La conférence internationale organisée par la France le 12 novembre vise à soutenir la tenue d’élections présidentielle et législatives dans ce pays à la paix fragile.
« Rendre le processus électoral incontestable et irréversible. » Tel est l’objectif, indique-t-on à l’Elysée, de la conférence internationale sur la Libye que Paris doit accueillir, vendredi 12 novembre, à l’heure où montent les inquiétudes sur la possibilité d’organiser le double scrutin présidentiel et législatif − initialement prévu le 24 décembre − dans ce pays à la convalescence fragile. Coprésidée par la France, l’Allemagne, l’Italie, les Nations unies et la Libye, la rencontre de Paris va tenter de redonner un peu de souffle à un processus de réconciliation à la peine plus d’un an après la signature d’un cessez-le-feu entre les deux camps qui s’étaient affrontés lors de la « bataille de Tripoli » (avril 2019-juin 2020).
La mise en place en mars d’un gouvernement d’union nationale (GUN) dirigé par Abdelhamid Dbeibah, qui a su intégrer dans son équipe des représentants des deux blocs rivaux de l’Est et de l’Ouest libyens, avait semblé de bon augure. Il restait toutefois à relever deux défis afin de consolider cette normalisation balbutiante : la tenue effective du double scrutin du 24 décembre proposé par les Nations unies et auquel les différents protagonistes avaient donné leur accord de principe ; et le départ de forces étrangères – régulières ou « mercenaires » − issues de la « bataille de Tripoli » et dont le maintien hypothèque la souveraineté libyenne.
Tensions et clivages
La conférence de Paris, qui se tient simultanément dans la capitale au Forum mondial de la paix, a été précédé de préparatifs compliqués autour de la composition des délégations. Alors que le président turc Erdogan ne devrait pas faire le déplacement – à cause de la présence de la Grèce parmi les Etats invités –, le chef d’Etat algérien Abdjelmadjid Tebboune boudera également le rendez-vous en raison de la récente crise diplomatique franco-algérienne. « Les conditions ne sont pas réunies pour la participation personnelle du président Tebboune », a expliqué, mercredi, à Alger le ministre des affaires étrangères Lamtane Lamamra, qui conduira lui-même la délégation algérienne à Paris.
Le conflit bilatéral – ouvert par la saillie de M. Macron fin septembre sur la « nation algérienne » et le « système politico-militaire algérien » − semble toutefois connaître une désescalade alors que le président français a fait savoir mardi par le biais de son entourage qu’il « regrettait » les « polémiques et les malentendus » suscités par sa déclaration controversée.
Une autre difficulté dans les préparatifs de la conférence de Paris a émané de la délégation libyenne elle-même à l’heure où l’exécutif libyen – à structure bicéphale – est déchiré par des tensions entre le GUN de M. Dbeibah et le Conseil présidentiel dirigé par Mohamed Al-Menfi. Le litige le plus récent a concerné le sort de la cheffe de la diplomatie, Najla Mangoush, dont la « suspension » par le Conseil présidentiel – au motif qu’elle aurait outrepassé ses prérogatives – est contestée par M. Dbeibah lui-même. L’absence probable de Mme Mangoush à la conférence de Paris jette une ombre sur la cohésion de l’action diplomatique de la Libye au moment où la communauté internationale se mobilise pour le respect du processus électoral.
Ces tensions s’ajoutent à d’autres clivages sur la tenue de ces élections dont le calendrier demeure flou. Le premier tour du scrutin présidentiel devrait a priori se tenir le 24 décembre et le second tour le 14 février, simultanément avec les élections législatives, a annoncé samedi le chef de la commission électorale libyenne. Un report des échéances n’est toutefois pas exclu au regard du désaccord persistant entre les différents acteurs libyens face à la remise à plat des positions de pouvoir qu’implique ce double scrutin. En Cyrénaïque (est), dominé par les forces favorables au maréchal Khalifa Haftar – tenant d’un régime présidentialiste à poigne –, la tenue du scrutin présidentiel est jugée prioritaire tandis que la perspective des élections législatives, secondaire. La hiérarchie est inversée en Tripolitaine (ouest), notamment parmi les forces gravitant autour des Frères musulmans, où l’on tient en suspicion l’élection du chef de l’Etat pour lui préférer celle du Parlement.
Flou général
La difficulté est aggravée du fait que la Libye n’a toujours pas clarifié la base constitutionnelle qui présidera à la définition des pouvoirs au lendemain du double scrutin. Dans ce flou général, chacune des forces est surtout préoccupée par le maintien de ses prérogatives et la préservation de ses intérêts, ne jugeant qu’à cette aune le bien-fondé des scrutins, ainsi que leurs modalités.
La meilleure illustration en est le jeu du premier ministre M. Dbeibah, qui semble tenté de se lancer dans la course à la présidentielle mais, selon une source diplomatique européenne, incline vers un report du scrutin afin de mieux s’y préparer. « Il estime qu’il a besoin d’encore deux ou trois mois pour finir d’acheter les voix avec toutes les promesses qu’il distribue à droite et à gauche », confie cette source.
Sa candidature, si elle devait se confirmer, soulèverait de multiples difficultés car elle contredirait les règles édictées par la feuille de route des Nations unis – agrées fin 2020 par les forces libyennes – interdisant à un titulaire de fonctions institutionnelles de se présenter à des élections. De son côté, le maréchal Haftar, dont la candidature est aussi probable, avait menacé au printemps de renouer avec l’action militaire si le processus électoral – entendre le scrutin présidentiel – était entravé. En Tripolitaine, Khaled Al-Mishri, président du Haut Conseil d’Etat – une instance consultative – et lié à la mouvance islamiste vient à son tour de menacer d’une reprise des violences dans l’hypothèse d’une élection de Haftar à la tête de l’Etat.
Dès lors, l’organisation à marche forcée de ce double scrutin, sous la pression de la communauté internationale mais en l’absence d’un consensus réel entre forces libyennes, ne risque-t-elle pas de raviver le spectre de troubles en Libye, soit l’exact contraire de l’effet initialement recherché ? Un certain nombre d’analystes le redoutent. « Au lieu de prévenir l’éclatement d’un conflit, les élections pourraient le catalyser », met en garde Wolfram Lacher dans une note diffusée par le site de l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (Stiftung Wissenschaft und Politik, SWP), basé à Berlin, dont il est un chercheur.
Déraillement du processus
Le déraillement d’un processus électoral mal conçu pourrait également remettre au goût du jour le jeu des forces étrangères présentes en Libye. En dépit des appels récurrents au « départ des forces étrangères et des mercenaires » − notamment lors de la conférence internationale de Berlin en juin –, peu de progrès ont été accomplis sur le terrain. « Les forces étrangères et les mercenaires ont continué à opérer à travers la Libye sans aucun signe discernable de réduction de leurs activités », notait un rapport de la Mission des nations unies pour la Libye (Manul) daté du 25 août.
La conférence internationale de Paris devrait se pencher sur le départ de Libye des « mercenaires » africains – surtout des Soudanais et des Tchadiens –, ce qui motive la présence à Paris de délégations d’Etats sahéliens. Le dossier de la présence des combattants russes de la compagnie de sécurité Wagner dans le camp pro-Haftar – en Cyrénaïque et dans le Fezzan (sud) − ou des forces armées turques en Tripolitaine reste toutefois à ce jour intouchable.
Moscou comme Ankara, qui ont laissé les Occidentaux pousser les feux autour du double scrutin électoral à venir, pourraient se manifester à nouveau plus ostensiblement en cas de nouveaux troubles. « En l’absence d’une mission des Nation unies forte en Libye, relève un ancien employé onusien, un nouveau conflit permettrait aux Russes et aux Turcs de reprendre la main sur la médiation libyenne. »
Source: Le Monde