Est de la RDC : « L’approche militaire risque de renforcer les groupes armés plutôt que de les détruire »

Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), l’Ituri vit au rythme des massacres, des viols, des enlèvements et des pillages. Dans cette province dont les sous-sols regorgent d’or, sévissent milices, groupes armés et forces de sécurité congolaises.

Dernière illustration de ces violences quasi quotidiennes : vingt-deux civils ont été tués dimanche 28 novembre dans une attaque contre un camp de déplacés, moins d’une semaine après une attaque similaire ayant fait vingt-neuf morts sur un site voisin. Les assaillants, selon la Croix-Rouge, seraient des miliciens du groupe Coopérative pour le développement du Congo (Codeco).

Piégés dans ces conflits sans fin, les civils peinent désormais à accéder aux soins, les humanitaires étant également pris pour cible, à l’image de l’ONG Médecins sans frontières (MSF) dont un convoi a été attaqué le 28 octobre. Pourtant, la province de l’Ituri comme le Nord-Kivu voisin, également en conflit, sont depuis six mois placés sous le régime exceptionnel de l’état de siège et sous l’autorité d’un gouverneur militaire.

Pourquoi ce conflit, qui a fait plus de 1 000 morts et un demi-million de déplacés en quatre ans, perdure-t-il ? Comment expliquer la faiblesse de l’armée congolaise ? Pierre Boisselet, coordinateur du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST), un organisme qui cartographie les violences perpétrées dans les Nord et Sud-Kivu et en Ituri, revient sur les racines du conflit et sur les raisons de sa persistance.

Dans la mosaïque des groupes armés qui pullulent dans l’est de la RDC, la Codeco est devenue l’une des milices les plus meurtrières de la région. Comment s’est-elle constituée ?
Pierre Boisselet La Codeco demeure mystérieuse et opaque. Son nom fait référence à la Coopérative pour le développement du Congo qui réunissait jadis un ensemble de coopératives agricoles en Ituri. Sa création remonte à 2017, suite à l’assassinat d’un prêtre, Florent Dunji, appartenant à la communauté lendu. En réaction, des jeunes lendu ont organisé des manifestations. Peu à peu, le mouvement de contestation s’est mué en groupe armé. Aujourd’hui, la Codeco s’est scindée en plusieurs factions. Dans leur viseur, il y a la communauté hema, accusée d’être responsable de la mort du prêtre. Pourtant, cet assassinat n’a jamais été élucidé.

Les informations sont également parcellaires s’agissant du fonctionnement du groupe. On sait néanmoins, d’après des témoignages, que les miliciens partagent des rites mystiques lors de cérémonies d’initiation et consomment le dawa, une « potion magique » censée les rendre invincibles.

La Codeco prétend défendre les intérêts des Lendu, notamment contre les Hema. Quelle est l’origine de l’antagonisme entre ces deux communautés ?
Ce conflit remonte au moins à la période coloniale. Les autorités belges, alors imprégnées de théories racialistes, avaient élaboré une hiérarchie entre les différentes communautés de l’Ituri sur la base de leurs activités économiques principales.

Il y avait entre autres les Hema, éleveurs, considérés comme supérieurs, et les Lendu, agriculteurs perçus par les Belges comme des subalternes. Comme au Rwanda, cette distinction préexistait à l’arrivée des Belges mais ceux-ci l’ont instrumentalisée.

Cette vision stéréotypée n’a pas disparu à la décolonisation. Les discriminations envers les Lendu, dans l’accès aux opportunités économiques, au capital, au pouvoir local et à la terre, se sont perpétuées. Par ailleurs, ces théories racialistes influent dangereusement sur la gestion du conflit. J’ai entendu certains officiers congolais reprendre à leur compte ces stéréotypes à propos des Lendu jugés violents et barbares.

Comment les miliciens de la Codeco, que vous estimez à plus d’un millier de combattants, ont-ils bâti leur puissance armée ?
Comme d’autres groupes armés dans l’est de la RDC, les Codeco ont un accès relativement aisé aux armes. Elles proviennent souvent des stocks de l’armée régulière, qui sont mal gérés et font l’objet de trafics. Par ailleurs, la guerre au Soudan du Sud voisin, qui s’est poursuivie jusqu’en 2018, constitue une autre source d’approvisionnement possible. Aujourd’hui, les miliciens de la Codeco disposent d’armes lourdes, de mitraillettes et d’AK-47.