Au septième jour de leur mobilisation, les Soudanais hostiles au coup d’Etat du général Abdel Fattah al-Burhane maintiennent dimanche des barricades à Khartoum, déterminés à tenir tête à l’armée, au lendemain d’une journée de manifestations émaillées de violences qui ont fait au moins trois morts.
Samedi, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour s’élever contre la décision lundi du chef de l’armée et général Burhane de dissoudre toutes les institutions du pays, plongé dans le marasme économique et miné par des décennies de conflits.
Les manifestations samedi ont coûté la vie à au moins trois manifestants et blessé une centaine, selon un syndicat de médecins prodémocratie, précisant que le bilan des victimes reste difficile à déterminer en raison des coupures de réseaux internet et téléphonique.
Depuis lundi et l’entrée des Soudanais en « désobéissance civile », une douzaine ont été tués au total par les forces de sécurité et près de 300 personnes ont été blessées, selon des médecins.
A la veille des rassemblements de samedi, un responsable américain avait lui évalué le nombre de morts entre 20 et 30.
La police a reconnu avoir tiré des grenades lacrymogènes sur les manifestants dans la capitale, mais elle a nié avoir tiré à balles réelles, accusant les protestataires d’avoir « attaqué » les forces de l’ordre.
A Khartoum et dans plusieurs régions, dont les provinces orientales de Gedaref et Kessala, les Soudanais ont scandé, sous des nuées de drapeaux soudanais: « Non au régime militaire » et « Pas de retour en arrière possible », dans un pays sorti en 2019 de 30 années de dictature d’Omar el-Béchir, écarté par l’armée sous la pression de la rue.
Des manifestations ont également secoué les Etats du Kordofan-Nord (ouest) et du Nil Blanc (sud), ont constaté des correspondants de l’AFP.
– Fouilles et patrouilles –
Après une nuit de calme où de nombreux manifestants sont rentrés chez eux, les habitants de la capitale érigeaient de nouveau dimanche matin des barricades à l’aide de pierres et de pneus pour barrer les routes, tandis que les soldats et les paramilitaires des Forces de soutien rapide patrouillaient dans les rues.
Cette puissante force paramilitaire, dirigée par le numéro deux du général Burhane, Mohamed Hamdan Daglo dit « Hemedti », est accusée d’avoir été impliquée dans la répression de la « révolution » de 2019.
Plusieurs postes de contrôle ont également été établis et les forces de sécurité fouillaient passants et voitures à Khartoum qui demeure une ville morte avec la plupart de ses magasins fermés, signe que la « grève générale » décrétée par de nombreux segments de la société lundi reste suivie.
Les communications téléphoniques, coupées samedi, étaient elles rétablies dimanche matin à quelques interruptions près, tandis que le réseau internet demeure largement inaccessible.
Depuis son indépendance en 1956, le Soudan, pays d’Afrique orientale comptant parmi les plus pauvres du monde malgré ses richesses naturelles, n’a connu que de rares épisodes de régime civil. M. Béchir, lui-même un militaire, était arrivé au pouvoir en 1989 par un putsch.
Dès lundi, la communauté internationale a quasi unanimement condamné le coup d’Etat du général Burhane, exigeant le retour des autorités civiles au pouvoir, dont le Premier ministre Abdallah Hamdok, la plupart de ses ministres et les autres responsables civils arrêtés par l’armée lundi avant l’aube.
– « Médiation » –
M. Hamdok a été escorté chez lui par l’armée mardi mais reste « assigné à résidence », a tweeté dimanche l’émissaire de l’ONU au Soudan, Volker Perthes, qui a rencontré vendredi le dirigeant renversé et avec qui il a discuté de possibilités de « médiation ».
Le président des Etats-Unis Joe Biden a de son côté qualifié le coup d’Etat de « revers cinglant » pour les aspirations démocratiques du peuple soudanais, tandis que l’Union africaine a suspendu Khartoum de l’organisation.
Washington et la Banque mondiale, exigeant le retour d’un pouvoir civil, ont eux suspendu leur aide financière au Soudan, vitale pour ce pays asphyxié par une inflation galopante et une pauvreté endémique.
Depuis août 2019, Khartoum était doté d’autorités militaro-civiles en charge de mener la transition vers un pouvoir entièrement civil, après le renversement en avril de la même année du dictateur Béchir, au prix de plus de 250 morts dans la répression de la révolte.
Mais après plus de deux ans d’une délicate transition, l’entente entre l’armée et les civils a volé en éclats ces dernières semaines, culminant avec le putsch.