès à l’eau et à l’assainissement est, pour de nombreuses femmes, synonyme de violences physiques et morales. 

Le rapport de l’Urgent Action Fund-Africa fait également un tour d’horizon sur la gestion de l’eau potable et de son accès durant la COVID-19. La COVID-19 a démontré l’étendue des violences faites aux femmes dues à l’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène. Les femmes n’ont pas accès à l’eau potable convenablement. La pandémie de COVID-19, qui est d’ailleurs toujours en cours, affaibli la production agricole dont une bonne partie est dirigée par des femmes. Celle a et aura un impact négatif sur la sécurité alimentaire et la nutrition. De plus, le manque d’installations d’eau et d’assainissement adéquates conduisent souvent les femmes et filles à éviter une forme de vie publique et collective. Ces lacunes matérielles en matière d’hygiène dans les institutions publiques les empêchent parfois d’aller au travail ou à l’école – en particulier en période de menstruation. Le manque d’infrastructures sanitaires de base est une des causes principales de l’abandon scolaire de nombreuses jeunes filles. 

Le rapport Les femmes et les luttes pour la justice de l’eau met en avant les approches féministes et alternatives du contrôle et de la gestion de l’eau, qui se concentrent sur les besoins des plus marginalisés de la société – les femmes africaines des communautés pauvres. Ce rapport souligne l’urgence de la lutte des femmes pour l’eau et met en évidence le fait que l’eau est une question transversale qui touche à la production alimentaire, à la santé, au logement, à l’assainissement et au changement climatique. Le rapport met l’accent sur l’importance de renforcer les mouvements sociaux et de connecter les luttes aux niveaux local, régional et international. Force est de constater qu’il convient de renoncer à la privatisation de l’eau et son contrôle, et de maintenir l’eau potable dans le domaine des biens publics ou bien commun afin de garantir aux femmes issues de toutes communautés un accès à une eau potable, sûr et abordable tel que stipule les ODD 2030. En l’absence d’engagements fermes des décideurs africains dans ce sens, il appartiendra aux sociétés civiles de se mobiliser pour réclamer leur droit à une eau potable abordable.

Melizah Memena, Urgent Action Fund-Africa (UAF-Africa)